CAMEROUN : L’Union des populations du Cameroun ou l’impossible refondation d’un parti ?

Date

A l’occasion de l’anniversaire de l’assassinat de Ruben Um Nyobe, leader historique de l’UPC (Union des populations du Cameroun), le 13 septembre 1958, à Libél Li Ngoï dans les environs de Boumnyébel, par le pouvoir colonial aidé par ses affidés locaux, nous publions la réflexion d’un militant dont le souci est de l’aider à reprendre, véritablement, sa place, toute sa place, rien que sa place, dans le paysage politique camerounais.

J’ai lu avec un grand intérêt la contribution du révérend Dr Simon Bolivar Njami-Nwandi intitulée « Au nom de l’UPC, j’en appelle à la Nation » parue dans Cameroon-Tribune, édition du 11 juillet 2013. Il ne s’agit pas, ici, pour moi, de prendre position par rapport aux propositions de l’ancien ministre, ni même de commenter son expérience upéciste telle qu’il l’a relatée, et que je trouve, toutefois, peu conforme à la vérité historique…

Je souhaite, simplement, me pencher sur l’avenir immédiat de l’UPC (Union des populations du Cameroun), au regard des évènements récents concernant la recherche de l’unité de ce par ti politique et les efforts des uns et des autres pour sa refondation.

En prélude à la réunion du 17 janvier 2012, à Yaoundé, qui devait rassembler la grande majorité de ceux qui se réclament de l’UPC, à l’exception notoire de la direction de l’UPC dite des fidèles, j’avais publié un article de presse intitulé : « L’UPC à la croisée des chemins, quelle unité pour quelle UPC ». J’y donnais mon point de vue sur ce que je considère comme étant essentiel dans la problématique unitaire de notre parti :

– des élections comme objectif immédiat en vue de l’unité ;

– des luttes de leadership ;

– de la légalité et la légitimité de l’UPC ;

– du tribalisme et du régionalisme au sein du Parti ;

– de l’identité de l’UPC, son orientation politique, son programme de gouvernement et son projet de société.

Le consensus minimum obtenu le 17 janvier 2012 avait permis de tenir le 10 mars 2012, à Libamba-Makak, ce que nous avons appelé « Conférence des cadres ». Celle-ci formula des recommandations pertinentes à soumettre au Congrès de Douala convoqué pour se tenir les 17 et 18 mars 2012.

Des délégations invitées étaient présentes à la cérémonie d’ouverture de ce Congrès parmi lesquelles, une délégation de haut niveau du RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais, parti au pouvoir, ndlr) conduite par le Dr Hamadjoda Adjoudji, secrétaire général-adjoint du comité central. Ce qui n’aura pas empêché le pouvoir-RDPC, à travers le Minatd (Ministère de l’Administration territoriale), de refuser de prendre acte des décisions de ce Congrès, comme l’y oblige pour tant la loi. Cette violation de la loi va s’avérer être la véritable responsable de la création des « factions » au sein de l’UPC, que le Minatd fait semblant, aujourd’hui, de déplorer, pour mieux asseoir son immixtion permanente dans les affaires internes de ce parti.

Les résolutions du Congrès de Douala étaient de nature à booster l’unité et la refondation de notre parti. Hormis la désignation des dirigeants, voici les principales décisions qui y ont été adoptées :

– Renforcement de la logique de rassemblement et poursuite du processus de l’unité ;

– Arrêt des poursuites judiciaires en cours, à l’encontre des camarades upécistes ;

– Préparation en vue de la participation aux élections ;

– Restructuration et organisation du parti à la base par la mise en place des comités de base, comités centraux et sections d’arrondissement ;

– Mobilisation financière pour soutenir l’activité du parti ;

– Organisation d’un congrès consensuel dans un délai de 24 mois.

Au-delà de ces décisions formelles, la quasi-totalité des participants au Congrès de Douala se sont prononcés contre la poursuite de la politique d’alliance avec le RDPC. Est-ce pour cette raison que le Minatd a refusé de « reconnaître » la direction de l’UPC sortie de ce congrès ? Prenant prétexte des « contestations » de cette Direction, le Minatd a encouragé la naissance et permis l’existence de « factions » qui serviront, plus tard, à justifier le rejet des candidatures de l’UPC aux élections sénatoriales d’avril 2013. Le Minatd se chargeant, donc, lui-même, de rassembler ces « factions », afin de permettre la participation de ce parti politique aux prochaines élections législatives et municipales. Tout est mis en œuvre pour accréditer l’idée selon laquelle l’UPC est sous tutelle gouvernementale, incapable par elle-même de réaliser son unité.

Le Congrès de Douala m’avait chargé, en ma qualité de vice-président, de suivre, particulièrement, le processus de l’unité. En novembre 2012, j’ai rédigé un rapport préliminaire qui faisait ressortir les premières conclusions ci-après :

– L’UPC doit pouvoir régler, toute seule, ses problèmes d’unité, sans immixtion du pouvoir RDPC. Pour ce faire, l’UPC doit, clairement, proclamer son autonomie politique par rapport au RDPC. Si l’unité s’avère, véritablement, impossible du fait de divergences idéologiques et programmatiques inconciliables, l’administration devrait se rendre à l’évidence qu’il existe plusieurs UPC dont chacune devra s’identifier par une particule particulière, rien ne s’opposant, légalement, à cela. En 1997, le Minatd avait bien fait concourir une UPC K et une UPC N aux élections législatives ; l’UPC Manidem interdite par le même Minatd était pour tant reconnue comme étant légale par la Cour Suprême… Chaque UPC serait alors, légalement, libre de s’organiser sur l’ensemble du territoire national et pourrait, ainsi, pour son propre compte, concourir à l’expression du suffrage.

– Dans le cafouillage actuel voulu par le pouvoir, les vrais upécistes doivent renforcer leur travail de mobilisation et d’organisation qui, seul, permettra de bâtir la véritable unité du parti, sur la base d’une orientation politique élaborée de façon consensuelle.

– Continuer à courir derrière une unité de façade parce que le pouvoir le veut à la veille des élections, est une chimère et un leurre, qui fait en réalité le jeu d’un adversaire politique.

Cette dernière assertion s’est vérifiée le 2 juillet 2013. L’UPC a retrouvé son « unité » sous la férule de René Emmanuel Sadi (ministre de l’Administration territoriale), comme en 1997, avec Peter Mafany Musongue (premier ministre à l’époque) et Augustin Kodock-Ndeh Ntumazah, et comme en 2002, avec Ferdinand Koungou Edima et Augustin Kodock-Henri Hogbe. Chacun peut se souvenir des résultats obtenus par l’UPC aux élections de 1997 et 2002 après l’« unité » forgée par le pouvoir ! Malgré ces rappels, on n’a pas voulu en tirer les leçons pour les prochaines élections.

A la veille de l’annonce des prochaines élections, l’UPC était sur le point de construire, elle-même, son unité avec trois factions sur quatre. Après les rencontres préliminaires de Yaoundé, Eséka 1 et Eséka 2, les trois courants de l’UPC se sont réunis, à Edéa, le 29 Juin 2013, pour finaliser leur entente. Curieusement, c’est le moment que choisit le Minatd pour convoquer des dirigeants de l’UPC, à Yaoundé, le 02 juillet 2013, pour leur « recommander » la mise sur pied d’un « Comité Provisoire » ; la même solution que la Réunion d’Edéa venait d’adopter de façon autonome, avec des arrangements démocratiques clairs. Pourquoi le Minatd s’est-il, donc, une fois de plus, immiscé dans les affaires internes de l’UPC ?

Manifestement, le pouvoir RDPC ne veut pas voir l’UPC résoudre, par elle-même, ses problèmes. Et il se trouve des « dirigeants upécistes » pour lui faciliter la tâche. Le pouvoir peut, donc, ainsi contrôler notre Parti et en faire ce que certains appellent « UPC gouvernementale ». Le prétexte selon lequel, seule la concertation du 2 juillet chez le Minatd pouvait permettre la confirmation de la participation de l’UPC aux élections, ne tient pas débout. Les résolutions d’Edéa avaient défini le schéma d’entente pour aller aux élections de façon concertée, ainsi qu’un train de mesures politiques pour la préparation d’un prochain congrès consensuel. Il n’y avait donc aucun besoin de recourir au parrainage du Minatd. D’autant plus que les pouvoirs exclusifs donnés au « Comité Provisoire » fragilisent le consensus d’Edéa. Les investitures de candidats vont, dans certains cas, ignorer l’organisation du parti à la base puisqu’elles ne relèvent que du seul « Comité Provisoire » dont les 6 membres sont juges et parties. Si on voulait hypothéquer le succès à ces élections dans certaines circonscriptions, qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Il faut observer que la mobilisation et l’organisation à la base n’auront pas été le premier des soucis de la plupart des « dirigeants », depuis mars 2012. En effet, la volonté de devenir député ou conseiller municipal donne lieu à une grande agitation qui aurait pu servir, efficacement, à la mise en place des structures du parti, véritables socles électoraux…

La grande majorité des candidats de l’UPC aux prochaines élections sont persuadés que les électeurs voteront le « crabe » (sigle de l’UPC) sans réfléchir… Certains sont tout aussi convaincus que leur «allié » leur laissera en cadeau quelques places, un peu comme avec le SDF (Social Democratic Front) aux dernières sénatoriales. Le gouvernement pourrait même, après les élections, ouvrir ses portes à quelques-uns d’entre eux ! Pourquoi pas ? Encore faudrait-il que le pouvoir ait besoin du soutien de l’UPC, comme en 1992, lorsque Augustin Kodock Bayiha, pouvait, véritablement, soutenir le pouvoir en difficulté. Même si cette politique d’alliance à sens unique n’a fait que détruire l’UPC jusqu’à la réduire à sa plus simple expression de parti régional, voire, ethnique (de 18 députés en 1992 à 0 en 2007). L’UPC ne le mérite pas ! L’UPC doit retrouver son autonomie lui permettant de définir son identité propre, son programme de gouvernement et son projet de société. Ce n’est qu’ainsi que notre mouvement pourra exploiter son potentiel réel de mobilisation et d’organisation, seul susceptible de lui permettre d’atteindre ses objectifs politiques.

Je soutiens qu’il faut participer aux élections tout en étant bien conscient des conditions réelles du processus électoral en vigueur dans notre pays. En ayant, clairement, à l’esprit, les objectifs à poursuivre dans la compétition électorale. Malgré l’institution de la biométrie à l’inscription, largement, boudée, d’ail -leurs (5 millions d’inscrits seulement contre 7 millions en 2011), le processus électoral camerounais, en l’état actuel des choses, ne peut être ni transparent ni équitable. La distribution illégale des car tes électorales sous la houlette du RDPC et d’autres partis, avec la couverture d’Elecam (Elections Cameroon), est une indication claire des fraudes programmées. La gestion des résultats de votes (du dépouillement à la proclamation) permet au pouvoir de les manipuler légalement. Les résultats provisoires (tendances) qui devraient être publiés dans chaque bureau de votes et relayés par tous les médias dans les 48 h, au plus tard, doivent attendre des semaines avant leur proclamation officielle, pour étouffer les voix discordantes. Entre temps, les procès-verbaux sont gérés de façon discrétionnaire par les seuls agents d’Elecam qui ne sont pas, toujours, si éloignés des responsables du Minatd… C’est pourquoi certains peuvent parler, à juste titre, de résultats connus d’avance sans sondages préalables, opportunément, interdits.

Quoi qu’il en soit, la mobilisation des militants et l’organisation du parti constituent des objectifs, suffisamment, importants pour justifier, à eux seuls, la participation aux élections. La conquête de quelques sièges de député ou de conseiller municipal, dans les conditions électorales actuelles, serait un vrai bonus utile à la mobilisation et au travail d’organisation du parti. Ce qui veut dire que les conquêtes électorales devront être au service du parti, et non, au service d’une quelconque politique personnelle, et sur tout, pas de cette « alliance » qui a noyé l’UPC. Ma position est contraire au boycott des élections prôné par l’UPC dite des fidèles, par exemple. Le fait de réclamer, légitimement, un Code électoral consensuel plus juste et plus équitable et, particulièrement, une CENI (qui n’est pas une panacée, il faut le souligner), ne doit pas signifier l’abandon de l’objectif de conquête du pouvoir par les urnes ; à moins de recourir à une autre stratégie qu’il faudrait alors assumer.

L’UPC dite des fidèles semble se complaire dans une position de parti « révolutionnaire » qui n’assume pas ses choix idéologiques. Si l’UPC ne saurait être un par ti de « collabos », elle ne saurait, non plus, se cantonner dans une tour d’ivoire, sans réelle prise sur la société et les évènements… L’UPC a vocation à redevenir un grand mouvement de masse, nationaliste et révolutionnaire, dont l’objectif politique est la prise du pouvoir pour changer le Cameroun. Pour ce faire, la refondation de notre parti est indispensable. Comment y par venir ? J’ai ouvert quelques pistes de réflexion, à ce sujet, dans l’article de presse évoqué plus haut.

Les élections, quelles qu’en soient les conditions d’organisation, ont, toujours, été utilisées par certains dans l’UPC pour contrôler le parti, avec l’aide du pouvoir en place, afin de faire la politique de ce pouvoir. Il en fut, ainsi, avec Théodore Mayi Matip et ses amis, après l’assassinat de Ruben Um Nyobe et le bannissement de Félix Moumié et ses compagnons. Augustin Kodock profita, aussi, des élections de 1992 pour assurer son contrôle total sur l’UPC avec l’aide du pouvoir RDPC. Mais, dès 1997, le nombre de députés UPC ne dépassera plus le chiffre de trois (3). Pour les législatives du 30 septembre 2013, il faudra être bien optimiste pour espérer mieux, toutes choses étant égales par ailleurs ! En fait, on risque, seulement, d’accompagner les autres dans ces élections avec l’espoir de glaner, au moins, un siège qui vaudra bien son pesant d’or… Mais une fois élu, il ne faudra pas chercher à se servir de l’UPC comme marchepied pour faire une politique personnelle. Avoir des élus pour un mouvement politique devrait être un avantage, à condition que ces élus se considèrent comme de véritables officiers commis au seul service du parti. Aujourd’hui, à l’UPC, il s’agira pour les élus et tous les autres cadres et militants, de se mettre, résolument, à la refondation. Ce qui suppose une clarification idéologique et une solide organisation sur le terrain.

La refondation de l’UPC doit commencer par la définition claire de son orientation politique et de son identité. La Conférence des cadres de Libamba-Makak avait entamé ce travail, qui devra être finalisé au prochain congrès consensuel. Il appartiendra à la commission politique préparatoire du congrès d’en apprêter les documents nécessaires au débat.

La refondation de l’UPC doit reposer sur une solide organisation. Comme pour toute construction ou reconstruction, il est nécessaire de faire au préalable l’état des lieux. Concernant l’UPC, il faudrait avoir l’honnêteté de reconnaître la faiblesse organisationnelle actuelle du mouvement. Inutile de continuer, seulement, à répéter : « Parti historique… Parti qui restera… Ame immortelle ». Ces seules incantations ne ramèneront pas le puissant mouvement de masse qu’avaient réussi à construire Ruben Um Nyobe et ses compagnons. Il nous faudra reprendre le travail de terrain par la mise en place systématique des organismes de base (comités de base, comités centraux et sections) sur l’ensemble du territoire national. Ce travail ne pourra se faire, efficacement, qu’avec les jeunes qu’il faut mobiliser et responsabiliser dans le parti. Sans oublier l’éducation politique qui doit viser à armer, politiquement, les militants au plan théorique et pratique pour l’action.

Afin d’engager, véritablement, la refondation de l’UPC, il faudra, d’abord, réussir son prochain congrès. La préparation de celui-ci devra se faire dans l’esprit des résolutions adoptées à Edéa, le 29 juin 2013. Ce qui signifie, en clair, que l’arrangement du 2 juillet avec le Minatd pour aller aux élections ne devra pas servir à certains pour essayer de piloter, « souverainement », la préparation et la tenue du congrès, sous couver t du Comité Provisoire façon Minatd. La Commission préparatoire du Congrès devra être représentative de tous les courants upécistes. Les délégués au congrès seront désignés par les Comités de base de toutes tendances ou factions dûment vérifiés par la sous-commission organisation, suivant des critères consensuels. Les dirigeants actuels issus des différentes « factions » seront d’office délégués au congrès, mais, sans privilèges particuliers quant à la conduite des travaux du congrès. Même chose pour ce qui concerne les éventuels élus députés ou conseillers municipaux. La Direction qui sortira du congrès devra être le reflet d’une ligne politique bien déterminée, et non le résultat de combinaisons entre « personnalités ».

Le prochain congrès de l’UPC devra s’attacher à définir une ligne politique claire et un plan d’action susceptible de relancer le parti, c’est-à-dire, le refonder. Mais, si les uns et les autres retombent dans des querelles de personnes et de leadership stériles, qui cachent, souvent, de vrais choix politiques, il faudra, bien, se rendre à l’évidence que « l’UPC une et indivisible » aura vécu. Inutile d’en appeler à la nation comme le fait le pasteur Simon Bolivar Njami-Nwandi; un appel du pied pour officialiser l’intégration de l’UPC dans l’Etat-RDPC et son système néocolonial. Il faudra se rendre à l’évidence que deux lignes inconciliables traversent l’UPC : la ligne de ceux qui veulent, simplement, faire chemin avec le système et la ligne de ceux qui veulent le changer, changer le Cameroun.

Il n’y a pas de compromis possible entre les deux lignes. Si l’UPC tient à redevenir ce grand mouvement nationaliste que Nelson Mandela a cité parmi les mouvements africains de libération qui ont influencé son action, le prochain congrès devra choisir le chemin de Ruben Um Nyobe et ses compagnons, le chemin de la refondation. En tout cas, c’est mon vœu le plus cher en cette date mémorable du 13 septembre.

*militant de l’UPC

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