COUP D’ETAT RATE CONTRE PATRICE TALON : Quand la realpolitik étouffe les aspirations démocratiques

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Sans l’intervention de puissances extérieures, notamment, la France d’Emmanuel Macron et le Nigeria de Bola Ahmed Tinubu, le lieutenant-colonel, Pascal Tigri, et ses camarades auraient probablement réussi à renverser Patrice Talon, accusé par une partie de l’opinion d’avoir instauré une dictature dans un pays qui fut longtemps cité en exemple pour sa maturité démocratique.

Cette situation interroge, non seulement, l’évolution démocratique du Bénin, mais aussi,  les motivations réelles des dirigeants africains et occidentaux qui prétendent défendre la stabilité tout en fermant les yeux sur les dérives autoritaires.

Le Bénin, d’exemple démocratique à régime contesté

Le Bénin occupe une place particulière dans l’histoire politique africaine. En février 1990, il inaugura les conférences nationales souveraines, ouvrant la voie au multipartisme, à la liberté d’expression et à l’alternance pacifique. Pendant des décennies, ce pays fut cité comme un modèle de transition démocratique réussie, contrastant avec les coups d’état militaires et les régimes autoritaires de la région. Pourtant, sous le pouvoir de Patrice Talon, ce modèle s’est progressivement fissuré. Réformes électorales controversées, exclusion de l’opposition, arrestations d’adversaires politiques, contrôle accru de la vie publique, autant d’éléments qui alimentent l’accusation de dérive autoritaire. C’est dans ce contexte que des voix dissidentes, dont Pascal Tigri et ses camarades, ont estimé que le pays avait basculé dans une dictature de fait et qu’il fallait agir pour restaurer l’esprit de la révolution démocratique de 1990.

L’intervention extérieure : Macron et Tinubu en première ligne

Ce qui frappe dans cette affaire, c’est la rapidité avec laquelle des acteurs extérieurs se sont mobilisés pour soutenir Patrice Talon. La France, ancienne puissance coloniale du Bénin, n’a jamais caché sa proximité avec le régime en place. Emmanuel Macron, au nom de la stabilité et de la coopération, semble avoir fait le choix de soutenir un allié stratégique plutôt que de défendre les principes démocratiques qu’il proclame sur les tribunes internationales.

Bola Tinubu à l’Elysée en juin 2023 : A votre avis, qui pouvait être le donneur d’ordre de l’intervention de l’aviation nigérienne ?

Mais, le rôle le plus surprenant est, sans doute, celui de Bola Ahmed Tinubu, président du Nigeria. Sans son intervention, Talon aurait été sérieusement fragilisé. Comment comprendre que Tinubu se précipite pour voler au secours d’un président béninois contesté, alors qu’il demeure largement passif face à Boko Haram, groupe terroriste qui, chaque jour, tue des citoyens nigérians et déstabilise des régions entières de son propre pays ?

Les motivations troubles de Tinubu

Plusieurs analystes avancent l’idée que l’attitude de Tinubu serait liée à ses relations étroites avec la France. Certains vont jusqu’à penser qu’Emmanuel Macron lui aurait demandé expressément d’intervenir pour sauver Patrice Talon. Cette hypothèse alimente un malaise profond car le Nigeria n’a jamais été colonisé par la France et n’est, en principe, pas tenu de défendre les intérêts stratégiques de Paris en Afrique de l’Ouest. Que gagne Tinubu en retour de ses loyaux services rendus à un dirigeant qui pourrait être son fils tant la différence d’âge est notable ? Cette posture, perçue comme une soumission à une logique de realpolitik étrangère aux intérêts nigérians, ternit l’image du Nigeria, longtemps, considéré comme une puissance régionale indépendante et un pilier de l’Afrique de l’Ouest.

L’affaire des militaires nigérians arrêtés au Burkina Faso

Les doutes sur la posture du Nigeria se sont encore renforcés avec l’arrestation récente, au Burkina Faso, de onze militaires nigérians dont l’avion avait violé l’espace aérien burkinabè. Que faisaient-ils là ? Qui les avait envoyés ? Dans quel but ? Dans un contexte régional marqué par une profonde recomposition géopolitique, cet incident alimente les soupçons d’ingérences et de manœuvres obscures visant à déstabiliser certains régimes. Pour de nombreux observateurs, cet épisode est tout simplement honteux et indigne d’un pays comme le Nigeria dont on attendait un comportement responsable, respectueux de la souveraineté de ses voisins.

La vigilance des pays de l’AES

Face à ces tentatives de déstabilisation, les pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) affichent une vigilance accrue. Le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont clairement indiqué qu’ils ne toléreraient aucune action susceptible de faire échouer la révolution politique et sécuritaire engagée par leurs dirigeants.

Le jeune capitaine-président Ibrahim Traoré du Burkina Faso a intercepté un avion nigérian espion. Et pour cause, le Burkina Faso a accordé l’asile politique au lieutenant-colonel Tigri. Traoré a finalement libéré l’avion et les 11 soldats nigérians qui s’y trouvaient non sans avoir adressé une sévère mise en garde à son papa de président du Nigeria.

Qu’on approuve ou non leur orientation politique, ces pays entendent défendre leur souveraineté et se prémunir contre toute aventure extérieure. Ils se disent prêts à neutraliser toute tentative visant à remettre en cause leurs choix politiques, convaincus que l’avenir de la région doit être décidé par les peuples concernés, et non dans les capitales étrangères.

L’affaire béninoise révèle les contradictions profondes de la politique africaine contemporaine. D’un côté, des peuples qui aspirent à la liberté, à la souveraineté et à la démocratie réelle ; de l’autre, des dirigeants et des puissances qui privilégient la stabilité de façade et la défense de leurs intérêts stratégiques.

Le soutien apporté à Patrice Talon par Macron et Tinubu pose une question fondamentale : La démocratie est-elle encore une valeur non négociable, ou devient-elle variable selon les intérêts du moment ? Une chose est sûre : En Afrique de l’Ouest, les peuples sont de plus en plus vigilants et déterminés à ne plus accepter que leur destin soit confisqué au nom d’une stabilité qui ne profite qu’à quelques-uns.

Jean-Claude DJEREKE

est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis)

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