L’EURO DE A à Z (2e partie) Par Mohamed Yessoufou Saliou

Date

Dans cette deuxième partie du dossier « L’euro de A à Z », nous vous proposons les réactions des trois gouverneurs de banques centrales, des responsables de banques sous-régionales et du ministre béninois des Finances et de l’Economie.

Pour le gouverneur de la BEAC, Jean-Félix Mamalepot,

« L’arrimage du f cfa à l’euro offre de nouvelles opportunités commerciales pour nos pays, une garantie de stabilité monétaire plus accrue, une possibilité de diversification financière élargie et un risque zéro de change avec les 12 pays de l’euroland. Dans la pratique, un euro acheté dans une banque en Afrique sera utilisable dans n’importe quel pays de l’euroland sans qu’il ait à effectuer d’autres opérations de change ».

Concernant les inconvénients que notent certains experts à propos de l’arrimage du f cfa à l’euro, le gouverneur soutient que « ces inconvénients restent les mêmes que ceux liés à l’appartenance à la zone franc ». Pour lui, « cette appartenance implique une grande discipline en matière de politique monétaire en raison de l’impossibilité de recourir à la planche à billets pour financer les déficits publics, ce qui suppose de la part des pouvoirs publics une gestion macro-économique saine et rigoureuse. Le f cfa est arrimé à l’euro depuis le 1er janvier 1999. L’avénement de l’euro fiduciaire en janvier 2002 ne sera qu’une opération matérielle de changement de signes monétaires dans l’euroland. Ces signes ne circuleront pas dans les pays émettant le f cfa et n’influeront en rien sur le quotidien en Afrique. Il n’y a pas eu de changement avec l’arrimage du f cfa à l’euro, sinon la prise de conscience par les pouvoirs publics d’une gestion encore plus rigoureuse de nos économies ». Voilà les raisons qui le poussent à ne pas partager les craintes de ces experts.

« L’euro, a tenu à rappeler Mamalepot, ne fera que remplacer le franc français : ce qui était valable pour le franc français le demeurera pour l’euro ». D’où sa conclusion : « Les Africains ne devraient pas avoir plus peur de l’euro qu’ils n’ont eu peur du franc français ».

Pour le gouverneur de la Banque centrale des Comores, Saïd Ahmed Saïd Ali,

« Il existait, au plan monétaire, entre les Comores et la France, un échange bilatéral. Maintenant, cette coopération devient multilatérale, ce qui représente des perspectives énormes pour notre pays parce qu’en face, nous avons un marché de plus de 300 millions de consommateurs. L’arrimage du franc comorien à l’euro n’entraîne pas une nouvelle dévaluation de notre monnaie. Il existe une parité fixe connue : un euro vaut 491,97 francs comoriens. Nous avions également une parité fixe par rapport au franc français. Avec la circulation fiduciaire de l’euro dès le 1er janvier 2002, il n’y aura aucun changement parce que les accords monétaires qui lient les Comores à la France, sont ipso facto reconduits.

Parlant des inconvénients que notent certains experts sur l’arrimage du franc comorien à l’euro, le gouverneur s’est voulu nuancé : « Bien sûr que ce choix comporte quelques inconvénients, mais si on fait la part des choses, on se rendra compte qu’il y a plus d’avantages que d’inconvénients. Dans le contexte actuel, bien malin celui qui pourra prévoir ce qui se passera demain face à un euro fort ou faible. Toutefois, il est bien évident que si les efforts d’ajustement, les politiques économiques et monétaires des pays de la zone franc ne suivent pas, on peut craindre le pire parce que cette nouvelle donne nous impose plus que jamais des contraintes de convergence au plan macro-économique ».

La circulation fiduciaire de l’euro à partir du 1er janvier 2002 fait-elle peur ? Selon Saïd Ali, « Les Comoriens ont deux particularités par rapport aux 14 autres pays de la zone franc. D’abord, ils sont le seul pays de cette zone où il y a encore une convertibilité de la monnaie nationale en France. Ensuite, aux Comores, la circulation du franc français représente environ 40% du volume total des billets qui s’échangent dans l’archipel. C’est pour cette raison que, au niveau de la Banque centrale des Comores, des mesures de concertation avec le ministère français des Finances et de l’Economie vont être prises, ainsi qu’avec les autorités de la Banque de France et du Trésor public français, pour que la monnaie comorienne occupe la place de choix qui lui revient de droit en tant que monnaie nationale. Il faut éviter que l’euro occupe la place qui est celle du franc français aujourd’hui au niveau de la circulation fiduciaire. Maintenant vous me demandez si l’euro fait peur ? Je répondrais que c’est seulement depuis juillet dernier que la Banque centrale a démarré une campagne d’information et de sensibilisation sur l’euro. Cette campagne va durer jusqu’à fin février 2002. Mais cela n’empêche pas que dans certains milieux, des opérateurs économiques se posent encore des questions sur l’éventualité d’une dévaluation du franc comorien en raison de la mise en circulation fiduciaire de l’euro le 1er janvier 2002. Il n’y a rien de plus difficile à gérer que la rumeur. Il faut donc amplifier les campagnes d’explication ».

Pour le gouverneur de la BCEAO, Charles Konan Banny,

« L’intérêt que portent les pays de la zone franc à l’avènement de la monnaie unique européenne est à la mesure de l’intensité des relations économiques qu’ils entretiennent avec l’Europe et du rôle fondamental que joue la coopération monétaire avec la France. Si l’introduction de l’euro contribue à impulser un nouvel élan à la croissance économique de la zone euro, l’intérêt majeur des pays africains de la zone franc est sans doute l’exécution des transactions commerciales et financières avec les pays de la zone euro à une parité fixe, éliminant tout risque de change. Cette parité fixe signifie que nos pays sont de fait intégrés dans une vaste zone économique structurée autour de l’euro. Cette nouvelle donne comporte de multiples avantages. Les plus importants ont trait d’une part, à sa contribution au renforcement de la stabilité monétaire dans la zone et d’autre part, au meilleur accès aux marchés de l’ensemble des pays de la zone euro, soit un ensemble homogène de près de 300 millions de consommateurs. Il s’agit d’une situation favorable pour les produits des pays de la zone franc, du fait de la réduction du coût des transactions résultant de l’élimination des risques de change avec leurs principaux partenaires commerciaux. En effet, plus de la moitié des échanges commerciaux des pays africains de la zone franc se fait avec les pays de l’Union européenne (UE). Ainsi du fait de la parité fixe entre le f cfa et l’euro, les échanges commerciaux des pays de la zone franc avec les pays de l’euroland se dérouleront dans un environnement monétaire stable, exempt de fluctuations de change. Cela devrait impulser une nouvelle dynamique aux exportations des pays africains membres de la zone franc vers l’Europe et, par conséquent, contribuer à l’amélioration de leurs perspectives de croissance économique. A ces avantages, il convient d’ajouter la diminution des risques de change liés à la gestion de la dette extérieure, la dette contractée par les pays de l’Uemoa auprès des pays de la zone euro représentant environ 35% de leur endettement extérieur. En outre, l’introduction prochaine de l’euro fiduciaire, permettra aux opérateurs économiques de notre zone de comparer les prix libellés en euro sur l’ensemble des marchés européens et donc de faire les meilleurs choix de leurs partenaires européens, ce qui favorisera le renforcement de la compétitivité de nos unités industrielles ».

L’arrimage du f cfa à l’euro présente-t-il des inconvénients ? Selon Banny, « Tout choix économique comporte des avantages et des inconvénients. Toutefois les argumentaires techniques des partisans, des opposants et des sceptiques tant en Afrique que hors du continent, suscités par l’arrimage du f cfa à l’euro, résultent essentiellement d’analyses fondées sur les avantages et les coûts du choix de la monnaie ou du panier de monnaies ancres, du régime de change ainsi que de l’option même des unions monétaires. Au demeurant, la théorie économique et les expériences pratiques à travers le monde sont suffisamment édifiantes pour conforter l’option de l’arrimage du f cfa à taux fixe à l’euro. Toutefois, le succès de cet arrimage dépendra de notre capacité à maîtriser durablement l’inflation et à poursuivre la réduction des déficits budgétaires et de compte courant extérieur. Ces défis, loin d’être des inconvénients inhérents à l’arrimage du f cfa à l’euro, doivent nous convaincre de la nécessité de poursuivre des politiques économiques de qualité, appuyées par des réformes structurelles susceptibles d’assurer l’accroissement de la production et des échanges, d’organiser la convergence non seulement des politiques mais des performances macro-économiques au sein de l’Uemoa, autour d’une discipline budgétaire renforcée et d’une résorption des déficits publics, d’entreprendre des efforts de modernisation et de restructuration de l’espace économique de l’Uemoa pour assurer une diversification de la base productive après l’harmonisation des règles. A ce titre, une priorité élevée mérite d’être accordée à la mise en oeuvre effective des politiques communes de production requises pour l’exploitation optimale des potentialités disponibles, de manière à faire de notre sous-région un espace économique véritablement intégré. Il s’agit de créer des conditions de l’avènement de ce que j’appelle la « neuvième économie ». C’est seulement à ce prix que les Etats de l’Uemoa tireront le meilleur parti de l’avènement de l’euro ».

Pour Anicet-Georges Dologuélé, directeur général de la Banque de développement des Etats de l’Afrique centrale (BDEAC),

« Les pays de la zone franc vont désormais commercer dans la même monnaie que leurs partenaires traditionnels que sont les Européens. L’Euro est une monnaie forte et stable qui ne posera pas de problèmes de convertibilité, ce qui est un grand facteur d’intégration pour les pays de la sous-région ».

Si certains experts estiment que l’arrimage du f cfa à l’euro comporte aussi des inconvénients, Dologuélé réagit : « Toute gestion de l’économie comporte des risques. Nous ne pouvons pas continuer à gérer nos économies sans tenir compte des fondamentaux d’une économie normale. Le fait que nous soyons obligés de faire des efforts de convergence économique pour maintenir notre monnaie à un niveau stable, est une bonne chose pour la bonne santé de nos économies. Cela nous permet de rester dans le giron européen et à nos économies de rester saines ».

Qu’en est-il de l’éventualité d’une nouvelle dévaluation ? « Je pense que la seule raison qui pourrait justifier une nouvelle dévaluation du f cfa, c’est la mal-gouvernance. Si nous continuons à surveiller comme nous le faisons en ce moment les fondamentaux de nos économies, à faire en sorte que les économies convergent, à maîtriser l’inflation et à avoir de bons taux de croissance, nous ne pouvons pas avoir peur de la dévaluation. Mais si nous relâchons nos efforts, quelle que soit la monnaie dans laquelle nous ferons le commerce avec l’étranger, il est certain que nous ferons un ajustement. Pour l’heure, il n’est pas question d’une nouvelle dévaluation. Mieux, si malgré les soubresauts politiques que nous avons connus au cours de ces dernières années, la moyenne du taux de croissance dans la zone franc est de 2,5%, ce qui n’est pas rien dans le contexte actuel de l’économie mondiale, cela suppose que nous pouvons mieux faire dans les années à venir, compte tenu des efforts de pacification des guerres et des conflits qui déstabilisent notre continent. Je suis donc optimiste quant à l’avenir de notre monnaie ».

Propos recueillis par
Mohamed Yessoufou Saliou.

Envie d’accéder aux contenus réservés aux abonnés ?

More
articles

×
×

Panier