CONGO-BRAZZAVILLE : Romain Bédel Soussa : « Non à la modification de la Constitution »

Date

Propos recueillis par Moussa Konaté et Aristide Koné

Candidat à l’élection présidentielle de 2009, le président du CRAC (Comité de résistance et d’action pour le Congo), Romain Bédel Soussa agit, en ce moment, pour que le président, Denis Sassou Nguesso, ne modifie pas la constitution et quitte le pouvoir, en août 2016, au plus tard. Ancien proche conseiller de l’ancien président, Pascal Lissouba, chassé du pouvoir par un coup d’état du général, Denis Sassou Nguesso, en octobre 1997, Romain Bédel Soussa explique pourquoi il est contre toute idée de modification de la constitution.

AFRIQUEDUCATION : Il y a un an, juste, que vous vous adressiez aux lecteurs d’Afrique Education, dans le numéro 367 du 1er au 15 mai 2013. Qu’est-ce qui a changé depuis l’année dernière au Congo ? Plus précisément, le président Denis Sassou Nguesso a-t-il décidé, finalement, de modifier la constitution dans le but de s’octroyer un nouveau mandat, en 2016, à la tête de l’État ?

Romain Bédel Soussa : Depuis mon interview dans votre Magazine à ce jour, la situation de notre pays s’est de plus en plus détériorée. Je le savais, c’est pourquoi j’avais adressé, le 15 février 2013, une lettre au président, Denis Sassou Nguesso, pour lui rappeler l’importance des engagements qu’il avait pris devant le peuple congolais, à propos de la Constitution du 20 janvier 2002.

Le président, Denis Sassou Nguesso, est arrivé, au pouvoir, par un coup d’état militaire qui avait fait plus de 30.000 morts. Pour transformer sa victoire militaire en victoire politique, il a élaboré une constitution taillée sur mesure, et votée par référendum, le 20 janvier 2002.

Désirant se maintenir, à vie, au pouvoir, il est, aujourd’hui, pris dans son propre piège, le piège qu’il avait tendu à ses adversaires politiques (Bernard Kolélas notamment). Selon l’article 57 de ladite constitution, « le président de la République est élu pour un mandat de sept ans au suffrage universel direct. Il est réélu une fois ». Cet article fixe, donc, le mandat présidentiel, à sept ans, renouvelable, une fois. L’article 56 fixe la limite d’âge à la candidature, à l’élection présidentielle, à 40 ans, minimum, et 70 ans, maximum. Aujourd’hui, Monsieur Sassou a plus de 72 ans. Et l’article 185 verrouille les possibilités de révision de la constitution, sur le nombre de mandats présidentiels.

Ayant refusé de se conformer au dispositif de l’article 50 de la même constitution qui spécifie que « tout citoyen a le devoir de se conformer à la constitution, aux lois et règlements de la République », dans le but de se maintenir, à vie, sur le trône, il accumule, massivement, des armes de guerre et recrute des mercenaires. Il n’y a, donc, plus de doute à penser qu’aucun signe ne transparaît dans la volonté du président de se présenter, en 2016. Le travail de rédaction de la nouvelle constitution par le Cercle officieux (proche du pouvoir) étant achevé, il ne reste plus que le passage à l’acte. C’est ce qui justifie les déclarations de ses lieutenants et les concertations engagées par le président Sassou, avec les « sages » des différentes régions du pays. Pour préparer le passage, en force, de la modification de cette constitution, le président et son cercle rapproché, ont mis, en œuvre, tous les moyens de répression pour semer la terreur, l’oppression et la peur dans le pays. Toujours, dans le but de faire aboutir leur plan, ses hommes de main ont mis, en place, un plan d’action visant à faire des descentes, dans les régions, afin de corrompre et d’imposer, à la population, de réclamer le maintien du président Sassou, au pouvoir. Les nominations, de ses proches, aux postes, les plus sensibles, du haut commandement des Forces armées congolaises, et la terreur exercée, sur le peuple, les dirigeants politiques de l’opposition, confirment ce passage en force qui se prépare.

Cela dit, les choses peuvent ne pas se passer comme prévues. A Brazzaville, les milieux proches du pouvoir évoquent un Plan B qui mettrait, au pouvoir, son fils ou un neveu, au cas où, il ne pourrait pas se succéder à lui-même. Qu’en dites-vous ?

Il est, bien entendu, vrai que le spectre de la succession du président, Denis Sassou Nguesso, agite les membres de son premier cercle, notamment, sa famille. La hiérarchisation du pouvoir et la stratégie mise œuvre, en vue, de la transmission héréditaire, du pouvoir, sont la preuve, même, du mépris, vis-à-vis, du peuple congolais. Mais, la parole de la sagesse nous enseigne ceci : « Il y a dans le cœur de l’homme beaucoup de projets, mais c’est le dessein du créateur qui s’accomplit ». Oui, il y a certes, beaucoup d’agitation, en ce moment, mais, ce qu’il faut savoir, c’est que le Congo n’est pas un royaume. Le dessein de Dieu s’accomplira, dans notre pays, certainement.

Les relations entre le pouvoir de Brazzaville et l’Elysée, se sont, visiblement, beaucoup, réchauffées. Les deux chefs d’Etat rigolent et se font l’accolade en public, ce qui n’était pas le cas, avant. A la présidence congolaise, on n’a plus peur de dire que Denis Sassou Nguesso et François Hollande, sont des amis, et qu’ils se tutoient. Cette proximité n’encourage-t- elle pas le président congolais à prendre des libertés sur la constitution de son pays ?

Le président Sassou n’a, jamais, accepté le rejet dont il a été l’objet de la part du président, François Hollande. C’est pourquoi il a mis, en œuvre, tous les moyens pour obtenir cette accolade. Mais le président Hollande ne peut ignorer que c’est par un baiser que le Fils de l’homme a été livré, à ses ennemis, pour être crucifié. Monsieur Sassou ne porte pas Monsieur Hollande dans son cœur, et ne peut lui pardonner le traitement subi, lors de leurs premières rencontres. Vous devez savoir qu’un serpent, même métamorphosé, reste un serpent, et son venin est, toujours, mortel. Il y a, quelques mois, des meetings ont été organisés contre le président Hollande dans toutes les régions du Congo, par le pouvoir de Brazzaville. Les mêmes qui l’ont traité de tous les noms, aujourd’hui, se réjouissent parce qu’ils sont bien reçus, à l’Élysée. Après une forte pression, un harcèlement et des menaces, les dirigeants congolais sont heureux de voir celui qu’ils traitaient, hier, de tous les maux, rigoler et se faire l’accolade avec leur maître. Si tous ces bruits de bottes n’ont servi qu’à cela, c’est honteux. Toutefois, le peuple congolais n’a pas oublié les termes du discours du président Hollande lors de la convention de son investiture: « La France répugnera, sans regret, les miasmes de ce qu’on appelle la France-Afrique et qui déshonorent, non seulement, l’Afrique, mais, tous ceux qui s’accommodent de la corruption, en Afrique, au point de financer leurs campagnes électorales passées, avec l’argent de la pauvreté, avec l’argent de la misère, avec l’argent des armes. Ce temps-là est révolu ».

Sassou en profite dans d’autres domaines. On peut dire qu’il piétine la démocratie : il a suspendu et interdit une dizaine d’hebdomadaires, il y a peu de temps ; il interdit à ses opposants de se rendre à l’étranger. Beaucoup sont bloqués à Brazzaville. Il a bombardé à l’arme lourde le domicile du colonel Marcel Ntsourou, en plein cœur de Brazzaville, avec des orgues de Staline, le 16 décembre 2013. Les combats qui s’y sont déroulés, à cette occasion, ont fait plus d’une quarantaine de morts. Depuis, c’est le silence total sur cette affaire grave. Quels commentaires ces exemples vous suggèrent-ils pour le Congo, pays des droits de l’homme selon son président de la République ?

La République du Congo est membre de l’Organisation des Nations-Unies, depuis 1960, et de l’Organisation de l’Unité Africaine, depuis 1963.

Cependant, dans leur récent rapport, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et l’Observatoire congolais des droits de l’Homme (OCDH), expriment leurs vives inquiétudes et préoccupations face à la détérioration de la situation des droits humains et des libertés fondamentales, en République du Congo, notamment : la persistance de la pratique de la torture, la persécution des acteurs politiques et l’instrumentalisation de la justice pour faire taire toute voix contestataire. Ces deux organisations dénoncent, également, les actes de tortures, d’arrestations illégales et arbitraires des personnes soupçonnées de collaboration ou de connivence avec le colonel, Marcel Ntsourou, et les actes de harcèlement dont sont victimes les leaders syndicaux enseignants, par le gouvernement congolais pour anéantir leur mouvement de grève. Or, la Constitution du 20 janvier 2002 dont le président Sassou est l’auteur, stipule dans les articles 7 et 9 du titre II, sur les droits et liberté fondamentaux, que : « La personne humaine est sacrée et a droit à la vie. L’Etat a l’obligation absolue de la respecter et de la protéger. La liberté de la personne humaine est inviolable. Nul ne peut être, arbitrairement, accusé, arrêté ou détenu ».

Cependant, il est, clairement, démontré, que, malgré toutes ces dispositions constitutionnelles, les violations des libertés individuelles et collectives, les accusations et les arrestations arbitraires sont la marque de référence de ce pouvoir, aujourd’hui. Pour ce qui concerne l’Affaire Marcel Ntsourou, il suffit d’aller sur le site http://www.cracinfo.com/ pour tout savoir sur ce crime odieux.

Le colonel Marcel Ntsourou était, certes, accusé d’entretenir une milice armée. Mais est-ce le seul Congolais à en avoir, une, sous ses ordres ? Le président Sassou, lui-même, entretiendrait la Milice Tsambitso qui compte plusieurs milliers de personnes dont beaucoup d’étrangers. Cette situation ne fait-elle pas du Congo une poudrière en puissance ?

Le Congo-Brazzaville est, effectivement, en danger. Les responsables du pouvoir actuel ont pour seule préoccupation, leurs propres intérêts. Les actes qu’ils posent montrent, clairement, que le pouvoir se prépare à la guerre. En effet, le phénomène de la milice civile initié, en 1968, a été repris, en 1993, par le général, Denis Sassou Nguesso, pour nuire au pouvoir du président, Pascal Lissouba, et reconquérir par les armes le pouvoir. Cette initiative va, ainsi, donner naissance, à la création des milices ethniques, notamment :

La milice armée du général, Denis Sassou (Cobra), basée, à Oyo, son village natal ; la milice armée du défunt Bernard Kolelas, président du MCDDI (Ninja) basée, dans les quartiers Sud de Brazzaville ; la milice armée de Pascal Lissouba, président de l’UPADS (Aubevalois) basée à Aubeville. Jusqu’à ce jour, malgré le fait que le Congo dispose des casernes militaires, dans chaque région du pays, le pouvoir actuel continue à former et entretenir des miliciens congolais et mercenaires, dans le Centre de formation, à Tsambitso (12 km d’Oyo), le camp militaire de Makola, dans la Région du Koulou. Ce camp devient un centre important de formation des mercenaires issus de toutes nationalités (des Ukrainiens, des Serbes, des Kosovars, des milices hezbollahs libanais, des Syriens, des Marocains, et des Iraniens …. ). Malgré tout, le peuple congolais aura le courage et la force de marcher au travers de ces flammes menaçantes, conformément, au dispositif de l’article 10 de l’actuelle constitution.

Les élections de 2016 ne sont-elles pas menacées au regard de tous ces facteurs de déstabilisation en présence ? A quelles conditions peuvent-elles être organisées, sereinement, selon les standards internationaux ?

Les menaces sont, effectivement, réelles, pour trois raisons :

1) La prétendue candidature du président Sassou, en 2016.

Je sens, en effet, une fumée noire dans le ciel du Congo, c’est un signe qui annonce ce qui pourrait arriver, dans notre pays, au cas où le président Sassou s’entête, pour un 3 e mandat auquel il n’a pas droit. Il risquerait d’entraîner, encore, le pays dans des violences qui conduiraient le Congo vers une 3 e guerre civile. Il n’est pas, du tout, acceptable que le sang des Congolais coule, encore, dans le pays, simplement, pour les intérêts de celui qui veut se maintenir, à vie, au pouvoir.

2) Le contentieux électoral né de l’administration électorale et du cadre juridique, d’une part, du recensement et de la liste électorale, d’autre part. Le recensement administratif conduit, de manière illégale, sans la participation de l’opposition, débouchera, sur l’établissement, d’un Fichier électoral non fiable qui sera, fortement, contesté par les résistants, l’ensemble de l’opposition et la communauté internationale. Pour avoir échoué dans l’organisation des élections transparentes, libres et démocratiques, depuis son arrivée au pouvoir, par un coup d’état, le régime, en place, dans notre pays, n’est plus qualifié, pour organiser une quelconque élection, en République du Congo. Les élections, en 2016, doivent être, impérativement, organisées par une Commission électorale indépendante mise en place par la Communauté internationale. L’organisation des élections tiendra compte des principes définis par : La Déclaration de Bamako du 3 novembre 2000 ; la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance adoptée, à Addis Abeba (Éthiopie), en mai 2004 ; la déclaration sur le processus électoral dans les Etats membres de la CEEAC, de juin 2005. La Charte de l’Union africaine sur les élections, la démocratie et la bonne gouvernance, adoptée, le 30 janvier 2007, à Addis-Abeba.

L’organisation de ces élections tiendra, également, compte des recommandations de l’Union européenne et de l’ONU, formulées, lors des élections présidentielles, de 2002.

Pourquoi dénoncez-vous, avec acharnement, la médiation de Denis Sassou Nguesso, en République centrafricaine ? Est-ce parce que, chez lui, au Congo, il montre un visage hideux ?

En tant qu’Africain, animé par un sens avéré de panafricanisme, je ne peux qu’être sensible aux problèmes qui touchent la sous-région. Mais, je ne supporte pas les ruses, la manipulation et, surtout, tous ceux qui ont le sang des Africains sur leurs mains. Le président Sassou fait partie de ceux qui ont contribué à la déstabilisation de la RCA, en soutenant le coup d’état du président Bozizé, pour chasser, en mars 2003, le défunt, Ange Félix Patassé, président, démocratiquement, élu de la RCA. Autoproclamé médiateur du conflit qui opposait François Bozizé et Michel Djotodia, pour tenter de sauver le pouvoir de François Bozizé, mais hélas ! Chacun connaît, aujourd’hui, les résultats de cette médiation : c’est un échec éclatant. Cette offre de médiation, sur le terrain, en RCA, s’est soldée par un échec cuisant. Cette offre de services avait suscité l’indignation de tous les démocrates panafricains, non pas, à cause du principe de la médiation, lui-même, mais plutôt, à cause de la personnalité de celui qui désirait offrir ses services, en RCA. Bien entendu, les problèmes de la RCA concernent tous ses voisins. Les deux pays ont un destin commun et sont deux pays inséparables. Nous sommes tous concernés par ce qui se passe dans la sous-région. Mais, comment peut-on donner du crédit à une offre de services de la part d’un homme qui n’arrive, jamais, à accepter de dialoguer avec son propre peuple ? Comment peut-on faire confiance à un homme qui n’arrive pas à résoudre les problèmes de son propre pays ? Comment enfin, peut-on croire qu’un président qui est incapable de respecter les règles du jeu démocratique dans son pays, garantir les libertés et droits fondamentaux des citoyens congolais, conformément, aux dispositifs des articles 9,19 et 21 de la constitution, puisse-t-il guider les voisins ? Aujourd’hui, les deux protagonistes, Bozizé et Djotodia, sont en exil. Avec quels acteurs assure-t-on la médiation dans la résolution des problèmes de réconciliation et de cohésion nationale en République centrafricaine ?

Et pour terminer ?

Pour conclure, je dirai, simplement, qu’un homme qui a été élu, à 15%, à l’élection présidentielle, en 2009, doit tirer les leçons de ce rejet par la population. Il serait plus sage, pour lui, de tenir compte des réactions de la population et de la Communauté internationale. Le président Sassou doit faire le choix de quitter le pouvoir par la grande porte. Il dit, avec force, dans tous les milieux, qu’il est l’inspirateur de l’esprit et des valeurs de Nelson Mandela. Le peuple congolais et toute la Communauté internationale attendent que cela soit traduit par les actes. J’en appelle à la réaction du peuple congolais et de la Communauté internationale (ONU, UE, OIF…) pour dire NON à la MODIFICATION DE LA CONSTITUTION AU CONGO !

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