CENTRAFRIQUE : La double bataille insoupçonnée de Sassou Nguesso

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Elue présidente de transition par le Conseil national de transition (CNT), lundi 20 janvier, par 75 voix contre 53 pour son adversaire, Désiré Kolingba, l’ancienne maire de Bangui, Catherine Samba-Panza, va, désormais, conduire la transition, aux côtés du premier ministre chef du gouvernement, André Nzapayeké.

Née le 26 juin 1954, au Tchad, d’un père camerounais et d’une mère centrafricaine, la nouvelle présidente n’a conservé que la nationalité de sa mère. Elle devrait disposer de moyens accrus pour réaliser sa difficile mission : l’Europe va envoyer un contingent de 500 soldats (qui pourrait à terme être doublé) pour épauler les 1.600 soldats français et les 6.000 soldats (à terme) de la Misca. La communauté internationale compte allouer 496 millions de dollars d’aide, en 2014, pour faire face aux urgences de toutes sortes. Bref, après des mois et des semaines de tergiversation, la nouvelle présidente va avoir ce que n’avait cessé de réclamer la précédente équipe de transition. La seule inconnue reste l’attitude des Anti-Balaka et des Ex-Séléka, qui ne donnent pas l’impression de vouloir désarmer. Quand voudront-ils déposer les armes ?

Lundi 13 janvier, dans l’après-midi, nous recevons un e-mail d’un de nos informateurs congolais qui dit ceci : « Je vous confirme que le vieux dictateur sanguinaire et corrompu, Denis Sassou Nguesso, arrive, à Paris, le 16 janvier 2014. Il y séjournera, pendant 4 jours, et aura son troisième tête-à-tête avec François Hollande. Surtout, il fera un bilan de santé avec son médecin traitant (pour sa prostate), le professeur Claude Maylin, qui était d’ailleurs, à Brazzaville » ces derniers temps.

Visite privée ou visite de travail ? On n’en sait trop rien. Les collaborateurs du chef de l’Etat français contactés, brandissent son agenda officiel, pour dire qu’il n’y a pas de visite de prévu, ou du moins, ils ne sont pas au courant d’une quelconque réception du chef de l’Etat congolais. Ils n’ont pas tout faux car le président congolais, comme quelqu’un qu’on cache, a été légué au rang des visiteurs du soir, loin des yeux indiscrets. C’est Jean-Yves Le Drian, qui aurait forcé cet entretien auprès de l’Elysée. Au Quai d’Orsay, on commence à le trouver encombrant dans le dossier centrafricain. En effet, Denis Sassou Nguesso n’ayant pas bonne presse, ce n’était vraiment pas le bon moment pour François Hollande, de s’afficher avec lui. Même si c’était pour parler du Centrafrique. Au ministère de la Défense, on pense le contraire. Denis Sassou Nguesso n’est-il pas le médiateur nommé par les chefs d’Etat de la CEEAC (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale), pour régler au mieux, les querelles au quotidien de ce conflit ? Pour bien remplir sa tâche, il a même nommé, sur place, à Brazzaville, son représentant personnel en la personne du général Noël Léonard Essongo qui suit les problèmes de la transition au quotidien et essaie, quand la nécessité se fait sentir, d’y apporter des solutions au nom du médiateur. Pourtant, Sassou a de la suite dans les idées. Il s’est rappelé que son homologue français qui le snobe, depuis l’année dernière, ne manque pas une occasion pour déclarer que « la Françafrique, c’est terminé ». Pour lui montrer que la Françafrique est encore bien vivante, il se fait donc inviter, un vendredi 17 janvier, en pleine nuit, comme s’il y avait mort d’homme. La date n’est pas choisie au hasard. On est à trois jours de l’élection du président de transition, que

Sassou a les pleins pouvoirs de superviser, en tant que médiateur. Il n’a besoin de consulter personne, les chefs d’Etat de la CEEAC lui ayant donné car te blanche, lors du 6 e Sommet extraordinaire, tenu les 9 et 10 janvier 2014, à N’Djamena, pour remplir cette mission précise. Malgré ce feu plus que vert, Sassou vient (tout de même) demander l’avis de Paris, avant d’engager le processus de désignation de ce président, alors qu’il sait que les autorités françaises (Laurent FabiusJean Yves Le Drian et même François Hollande) passent leur temps à rassurer sur la non-implication directe ou indirecte de Paris dans cette désignation, celle-ci étant pour eux du seul ressort des Africains.

Faux ! Semble leur répondre Sassou. La presse française, plusieurs jours avant que le Sommet de N’Djamena n’ait eu lieu, ne décrivait-elle pas le scénario du limogeage de Michel Djotodia ? Pour elle, en effet, le départ de ce dernier a été acquis à la demande de la France, le président François Hollande ayant urbi et orbi déclaré, pendant une interview radiotélévisée en marge du Sommet de l’Elysée, le 7 décembre 2013, qu’on ne pouvait « pas laisser en place un président qui n’a rien pu faire, qui a laissé faire » les massacres. Visiblement piégé, le président français, par la suite, aidé en cela par son ministre des Affaires étrangères et l’ambassadeur de France en Centrafrique, a fait un rétropédalage. Malheureusement, le vin était tiré. Il fallait le boire et assumer le fait que, contrairement, au dossier malien où l’attitude de la France est irréprochable, en Centrafrique, elle n’est pas différente de la fâcheuse période de la Françafrique sous les prédécesseurs de François Hollande. La présence de Laurent Fabius à l’investiture de la présidente de transition, Catherine Samba-Panza, à côté du seul chef d’Etat du Gabon, Ali Bongo Ondimba, illustre bien que, les pays qui interviennent en Centrafrique sont loin de jouer une même partition, même si, sous couvert de la communauté internationale, on essaie de parler le même langage.

En venant, à Paris, où le très rusé Denis Sassou Nguesso en a profité pour faire une batterie d’examens médicaux alors que c’est en Espagne qu’il a choisi de se faire soigner depuis quelques années, le but de son voyage était vraisemblablement de « mouiller » la France (jusqu’au cou), dans le dossier centrafricain et de se conformer à sa logique des accusations énoncées dans son interview, à Paris Match, en décembre 2013, sur les 50 ans de néo- colonisation française comme cause principale des difficultés que rencontre ce pays. L’élève n’étant pas, en permanence, médiocre, Sassou a gagné un point dans sa démonstration cruelle. C’est l’attitude des Français dans leur gestion du dossier centrafricain, qui incite à démontrer que « chassez le naturel, il revient au galop », parlant de la Françafrique.

Denis Sassou Nguesso avait pourtant ses propres raisons de ne pas être à Brazzaville, le 16 janvier 2014. Invité au Sommet des Grands Lacs, à Luanda, le 15 janvier, par le président, José Eduardo dos Santos, qui avait beaucoup contribué à l’installer au pouvoir, par un coup d’état militaire, en octobre 1997, mais qui entretient, aujourd’hui, de très mauvais rapports avec lui, Sassou dont l’armée a été chassée de ses positions, sur une partie de la région du Niari par l’armée angolaise (plus forte), ne devait pas être très à l’aise, dans cette fâcheuse posture, face à Ingénieur José Eduardo Dos Santos. Et ce malgré le fait que ce Sommet avait inscrit, à juste titre, le Centrafrique à l’ordre du jour des travaux. Sassou a trouvé une bonne excuse pour ne pas y participer, en se rendant, à Paris, où il sait qu’on ne pouvait pas lui fermer la porte compte tenu du fait qu’il s’est octroyé une place centrale dans la résolution de la crise centrafricaine, qui tient beaucoup les Français à cœur.

Fallait-il (finalement) opter pour le départ de Michel Djotodia et de son premier ministre Nicolas Tiangaye ? Cette question fera l’objet de débats tant que la présidentielle ne sera pas organisée en Centrafrique. Car si le Centrafrique a fait appel aux armées française et africaines pour essayer de stabiliser le pays où des tueries intracommunautaires et interreligieu ses commençaient à devenir massives, c’est parce que Michel Djotodia et Nicolas Tiangaye en étaient incapables. L’ancien président de la transition, comme il l’avait déclaré à plusieurs reprises (lire notamment son interview dans le numéro 381 du 16 au 31 décembre 2013 d’Afrique Education), n’a pas fait un coup d’état pour résoudre, dès le lendemain de sa prise du pouvoir, tous les problèmes centrafricains. Il dit avoir fait un coup d’état pour chasser François Bozizé du pouvoir. Ce dernier, rappelle-t-on, avait signé les Accords de Libreville, le 11 janvier 2013, dans la capitale gabonaise, qu’il ne voulait plus respecter. Alors que les chefs d’Etat de la CEEAC avaient autorisé qu’il termine son deuxième et dernier mandat, en 2016, à la tête du Centrafrique, Bozizé dénonça cet Accord de Libreville, une fois de retour, à Bangui. Croyant avoir solidifié, entre-temps, son régime au point de se passer des concours de ses voisins, il (re)commença à manœuvrer, comme avant l’arrivée de la rébellion Sélaka) pour modifier la constitution afin de se représenter pour un 3 e mandat, en 2016. Une chose que ni la Séléka, ni la société civile, ni l’opposition démocratique représentée par le FARE, ne pouvaient accepter.

L’argument que Bozizé assénait pendant ses meetings de mobilisation, était celui-ci : « Pourquoi, lui, devait quitter le pouvoir et pas les autres » ? Traduction : en Afrique centrale, selon lui, tous les chefs d’Etat rêvent de s’éterniser au pouvoir, parfois, en modifiant la constitution ou en prenant quelques liber tés pendant les élections qu’ils ne perdent jamais. Pourquoi ces chefs d’Etat qui ne donnent pas le bon exemple, chez eux, deviendraient-ils des donneurs de leçons écoutés, juste parce qu’il s’agit du Centrafrique ? Il faudra donc reconnaître qu’en chassant Bozizé du pouvoir, Michel Djotodia et la Séléka ont fait œuvre de salut public. La situation, par la suite, a dégénéré parce que voyant qu’il perdait, effectivement, le pouvoir et qu’il ne pouvait, réellement, compter sur celui de l’Ouganda et de l’Angola qu’il avait approchés en vain, Bozizé qui avait commencé, depuis plusieurs semaines à distribuer des armes et des machettes à ses partisans, est monté d’un cran avec un discours haineux qui disait que le Centrafrique, pays à grande majorité chrétienne et animiste, ne pouvait être dirigé par un chef d’Etat musulman. Autrement dit, que Michel Djotodia, de confession musulmane qui aspirait à le remplacer, n’était pas habilité à diriger les chrétiens centrafricains.

Chassé du Cameroun qui ne voulait pas devenir la base arrière des actions militaires contre le pouvoir de DjotodiaFrançois Bozizé s’est rendu, en Ouganda, où il trouve une oreille attentive auprès de l’ancien maquisard et non moins président, Yoweri Museveni, ennemi juré de l’Occident. De ce pays, mais aussi, du Soudan du Sud où le président Salva Kiir Mayardit a du mal à contrôler l’ensemble de son territoire, il pouvait, facilement, organiser la déstabilisation du pouvoir de transition d’autant qu’il avait averti, fin mars 2012, au lendemain de sa chute, après avoir dénoncé l’attitude complice du président tchadien Idriss Déby Itno dans la façon dont Séléka avait pris le pouvoir, à Bangui, que lui, Bozizé, allait, lui aussi, s’organiser pour faire tomber Idriss Déby Itno.

En marge du Sommet de l’Elysée, les 6 et 7 décembre 2013, à Paris, Denis Sassou Nguesso, au détour d’une conversation informelle, aurait, subtilement, demandé au président ougandais si c’était vrai comme véhicule la rumeur, que Bozizé a installé ses quartiers en Ouganda ? Sentant le piège, en tout bon ancien maquisard, Museveni lâcha une réponse que même les Normands éprouveraient du mal à formuler. Museveni aurait alors répondu à Sassou : « Si Bozizé était en Ouganda, c’est qu’il n’est plus là… ».

Où se nicherait-il alors puisqu’il ne peut plus mettre les pieds au Cameroun où le président Paul Biya éprouve beaucoup de mal à sécuriser la frontière Est de son pays avec le Centrafrique ? Car c’est bien Bozizé qui a armé les Anti-Balaka qui ne font pas de quartier quand il s’agit de régler des comptes aux musulmans. Après avoir détruit son propre pays (avec la très efficace aide de l’Ex-Séléka), François Bozizé ciblerait désormais le Tchad.

Catherine Samba-Panza bénéficie, dans les discours, d’un soutien appuyé de la communauté internationale : un demi-millier de soldats européens et 496 millions de dollars d’aide humanitaire en 2014. Entre les promesses et les réalisations effectives, l’écart est souvent important.

La preuve : dans un communiqué parvenu à notre rédaction, lundi 20 janvier, ACF (Action contre la faim) s’insurgeait contre les promesses non tenues : « Nous remercions les Etats membres et les bailleurs de fonds institutionnels pour leur engagement financier de 366 millions d’euros qui ouvre une nouvelle perspective, heureuse, espérons-le, pour le Centrafrique. ACF attend maintenant que ces engagements se concrétisent et que les fonds se débloquent rapidement », réclamait son directeur des Opérations. On ne perd rien à attendre.

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