Les 22 et 24 novembre 2001, le ministre de la Communication, Jacques Fame Ndongo, a signé trois arrêtés. Le premier, portant le n° 09, fixe les conditions techniques de production, de programmation et de diffusion de l’émission « Espaces politiques » dans les médias audiovisuels de service public. Le deuxième, coiffé du n° 010, crée une émission d’expression directe des partis politiques représentés à l’Assemblée nationale dénommée « Espaces politiques ». Le troisième arrêté, signé le 24 novembre 2001 sous le n° 011, fixe la répartition du temps d’antenne dans l’émission d’expression directe des partis politiques représentés à l’Assemblée nationale dénommée « Espaces politiques ».
La publication des deux premiers arrêtés le 22 novembre 2001, a provoqué de vigoureuses réactions au sein de la classe politique et des médias. Ces réactions concernent : les procédures de création de cette émission, le contenu des textes ministériels mais aussi les raisons non avouées et le moment choisi pour créer cette émission. Par des arguments boîteux et puérilement contradictoires, le Mincom et ses troupes tentent de justifier ces arrêtés. En effet, comment peut-on prétendre que l’émission « Espaces politiques » ne supprime pas « l’expression directe » des partis représentés à l’hémicycle alors même que cette émission détermine la forme et le contenu de ce que ces partis doivent dire (articles 4, 5 et 6 de l’arrêté n° 09), une sorte de camisole de force où chaque formation politique est condamnée à participer toutes les deux semaines à des débats contradictoires précédés de déclarations liminaires.
Les trous noirs des arrêtés du ministre de la Communication
Quant un parti politique doit s’adresser à ses militants après que son message ait été contredit par ses adversaires politiques, on ne peut plus parler « ‘expression directe ». Il est plus convenable, dans ce cas, de parler « d’expression censurée ». Le caractère direct de cette expression n’existe que si le message ne subit aucune interférence entre les partis politiques et leurs militants. Le débat contradictoire est une expression certes, mais une expression qui n’est pas directe. Les trous noirs des arrêtés du ministre de la Communication se trouvent donc dans les intentions inavouées qui ont conduit à ces décisions. Qu’est-ce qui peut, politiquement et juridiquement, justifier ce qu’a fait le Mincom les 22 et 24 novembre derniers ?
Au plan politique, les trous noirs se trouvent dans les arrêtés 09 et 11 et concernent l’organisation de la participation des partis politiques à l’émission « Espaces politiques ». Le pouvoir politique (Rdpc) s’est donné le droit et la force de se mêler du choix des thèmes à débattre puisque son ministre chargé des Relations avec les Assemblées, Grégoire Owona, participe au choix desdits thèmes (articles 4, 5 et 6 de l’arrêté n° 09). Pourquoi ne laisse-t-on pas les seuls partis politiques discuter du choix des thèmes à débattre au cours de l’émission ? Manifestement, il est clair au regard des articles sus-visés, que le Rdpc et l’Unde (actuelle majorité gouvernementale) sont avantagés dans cette affaire du choix des thèmes, en ce sens qu’ils sont doublement représentés : eux-mêmes et leur ministre chargé des Relations avec les Assemblées.
Toujours au plan politique, il faut bien se demander pourquoi le Mincom, Jacques Fame Ndongo, a-t-il disposé, à l’alinéa 2 de l’arrêté n° 09, que « les noms des représentants désignés des états-majors des partis sont communiqués au directeur général de la Crtv au plus tard 72 heures avant l’enregistrement » ? Est-ce pour censurer certaines t^tes ? Est-ce pour les intimider ? A partir du moment où le DG de la Crtv sait, de par le texte ministériel, que chaque formation politique concernée désigne un représentant par émission, le nom de celui-ci est-il important qu’il soit communiqué avant l’enregistrement ? Et quand on sait que l’émission est un débat contradictoire, il devient incontestable que le pouvoir a mis des barrières entre les partis politiques et leurs militants dans le cadre de l’émission « Espaces politiques ».
Jacques Fame Ndongo censure Paul Biya
Sur le plan du droit, les textes du ministre de la Communication violent de façon flagrante le décret présidentiel portant le n° 92/030 du 13 février 1992 fixant les modalités d’accès des partis politiques aux médias audiovisuels du service public de la communication. L’arrêté 09 du Mincom du 22 novembre 2002 qui, lui, fixe les conditions techniques de production, de programmation et de diffusion de l’émission « Espaces politiques » dans les médias audiovisuels de service public est l’exemple le plus pertinent de cette violation du décret présidentiel sus-cité. En effet, l’article 4 du décret présidentiel de 1992 auquel nous nous référons ici dispose en son alinéa 2, que « le temps d’antenne total d’expression directe des partis (…) ne peut excéder par semaine deux heures à la radiodiffusion, et une heure à la télévision ». Quel que soit le bout par lequel on prend cette disposition, il est difficile, voire impossible de ne pas conclure que cette expression directe des partis (…) est hebdomadaire. Et que dit donc Fame Ndongo dans son arrêté 09 ?
L’alinéa 1 de l’article 9 de l’arrêté n° 09 cité ci-dessus et signé par le Mincom le 22 novembre 2001, stipule que « l’émission « Espaces politiques », objet du présent arrêté est programmé deux fois par mois ». L’alinéa 2 du même article dit que cette émission « est diffusée un jeudi sur deux à la télévision et un vendredi sur deux à la radio (…) ». L’arrêté du ministre contredit donc clairement le décret du président de la République. Pour la première fois, celui qi peut le plus (le président) est censuré par celui qui ne peut que le moins (le ministre nommé par le président). Mais ce n’est pas tout.
La deuxième violation du décret présidentiel du 13 février 1992 réside ici : le même article 4, alinéa 2 dudit décret stipule que « le temps d’antenne total d’expression directe des partis (…) ne peut excéder (…) deux heures à la radiodiffusion, et une heure à la télévision ». Or, l’arrêté 011 du ministre dispose que « la répartition du temps consacré à chacune des parties de l’émission d’expression directe (…) « Espaces politiques » est déterminée ainsi qu’il suit : à la radiodiffusion sonore : 30 minutes pour les déclarations liminaires et 60 minutes pour le débat contradictoire, qui porte sur les déclarations liminaires et sur le ou les thèmes du jour (…) ; à la télévision : 30 minutes pour les déclarations liminaires et 60 minutes pour le débat contradictoire sus-visé ».
Comme on peut le constater, le ministre Jacques Fame Ndongo ne s’est pas gêné de contredire le président Paul Biya. Le décret du chef de l’Etat ne lui donne pas la possibilité d’augmenter le temps d’antenne d’une expression directe. Mais le ministre l’a fait en gonflant de 30 minutes le temps d’antenne (d’expression directe) de l’émission « Espaces politiques ». Par ailleurs, cette affaire se complique encore avec l’alinéa 3 de l’article 4 du décret du 13 février 1992 qui dit que « le temps total prévu à l’alinéa 2 ci-dessus est attribué pour moitié aux autres partis politiques de l’opposition représentés à l’Assemblée ».
Dans l’article 2 de l’arrêté n° 011 ci-dessus, le Mincom et ses conseillers ont fait semblant d’oublier ou d’ignorer que cette répartition concerne le temps d’antenne dans sa globalité, donc de l’émission et non le temps d’une rubrique, d’une partie de l’émission.
Dans ce débat, il sera quasiment impossible de faire respecter le temps qui revient à chaque formation politique, même si les deux modérateurs sont armés de chronomètres. Résultat prévisible : des partis politiques seront lésés, ce qui ne manquera pas de maintenir le climat politique nationale sous une pression permanente, donc préjudiciable à des activités de développement économique et social. Cela est désespérant. Y a-t-il meilleure façon de monter l’opposition parlementaire contre Paul Biya ?
De quelle concertation parle-t-on ?
Dans le communiqué de presse qu’il a rendu public le 22 novembre dernier, le Mincom dit qu’il a procédé, « au terme d’utiles concertations au niveau de l’institution parlementaire, du ministère chargé des Relations avec les Assemblées, des partis politiques et du Conseil nationale de la communication (…) ». Avec l’Assemblée nationale et les partis politiques, notamment, le Sdf, la réunion du 9 novembre 2001 qui tenait lieu de concertation, s’est achevée en queue de poisson. Le communiqué du Sdf de ce jour fait état de ce que cette rencontre n’a abouti à aucune conclusion. Le Mincom, qui ne rate jamais la plus futile occasion pour se fendre d’un communiqué, n’a curieusement rien publié de cette réunion, tout comme il n’a rient dit de sa rencontre avec le Conseil national de la communication. Il ne pouvait tout de même pas dire que ses démarches n’ont rient produit en faveur de la création de l’émission « Espaces politiques ».
Au niveau du Conseil nationale de la communication, on n’a pas donné le feu vert au Mincom pour la création de cette émission. Et même dans les rangs du Rdpc, des voix dénoncent ce forcing qui ne se justifie pas dans la situation actuelle du Cameroun : quand Paul Biya a de plus en besoin de sénérité pour que soit menée la relance économique. Quel regard portera-t-on sur la démocratie camerounaise si, au cours des émissions d' »Espaces politiques », des partis politiques se contentent de lire leurs déclarations liminaires et de s’en aller, sans participer au début contradictoire ?
Encore qu’à ce niveau, il y aura toujours un problème de fond difficile à solutionner. Puisque le débat contradictoire porte autant sur les thèmes choisis que sur les déclarations liminaires (article 2 de l’arrêté n° 011), il sera techniquement impossible pour les débatteurs, qui seront au courant des thèmes avant l’enregistrement de l’émission, d’intervenir utilement sur les déclarations liminaires adverses qu’ils découvriront au moment de l’enregistrement. La difficulté réside dans le fait que les personnes désignées peuvent ne pas être des spécialistes de la question soulevée par un parti dans sa déclaration liminaire. Un petit exemple :
Le Rdpc fait une déclaration liminaire sur la politique de la forêt alors que les personnes désignées par le Sdf sont des spécialistes de l’éducation et du sport. Et vice-versa. Comment ces représentants du Sdf (ou du Rdpc) interviendront-ils avec maîtrise sur la politique de la forêt ? Les militants et le peuple camerounais tout entier s’instruiront-ils dans ces conditions ? Que se passerait-il si un parti politique rejette un thème ?
On peut même donner un autre exemple. Si un parti politique de l’opposition ou même de la majorité gouvernementale dit dans sa déclaration liminaire que ses militants ont été victimes de brimades dans tel coin reculé du Cameroun, il sera techniquement impossible pour le parti attaqué et accusé de ces brimades de lui porter la contradiction sur le plateau, étant donné que c’est là qu’il apprend le fait qu’il ne peut pas vérifier sérieusement séance tenante. Si un parti politique dénonce dans sa déclaration liminaire le versement de milliards à une secte satanique, comment le parti accusé organisera-t-il sa défense puisqu’il découvre l’accusation au moment de l’enregistrement et, surtout, avec des représentants non préparés à apporter des réponses à cette question ?
Enfin, pour montrer que le Mincom, ce prodige prodigue, a travaillé dans la précipitation, nous soulignons ceci : dans l’article 13 de l’arrêté n° 09 du 22 novembre 2001, il dit que la durée totale de l’émission « Espace politique » est fixée à 52 minutes à la télévision et 60 minutes à la radio. Le 24 novembre, dans son arrêté n° 011, il dit que l’article 13 ci-dessus est modifié…
Paul Biya avait raison quand il avait dit à ses adversaires politique que l’agitation n’est pas un signe de vitalité. On peut ajouter qu’elle est même un signe d’agonie.
A.-F. Bounougou Fouda à Yaoundé.