CENTRAFRIQUE : Déby Itno, pyromane et sapeur-pompier

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Le Centrafrique n’est pas prêt de sortir de l’ornière. Tant qu’Idriss Déby Itno sera à la tête du Tchad, les Centrafricains ne vivront pas en paix. Le danger, c’est le risque de la contamination de toute la sous-région.

Le général-dictateur tchadien, Idriss Déby Itno, aurait maudit Afrique Education, après avoir pris connaissance de l’article « Tchad : Amani, la femme que Déby compte retrouver à Khartoum » (Afrique Education, numéro 376 du 16 au 30 septembre 2013). Des propos maléfiques qui se sont retournés contre son régime et sa propre personne car à la lecture de cet article, dès le 12 septembre sur internet, le sang des militaires tchadiens n’avait fait qu’un tour. Conséquence : 167 militaires tchadiens (au Mali) qui ne perçoivent pas des primes depuis huit mois alors que celles-ci auraient été allouées par l’Union européenne pour la période allant de janvier à juin 2013, se sont mutinés. En plus de ce grief, ils reprochent à leur hiérarchie de les laisser se battre dans des conditions qui font pitié, alors que leur relève ne s’est pas faite depuis août. Abandonnant leur poste de contrôle, à Tessalit, ils ont pris la direction de Gao, ville située beaucoup plus au Sud. Un signe de défiance extrême qui traduit leur ras-le-bol. A Gao, ils se sont distingués par quelques frasques dans les auberges du Tilafonso et de l’Euro où ils ont consommé et vandalisé les lieux sans payer. Samedi 21 septembre, le propriétaire du Tilafonso, devait por ter plainte. Les 2.000 soldats tchadiens envoyés au Mali sont un sujet par excellence de propagande et de vantardise pour Idriss Déby Itno. Au moment où la France s’engageait, seule, pour contenir les hordes de djihadistes qui voulaient déferler sur le Sud du Mali, après avoir envahi tout le Nord, il cherchait à se faire remarquer par le nouveau président français dont l’armée avait besoin d’être épaulée au Nord-Mali. Idriss Déby Itno trouvait là une bonne occasion pour nouer de bonnes relations avec François Hollande dont l’ambition est de « rompre avec la Françafrique », autrement dit, de couper le cordon ombilical qui relie la France (mafieuse) aux dictatures francophones d’Afrique comme celle du Tchad. Déby a beaucoup misé sur cette opération pour se faire adouber par le nouveau locataire de l’Elysée. Pour montrer le haut niveau de son engagement, il alla jusqu’à nommer son propre fils, Mahamat Idriss Déby Itno, commandant en second des FAT (Forces armées tchadiennes) dépêchées au Nord Mali. Avant de le mettre dans le Caribou militaire, il prit le soin de le bombarder général de brigade à titre exceptionnel, un beau jour de janvier 2013. Le gamin qui sortait d’un stage de 3 mois à l’Ecole militaire d’Aix en Provence, dans le Sud de la France, n’a que 29 ans. Bien sûr que cette expédition n’avait pour but que de meubler son CV encore vierge. Car Déby qui n’est pas (encore) fou donna de solides instructions au commandant en chef des FAT au Mali de ne pas aligner son fils dans des zones à risque. Toujours est-il que le 13 mai, après la fuite des djihadistes et la destruction de leurs caches d’armes et de munitions, le général Mahamat Idriss Déby Itno est rentré, à N’Djamena, triomphalement, avec 700 militaires tchadiens. Cependant, le bilan est lourd par rapport aux pertes de l’armée française : 38 morts et 47 blessés. Mais Déby n’en a cure.

Ses homologues de la CEDEAO ayant remarqué qu’il faisait de cette intervention au Mali, un élément de politique étrangère de son pays, ils ont tout fait pour le remettre à sa place. Candidat pour commander la force de la MINUSMA qui doit compter 12.600 hommes, le général tchadien, malgré l’insistance de Déby, a été devancé par le général rwandais, Jean-Bosco Kazura, venu de très loin, que toute la CEDEAO décrit comme un excellent militaire à la tête d’une armée disciplinée. Déby a avalé une grosse couleuvre face à Paul Kagame qui n’en demandait pas tant.

A Bamako où il a pris part, aux côtés de plusieurs chefs d’Etat, le 19 septembre, à la fête populaire célébrant l’installation d’Ibrahim Boubacar Keïta à la tête du Mali, le président tchadien a eu beaucoup de mal à expliquer aux journalistes pourquoi ses soldats sont seuls à se distinguer par ce comportement rarement affiché dans une mission de paix des Nations-Unies.

Les soldats tchadiens en mission au Mali auraient-ils été (spécialement) choqués que leur président débourse jusqu’à 12 milliards de f cfa (26 millions de dollars), comme l’a indiqué Afrique Education dans son numéro 376, pour payer la dot de sa 15e épouse, Amani Musa Hillal, qui est d’origine soudanaise, alors qu’ils manquent par fois de thé pour se donner des forces, au front ?

Devenu exportateur de pétrole, le Tchad dispose des ressources qui, au lieu d’aider à la promotion de son développement, sont investies dans des manœuvres de sur vie de son dictateur. Après un répit de près de six ans pendant lesquels le pays n’a pas été engagé, comme par le passé, dans d’interminables guerres contre des rébellions venant du Soudan ou du Darfour, Déby redoute de plus en plus une attaque armée soutenue par le Qatar qui viendrait de la frontière libyenne. Il n’est pas non plus tranquille à cause de la porosité de la frontière centrafricaine. Pour contenir le danger qui viendrait de ce côté, il veut contrôler son président de transition, Michel Am Non Droko Djotodia, comme ce fut le cas pendant les 10 années de François Bozizé, qui arriva, le 15 mars 2003, à Bangui, dans un fourgon blindé de l’armée tchadienne, alors qu’en marge du Sommet de la Censad, à Niamey, Idriss Déby Itno et Ange Félix Patassé, le président centrafricain de l’époque, fumaient le calumet de la paix, en frères, autour d’un thé ver t, sous la tente de celui qui se faisait appeler le Guide : le colonel Kadhafi. Au moment où Déby jouait cette comédie, ses troupes pénétraient dans Bangui « la coquette », à la grande surprise des chefs d’Etat de la sous-région. A par tir de ce moment et pendant les 10 ans qu’il est resté président du Centrafrique, François Bozizé a toujours pris ses ordres – tous ses ordres – à N’Djamena, chez Idriss Déby Itno. A commencer par l’interdiction d’exploiter le pétrole centrafricain dont la nappe se situe à cheval entre les deux pays et dont la mise en valeur des puits côté Centrafrique n’aurait pas permis son extraction normale, du côté du Tchad. Selon plusieurs sources, cette affaire de pétrole constitua le principal deal qui permit à Déby deplacer Bozizé à la tête du Centrafrique. Quand je lui rendis visite, à Lomé, en janvier 2004, Ange-Félix Patassé qui fut fraternellement accueilli par Gnassingbé Eyadèma, me dit, une, deux, trois, quatre fois de suite, pendant notre entretien, que son éviction du pouvoir par Idriss Déby Itno, le 15 mars 2003, sentait l’odeur du pétrole. Pour me convaincre, il paria avec moi que jamais, Bozizé, au pouvoir, n’exploiterait le pétrole en Centrafrique. Bozizé a, sur ce plan, donné amplement raison à son prédécesseur. En dix ans à la tête de l’Etat, il n’a jamais ouvert le dossier « Pétrole » alors que tous les pays voisins du Centrafrique en sont producteurs. Paul Biya avait raison d’accueillir François Bozizé à Yaoundé, malgré la colère de Ndjamena : c’est Idriss Déby Itno qui crée l’instabilité en Centrafrique et c’est lui qui constitue la principale menace en Afrique centrale, bien avant les djihadistes comme il a soutenu à Bamako.

Sous Michel Am Non Droko Djotodia, la situation sera-t-elle différente ? Le successeur de Bozizé est tout aussi vulnérable. Sa dépendance va s’aggraver avec l’envoi des 200 militaires tchadiens que Déby vient de convoyer, à Bangui, dans le but d’assurer sa sécurité rapprochée. Il faut noter que sous BozizéDéby avait dépêché 140 militaires tchadiens pour le garder. Ces derniers ne furent rappelés qu’en octobre 2012, signant par la même occasion, la descente aux enfers pour Bozizé qui, en 10 ans, n’avait pas été autorisé (par Déby) à monter une véritable armée digne de ce nom. Tout simplement parce que Déby ne peut supporter l’existence d’une armée aguerrie, en Centrafrique, qui contrarierait ses plans dans ce pays.

Les observateurs qui pensent que le Centrafrique redeviendra souverain, seulement, après le départ d’Idriss Déby Itno du pouvoir, n’auront pas besoin de forcer leur talent d’analyste. La dépendance de Michel Am Non Droko Djotodia à l’égard de Déby est en train d’être mise en place.

Toutefois, les Centrafricains sont de moins de moins d’accord avec cette mainmise de Déby sur les autorités de leur pays. Ils commencent à le faire savoir haut et fort. L’opinion publique centrafricaine et de la sous-région, sait que ce sont des troupes tchadiennes qui ont combattu aux côtés des éléments de la Séléka. « Nous avons des preuves tangibles que plusieurs responsables politiques et militaires de la Séléka, ont séjourné à Ndjamena, sécurisés par les renseignements tchadiens. C’est le cas des généraux Mohamed DaffaneNourredine Adam et bien d’autres », généralement, considérés, à Bangui, comme de pro-Déby, selon Ndjadder, leader des FRD (Forces révolutionnaires pour la démocratie), dans un communiqué du 20 août dernier. Selon ce responsable centrafricain qui accompagna la progression des rebelles de Michel Djotodia jusqu’aux faubourgs de Bangui, jouant par moment, le rôle de porte-parole du mouvement, « Les mêmes soutiens d’Idriss Déby continuent à alimenter en munitions, artilleries lourdes et légères, le pouvoir actuel contre les forces patriotiques centrafricaines ».Il ne faut donc pas s’étonner que les FACA (Forces armées centrafricaines) préfèrent rester dans la nature au lieu de regagner les casernes comme les y invitent les nouvelles autorités centrafricaines. Déby en RCA est à la fois sapeur pompier et pyromane.

Il est le promoteur et garant spirituel de la Séléka. Il constitue non seulement une menace pour son peuple, mais il exporte son agressivité et sa nuisance au-delà des frontières tchadiennes. Si on veut instaurer la paix en Afrique centrale, qu’on neutralise Déby.

Organisée par le Comité d’action pour la conquête de la démocratie en Centrafrique (CADCA), une manifestation a réuni des Centrafricains qui en veulent à Déby, devant l’ambassade du Tchad, à Paris, le 16 septembre. C’est-à-dire, juste au moment où ses militaires se révoltaient de leur côté au Nord-Mali, pour les avoir affamés alors qu’il est capable de débourser 26 millions de dollars pour payer la dot de sa quinzième épouse.

« Nous demandons l’arrêt des massacres par les mercenaires séléka, nous voulons que Déby retire ses envahisseurs assassins du territoire centrafricain. Nous ne voulons pas d’une recolonisation. Nous disons non à une quelconque idée d’annexion du Centrafrique par le Tchad ou le Soudan car le peuple centrafricain est souverain. Nous disons non à la mainmise de Déby sur le pouvoir central centrafricain. Les Centrafricains sont un peuple uni par une seule langue qui est le sango. On ne doit pas nous islamiser de force, une religion ne doit pas être imposée à un peuple ou à qui que ce soit. Déby doit respecter la dignité humaine. Nous demandons à François Hollande de lui donner des injonctions pour le retrait des troupes tchadiennes de la FOMAC qui sont de connivence avec les mercenaires de la Séléka. Que la communauté internationale s’occupe du problème centrafricain. Nous lançons à ce jour un vibrant appel à la jeunesse centrafricaine pour qu’elle se mobilise davantage devant les ambassades du Tchad et du Soudan d’ici (Paris) ou d’ailleurs, pour dénoncer et demander le retrait immédiat de ces troupes », ont écrit dans une lettre rendue publique, François Passema Endjiago du Cadca, Maxime Nana du Cpca, Edwige Dondra de Fed, Nelly Gouandjia d’Ac, Nicole Pehoua de Fdca, etc.

Manifestations tombées dans les oreilles d’un sourd ? On le craint car for t du succès engrangé au Mali où il a été spécialement remercié par Ibrahim Boubacar KeïtaIdriss Déby Itno (dont l’accolade faite à François Hollande à Bamako alimente les conversations) va se croire tout permis. Déby Itno, un homme super dangereux !

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