CAN 2022 CAMEROUN : Il aura fallu braver la mafia de la FIFA et de son président

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Le football africain sera à l’honneur pendant un mois. En effet, la 33e édition de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) aura lieu au Cameroun du 9 janvier au 6 février 2022. La compétition est organisée par la Confédération africaine de football (CAF) dont la création fut proposée en juin 1956, lors du 3e congrès de la Fédération internationale de football association (FIFA) à Lisbonne (Portugal) par l’Egyptien Abdelaziz Abdellah Salem. Dominée par l’Occident (seuls l’Afrique du Sud, l’Egypte, l’Éthiopie et le Soudan faisaient partie de l’association), la FIFA rejeta la proposition. Elle changea d’avis après qu’Abdelaziz eut déclaré : “Si nous ne sommes pas tous traités ici sur le même pied d’égalité, il n’est nullement question de notre présence parmi vous.” Comme quoi, il faut quelquefois frapper du poing sur la table pour se faire entendre et obtenir gain de cause.

Cette leçon, Samuel Eto’o, Didier Drogba et d’autres semblent l’avoir retenue. De quoi s’agit-il ? La FIFA souhaitait un report de la CAN. Présent à Doha, son président, le Suisse-Italien Gianni Infantino, le fit savoir au comité exécutif de la CAF, le 19 décembre 2021. Quels étaient ses arguments ? La crainte que les stades ne soient pas prêts à temps, la situation sanitaire aggravée par l’émergence du variant Omicron, la réticence des clubs européens à laisser partir les joueurs africains, un possible conflit entre la CAN et la Coupe du monde des clubs qui doit se dérouler du 3 au 12 février aux Émirats arabes unis.

Quatre jours plus tôt, l’Association européenne des clubs (the European Club Association en anglais) publiait le communiqué suivant : “La Confédération africaine de football n’a pas encore rendu public un protocole médical et opérationnel adapté pour le tournoi de la CAN, en l’absence duquel les clubs ne seront pas en mesure de libérer leurs joueurs pour le tournoi.”

Le nouveau président de la Fédération camerounaise de football (FECAFOOT), qui n’a pas sa langue dans sa poche, ne tarda pas à réagir. “Pourquoi la Coupe d’Afrique des nations ne se jouerait-elle pas ? Donnez-moi une seule raison valable ! On est en train de nous traiter comme on nous a toujours traités : Nous sommes des moins que rien et nous devons toujours subir”, avait-il contre-attaqué, le 21 décembre 2021.

Didier Drogba lui emboîta le pas dix jours plus tard. Sur Twitter, l’ancien goleador de Chelsea FC et des Éléphants de Côte d’Ivoire exprimait son indignation en ces termes : “Le respect se doit d’être mutuel (…). Il y a encore trop de discriminations, d’inégalités à l’égard de nos compétitions et de nos joueurs.” Le Britannique Ian Wright, ancien attaquant-vedette d’Arsenal, apporta son soutien aux joueurs africains en regrettant que la CAN soit le tournoi le plus méprisé. Quant à Sébastien Haller, l’attaquant ivoirien de l’Ajax Amsterdam, il jugea irrespectueuse la question d’un journaliste du quotidien néerlandais ‘De Telegraaf’. Le journaliste voulait savoir si Haller allait participer à la CAN ou rester en club tout le mois de janvier. “Cette question montre le manque de respect pour l’Afrique. Aurait-on posé cette question à un joueur européen avant l’Euro ? Bien sûr que je vais à la CAN”, répondit le meilleur buteur de la Ligue des Champions (10 buts à son compteur pour le moment). Il ajouta : “Je déteste avoir à choisir entre mon pays et mon club. C’est vraiment nul. Je joue pour le titre avec l’Ajax et ces deux matchs sont très importants pour le classement.”

Il va sans dire que je suis fier de la réaction d’Eto’o, Drogba et Haller. Ces 3 frères ont parlé comme des hommes dignes et debout. Je les félicite d’avoir refusé de se taire comme ces larbins et poltrons qui remplissent les congrégations religieuses, nos universités, gouvernements et parlements et qui n’ouvrent la bouche que pour défendre ou dédouaner l’Occident, comme si les Africains étaient responsables de l’esclavage, de la colonisation et du néocolonialisme. Il est vrai que ce n’est pas la faute de l’Occident si certains “intellectuels” ont réussi à convaincre tel ou tel autocrate que le parti unique était une bonne chose, si les routes, écoles et hôpitaux sont en mauvais état, si les Mobutu, Bongo, Gnassingbé Eyadéma, Bokassa, Compaoré, Sassou-Nguesso, Idriss Déby et Alassane Ouattara ont planqué une bonne partie de l’argent de leur pays dans des banques étrangères, s’ils ont enrichi leurs familles et clans au détriment de leurs populations qu’ils terrorisaient en même temps mais l’Afrique n’aurait-elle pas présenté un meilleur visage si des individus ou groupes extérieurs n’avaient pas renversé ou assassiné Ruben Um Nyobè, Félix-Roland Moumié, Kwame Nkrumah, Patrice Lumumba, Sylvanus Olympio, Modibo Keïta, Barthélemy Boganda, Thomas Sankara, Amilcar Cabral, Samora Machel…? Je suis de ceux qui croient que les causes de notre “retard” sont plus externes qu’internes.

Les différentes poules.

Désormais, nous devons non seulement répondre du tac au tac mais ne laisser aucun Occidental nous marcher ou nous cracher dessus. Les footballeurs africains devraient donner de la voix, pas seulement quand la CAN est attaquée, mais aussi quand les populations africaines ne sont pas en mesure de se nourrir convenablement, de s’exprimer librement, de se soigner, de scolariser leur progéniture, d’avoir des élections justes et transparentes, etc.

On souhaiterait que ceux qui prendront part à la 33e CAN aient une pensée pour la République centrafricaine et le Mali qui se battent courageusement pour sortir des griffes de la France. De la même manière que les Joseph Ki-Zerbo, Memel Fotê, Laurent N’Guessan-Zoukou et d’autres Africains volèrent au secours de la Guinée abandonnée du jour au lendemain pour avoir voté “non” au référendum instituant la communauté franco-africaine du général de Gaulle, de même tout Africain épris de liberté devrait songer à apporter une aide concrète aux Maliens et aux Centrafricains.

Certains auraient aimé que les Camerounais boycottent la fête du football africain en raison de la guerre qui ne cesse de détruire le Cameroun anglophone. Ce n’est pas l’avis de l’archevêque de Yaoundé qui a prié pour le bon déroulement de la CAN. Devait-il le faire ? Ma réponse est “oui” car on peut, tout en confiant la CAN à Dieu, Lui demander de toucher les cœurs afin que les prisonniers politiques soient libérés, que les violences puissent s’arrêter et que les parties en conflit puissent se rencontrer et discuter. Autant je ne désapprouve pas l’initiative de la prière à la basilique de Mvolyé, autant je trouve ridicule que ladite prière soit placée “sous le haut patronage de Paul Biya”. Pourquoi ? Même s’ils doivent respect et obéissance aux autorités politiques, qui doivent être au service de tous, les chrétiens n’ont pas pour patron tel ou tel président mais le Christ.

Enfin, j’espère que le gouvernement a commencé à réfléchir à l’après CAN. Il a mis beaucoup d’argent dans la construction des stades, hôtels et centres commerciaux. Il faudra non seulement veiller à ce que ces infrastructures aient une longue vie mais voir aussi comment on peut les rendre rentables.

Jean-Claude DJEREKE

est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).

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