CAMEROUN : Ma (seule) rencontre avec Manu Dibango

Date

D’avril 2003 à juillet 2004, j’ai habité à Champigny-sur-Marne, la ville communiste où résidait Georges Marchais, secrétaire général du Parti communiste francais de 1972 à 1994. Tout en travaillant sur une thèse à la Sorbonne, je donnais un coup de main à la paroisse Sainte Bernadette située non loin de la rue de la Côte d’or.

Le curé de la paroisse, le père Marc Mangot, après la messe du matin, aimait bien prendre son café dans un petit bar du quartier. Manu Dibango était aussi un fidèle client de ce bar.

Un jour (nous étions en mai 2003), je proposai à Marc de l’accompagner dans le bar en question. Quand nous y arrivâmes, nous trouvâmes effectivement Dibango en train de deviser avec d’autres clients. Il était le seul Noir. Marc nous présenta l’un à l’autre, puis, s’en alla.

Alors, tu es Ivoirien ? J’ai fait la Côte d’Ivoire, commença le célèbre saxophoniste camerounais.

Je le sais, répondis-je avant d’ajouter : justement, je voudrais connaître ta position sur ce qui est arrivé, chez nous, dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002.

Dibango : As-tu une fois entendu parler de Um Nyobè, de Félix-Roland Moumié et des Camerounais, qui luttaient pour la vraie indépendance ? Sais-tu comment ils furent traités par la France ?

Moi : Oui.

Lui : C’est le même pays qui fait la guerre aux Ivoiriens parce que Gbagbo est nationaliste et indépendant d’esprit. Tout le reste qu’on entend dans les médias français (exclusion des nordistes, persécution des musulmans, xénophobie des Ivoiriens, etc.) n’est que mensonge car j’ai vécu à Abidjan sans problèmes.

Moi : Toi qui es une voix très écoutée, pourquoi ne le dis-tu pas ? Toi, Antoine Bell, Boncana Maïga et d’autres célébrités africaines qui avez transité par la Côte d’Ivoire et bénéficié de son hospitalité, pourquoi ne la défendez-vous pas ? Pourquoi vous taisez-vous ?

Lui : Tu as raison. On en reparlera. Je dois partir maintenant car j’ai rendez-vous chez moi avec un ami.

Dibango quitte aujourd’hui cette terre des hommes, après avoir donné le meilleur de lui-même au monde et à l’Afrique. Le souvenir de cet entretien, de sa bonne humeur, de sa simplicité, de son rire spontané et gras, lui, ne m’a jamais quitté et ne me quittera pas de sitôt (sur notre photo Manu Dibango avec à sa droite André Marie Talla et à sa gauche Eko Roosevelt lors du Festival national des arts et de la culture à Yaoundé en novembre 2016).

Je souhaite que les Francis Bebey, Ernesto Djédjé, Césaria Evora, Kanté Manfila, Joseph Kabasele et autres Luambo Makiadi, réservent à Dibango un bon accueil là où il n’y a plus souffrance, ni angoisse, ni pleurs, ni mesquineries, ni Françafrique, ni coronavirus.

Jean-Claude DJEREKE
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).

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