BENIN : PROSOPOPÉE

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Tu t’es exclamé : Yégué! quand un jeune compatriote t’a informé de mon transfert dans l’au-delà.
J’ai rit doucement avant de murmurer :  » voilà le poil à gratter national bouleversé  » !C’ est ainsi que je t’ai vu avant que tu aies appelé ton ami surnommé Hercule par quelques adversaires ; ses larmes coulaient, il maîtrisait ses sanglots, les tiens éclataient et tu t’exprimais difficilement.

Quel chagrin, Fofo ! Je dis Fofo comme il y a très longtemps pour te consoler car je ne suis qu’en pérégrination ; voici que me vient à l’esprit une anecdote jamais oubliée qui contrebalancerait mon coup de sang quand tu m’avais traitée de Xanthippe : j’avais huit ou neuf ans, tu accompagnais ton oncle Saturnin en visite chez mes parents et tu avais déclaré en me voyant : zò ɖò nukún tówè mɛ̀ ; je ne comprenais rien à ce langage mais Dési a dit que tu aimais taquiner ; Maman a préféré un commentaire sibyllin : abikou xó wè.  (sur notre photo Rosine Viera Soglo jouant son rôle de femme politique).

Le feu que tu aurais aperçu dans mes beaux yeux d’alors ne t’a point épargné de m’avoir comparée à la femme de Socrate parce que ta préférence politique était radicalement le revers de la médaille de mon choix ; je l’avoue maintenant, le souvenir de l’anecdote m’amusait tandis que je te voussoyais en t’assenant mes quatre vérités. Xanthippe ! Si c’est ce que la coterie politique retient de moi, je m’en réjouis et crie : hourra Rosine ! Digne épouse d’Hercule Nicéphore Dieudonné Soglo !

Tiens ! déjà des visiteurs ; tu n’as pas encore envie d’en être ? L’évidence ici c’est vraiment :

Ô mort est ta victoire ?

Ô mortoù est ton pouvoir ?

Où est donc ton aiguillon ?

Jésus a triomphé de la Mort ; en avoir peur, c’est être sans nerfs et d’une gaminerie….

J’ai dit des visiteurs, c’est plutôt les retrouvailles : jolie union, mes frères aînés encadrent nos parents et m’accueillent ; il y a du monde, je mentionne seulement quelques-uns : le Cardinal Gantin vêtu en clergyman est en sandwich entre tes cousins Alfred, Alphonse et André en civil ; Aupiais, Innocent en soutane les suivent, aux côtés de Maga, Apithy, Ahomadégbé, Comlan Alfred et Angèle, tous en tenue traditionnelle.

Quel accueil ! Les percussions sur un zɛ̀nlí ! mais… il n’y a pas de deuil ici ! Comlan Alfred ravi cadence déjà des pas de danse ; Maga sourit, Apithy fait de petits pas, Ahomadégbé ajuste son kànvo et fait mieux ; une confrérie féminine avance ; c’est vraiment la fête, la victoire sur la Mort qui a honte.

On crie Aluwáásí ó! owó! Owó !

Mes yeux s’écarquillent ; c’est l’arrivée de Zinsou Bodé, Jacob Adégoun et Paul Kpossy Gbhêly Quenum, célèbre Trio de Ouidah ; Emile Derlin Zinsou leur emboîte le pas. Tu les as connus et ils te saluent ; ton père dit que tu t’occupes trop des gens alignés sur une chaine noueuse ; Emile Derlin déclare, écoute bien :  » beaucoup d’intellectuels du pays grivellent, lui, je l’ai toujours connu poil à gratter politique« .

Si mon caractère ou ma forte personnalité pouvait expliquer la ressemblance entre l’illustre Grecque et moi lors de mon regrettable choix politique…Fofo, tu t’es vite dédouané en évoquant la nature de Maman qui sourit ; ses deux farceurs jubilent et papa opine de la tête.

Cérémonie d’hommage à Vidolé en novembre 2015 des Soglo en l’honneur de feue Justine Ablawa Kakpo Chodaton, une militante engagée de la Renaissance du Bénin. De gauche à droite, Nicéphore Dieudonné Soglo, l’époux, Rosine Viera Soglo, et leur fils, Léhady Soglo.

Avec le beau monde qui m’accueille, je constate d’entrée qu’on ne s’ennuie pas ici ; Dostoïvesky a raison d’avoir écrit : « toutes ces cordes pourries de la morale d’en-haut »

Oui, nous étions et ils sont comme sempiternellement liés par des cordes pourries politiques ; ainsi, Adogocratie sacralisée coopère au viol de la Démocratie.

Sous le précédent régime, avec ta manie des références à la Grèce antique, tu m’as écrit que les femmes béninoises devraient se comporter comme Lysistrata, sinon, Jè mà comme au temps de nos grands-mères quand rien n’allait bien dans le pays ; tu as pensé aux Amazones ; puisqu’il en existe une Armée dans la République du Bénin, tu les suppliais de s’avérer émules de leurs ancêtres de l’Armée du roi Ghézo en s’érigeant en Armée de désobéissance pour manifester aussi leur indignation face à un chef d’Etat indigne de leur pays.

J’arrête! Dieu est au gouvernail et jai envie de danser.

Rosine Viera Soglo

Femme politique décédée le 25 juillet 2021 à Cotonou

Ancienne première dame du Bénin (1991-1996).

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