LIBERIA : Le président George Weah est-il capable de décoloniser le football de son pays ?

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Personne ne demande à Mister George d’être ingrat. C’est parfait qu’il sache d’où il vient sinon il ne saurait jamais où il veut aller. Si on ne retrouve pas grand-chose à redire après que le président, George Weah, ait récompensé deux de ses anciens entraîneurs qui furent déterminants dans sa carrière, on pense qu’il s’agit d’une mesure prise au pif, sous l’effet de l’émotion, et qui n’a pas été, mûrement, pensée en ce sens qu’elle ne s’intègre pas dans une politique sportive et singulièrement du football que le nouveau président entend imprimer dans ce secteur.

Les entraîneurs français, Claude Le Roy et Arsène Wenger, ont été décorés, vendredi, 24 août, de la plus haute distinction du Liberia par le président et légende du foot George Weah, une décision qui fait grincer des dents (notre photo).

Les deux Français, qui, plusieurs fois, ont expliqué qu’il considéraient George Weah comme un « fils », avaient lancé, à la fin des années 1980, la carrière de footballeur en Europe de celui qui est devenu président du Liberia au début de l’année.

Sur les conseils de Claude Le Roy, Arsène Wenger avait recruté Weah, en 1988, à Monaco, passé, ensuite, notamment, par le PSG (1992-1995) (où il fut sérieusement ostracisé par un certain entraîneur portugais passé lui aussi par les Lions indomptables appelé Artur George) et l’AC Milan (1995-1999). Brillante, sa carrière a été couronnée par l’obtention du Ballon d’Or, en 1995, le seul glané par un joueur africain jusqu’à ce jour. Ni l’Ivoirien Didier Drogba, ni le Camerounais Samuel Eto’o, qui ont tout gagné en Europe, n’ont obtenu une telle distinction.

« Votre rôle positif a non seulement marqué la carrière et la vie de nombreux joueurs africains, mais aussi celles d’une génération entière de jeunes Libériens qui ont fait du président Weah un exemple », a déclaré un maître de cérémonie pendant que « Mr George » passait autour du cou d’Arsène Wenger la médaille de « Knight Grand Commander of the Humane Order of African Redemption », la plus haute distinction du pays, devant quelques centaines d’invités réunis dans la banlieue de la capitale Monrovia.

« Vous êtes président maintenant. Auparavant, vous étiez mon enfant », a déclaré à la fin de la cérémonie l’ancien entraîneur des Gunners d’Arsenal, en souhaitant à son ex-protégé un « avenir de paix et de bonheur ».

« Rendez-nous fiers », a ajouté Arsène Wenger. « La vie de ce gars est incroyable, elle ferait un film fantastique », avait, déjà, jugé Wenger en janvier. « Je me souviens de notre première rencontre à Monaco, il était un peu perdu, il ne connaissait personne, n’était pas considéré. En 1995, il est devenu le meilleur joueur du monde ! », avait-il ajouté.

Lui, aussi, distingué vendredi à Monrovia, Claude Le Roy, actuel sélectionneur du Togo, avait rencontré le jeune Weah lorsqu’il officiait à la tête du Cameroun.

« Il avait signé au Tonnerre de Yaoundé et venait à l’entraînement de la sélection du Cameroun, alors qu’il était libérien. J’ai été ébloui par son talent et j’ai appelé Arsène », a, récemment, expliqué le « Sorcier blanc ».

Question qui embarrasse : pourquoi n’a-t-on pas proposé la nationalité camerounaise à George Weah au lieu qu’on pense, d’abord, à l’envoyer à Monaco ? Nul doute que Mister George aurait connu une toute autre carrière et probablement qu’il ne serait pas devenu président du Cameroun.

George Weah a succédé en janvier à Ellen Johnson Sirleaf – première femme élue chef de l’Etat en Afrique – à la tête de ce pays en grande précarité financière, après la guerre civile de 1989-2003 et une épidémie d’Ebola meurtrière (2014-2016), et, lourdement, dépendant de l’aide internationale.

Weah a débuté la politique en 2002 et a échoué aux élections présidentielles de 2005 et 2011 (candidature à la vice-présidence) avant de s’imposer fin 2017. A chaque fois, l’establishment estimait qu’il ne serait pas à sa place comme chef d’Etat, lui, l’ancien footballeur sans diplôme. Mais, en 2017, sa principale supportrice était la présidente sortante, qui l’avait soutenu au détriment même de son vice-président qui aspirait à la remplacer.

Sa décision d’accorder la plus haute distinction du pays aux deux entraîneurs français a fait débat au Liberia depuis le début de la semaine, notamment, à la radio et dans les journaux.

« Ca n’aurait pas dû être une priorité », estimait George Sackie, un enseignant de 35 ans interrogé, en allusion aux difficultés économiques du pays.

Mais pour le gouvernement, il est certain que les deux hommes, en soutenant George Weah, ont aidé le pays tout entier.

« Si Arsène Wenger et Claude Le Roy n’avaient pas mis George Weah en avant, il ne serait pas la fierté de toute une nation aujourd’hui », a déclaré le vice-ministre des Sports et de la Jeunesse, Andy Quamie.

On aurait souhaité que le président libérien puisse définir une politique (à long terme) dans le domaine du sport, et que la nomination des deux Français soit intégrée dans celle-ci. Sa décision aurait suscité moins de polémique. Car l’urgence, à l’heure actuelle, au Liberia, mais aussi, dans les pays comme le Cameroun, est la décolonisation mentale du football. Il faut arrêter de confier le football africain à des sélectionneurs non africains alors que l’Afrique a produit de très grands footballeurs qui disposent de tout le savoir-faire et qui ont, parfois, une valeur nettement supérieure aux sélectionneurs étrangers à qui on confie les équipes nationales africaines. Le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la Tunisie, le Ghana, l’Algérie, la RDCongo, etc. qui disposent de sélections nationales de très bon niveau, ont tous désigné un sélectionneur africain. Il faut que ce mouvement suive son cours dans d’autres pays beaucoup trop frileux comme le Cameroun, l’Egypte, le Nigeria, par exemple.

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