MAROC : Abdellatif Ouahbi le réformateur sous le feu de la rampe

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Ministre de la Justice depuis 2021, Abdellatif Ouahbi mène l’un des chantiers institutionnels les plus sensibles du Royaume. Entre réformes ambitieuses, franc-parler assumé et critiques parfois virulentes, le ministre avance dans un terrain miné. Ses réformes pourraient pourtant redessiner durablement la justice marocaine — à condition que les indicateurs de performance suivent.

Un parcours qui forge la légitimité

Avocat depuis plusieurs décennies au barreau de Rabat, Abdellatif Ouahbi s’est construit une réputation de technicien aguerri, formé au droit et familier des arcanes judiciaires. Son engagement politique, depuis ses débuts dans les rangs de l’USFP (Union socialiste des forces populaires) jusqu’à son élection comme secrétaire général du PAM (Parti authenticité et modernité) en 2020, lui donne également une solide expérience du débat public et des équilibres institutionnels.

Sa nomination à la tête du ministère de la Justice en 2021, s’inscrit dans la continuité d’un parcours mêlant expertise juridique, militantisme politique et sens de la réforme.

Un chantier de réformes à haut risque

Depuis son arrivée au gouvernement, Ouahbi s’attaque à une refonte profonde du système judiciaire. Parmi les projets les plus marquants, figurent la modernisation du Code de procédure pénale, la lutte contre la criminalité numérique, la criminalisation renforcée de l’extorsion en ligne, la protection des victimes de trafic humain et le durcissement des mécanismes de lutte contre le blanchiment d’argent.

Des réformes ambitieuses, parfois, décrites comme nécessaires pour moderniser la justice et renforcer la sécurité juridique du pays. Mais, leur portée touche directement à des équilibres politiques, institutionnels et sociaux sensibles.

Polémiques et critiques : un ministre sous pression

Les positions d’Ouahbi ne font pas l’unanimité. La restriction du rôle des associations dans les poursuites pour détournement de fonds publics, en particulier, a suscité de vives réactions au sein de la société civile, qui y voit un risque de recul citoyen dans la lutte contre la corruption.

Les critiques de l’opposition politique, notamment, de certains membres du PJD (Parti de la justice et du développement), se sont également intensifiées, allant parfois jusqu’à l’invective. Ouahbi, fidèle à son style direct, assume ses choix. Selon lui, la justice ne doit pas être instrumentalisée et doit reposer sur des institutions clairement mandatées.

Des indicateurs pour juger du succès des réformes

Dans un scénario optimiste, les mesures portées par le ministre pourraient profondément moderniser la justice marocaine. Encore faudra-t-il que les indicateurs de performance suivent.

Les principaux marqueurs à surveiller dans les prochaines années seront :

1. L’efficacité judiciaire

  • Réduction des délais de jugement.
  • Augmentation du taux d’exécution des décisions.
  • Expansion et utilisation réelle des services judiciaires digitalisés.

2. La confiance des citoyens

  • Amélioration des baromètres d’opinion concernant l’impartialité et la transparence de la justice.
  • Accessibilité renforcée des services (coûts, démarches, accompagnement juridique).
  • Protection accrue des victimes, notamment, celles du crime numérique et du trafic humain.

3. L’impact institutionnel et économique

  • Amélioration du classement du Maroc dans les indices internationaux sur l’état de droit.
  • Renforcement de la lutte contre le blanchiment d’argent.
  • Plus grande attractivité économique grâce à une justice plus fiable.

Ces indicateurs seront déterminants pour évaluer la portée réelle des réformes engagées.

Un pari politique à haut rendement

Entre résistance institutionnelle, critiques politiques et attentes citoyennes, Abdellatif Ouahbi évolue dans un climat où chaque décision fait l’objet d’un débat national. Ses partisans saluent un ministre déterminé, prêt à affronter la tempête pour moderniser un système qui en a besoin. Ses opposants l’accusent de recentrer excessivement le pouvoir judiciaire entre les mains de l’Etat.

Abdellatif Ouahbi, nouveau secrétaire général du Parti authenticité et modernité (PAM), est reçu le 11 mars 2020, à Casablanca, par le roi Mohammed VI. Il n’était pas encore ministre de la Justice.

Quoi qu’il en soit, les mois et années à venir seront décisifs.

Si les réformes qu’il porte se traduisent par des avancées mesurables — efficacité, transparence, protection et modernisation — elles pourraient entrer dans l’histoire comme l’un des tournants majeurs de la justice marocaine contemporaine.

D’ici là, Abdellatif Ouahbi reste fidèle à sa réputation : Un réformateur sous le feu, déterminé à aller au bout de son chantier.

Par Dr. Lahcen Benchama

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