CONGO-BRAZZAVILLE : Sassou déclare la guerre à la presse indépendante

Date

Trois hebdomadaires indépendants : Le GlaiveLa Voix du Peuple et Sel Piment, ont écopé d’une suspension de parution de 9 mois, du 13 novembre 2013 au 14 août 2014 inclus. Motifs : injure, diffamation, publication d’articles mensongers et séditieux, propagation de fausses nouvelles et manipulation de l’opinion publique.

A première vue, le lecteur serait tenté de donner du crédit à ces balivernes qui ne sont, en réalité, qu’une manipulation politicienne des écrits des journaux sanctionnés et de leur interprétation délibérément erronée par des esprits partisans sortis des écoles des pays communistes et membres d’officines politiques du Parti congolais du travail (PCT) au pouvoir. L’occasion nous est donnée, aujourd’hui, de dire tout haut, qu’au Congo-Brazzaville,le Conseil supérieur de la liber té de communication (CSLC) est, dans sa grande majorité, composé de militants du PCT, alors que dans d’autres pays, comme le Cameroun et la République démocratique du Congo (RDC), par exemple, la régulation des médias est l’apanage des membres de la société civile ou des ecclésiastiques.

D’autre part, la plupart des conseillers et collaborateurs de cette institution a été formée en journalisme dans les pays de l’Est où on enseignait que la presse est indissociable de la propagande politique. C’est un esprit qu’on retrouve au sein du CSLC où le directeur de la communication de son président, Mieté Likibi, pour ne citer que son cas, est considéré par les journalistes de la presse privée de la place, comme étant au cœur de la répression qui s’abat sur eux. Leurs méthodes de travail et de régulation ne sont pas différentes de celles pratiquées en Corée du Nord, un pays que les dirigeants du Congo-Brazzaville, admirent, jusqu’à y commander des statues. Parlons de la suspension du journal « Le Glaive ».

Le CSLC a ordonné la suspension de neuf mois du journal « Le Glaive », parce qu’il a, simplement, utilisé le terme « cancre » pour désigner Serge Bouya, neveu du président Denis Sassou N’Guesso, après sa nomination comme directeur général-adjoint du Port autonome de Pointe-Noire. Dépourvu de toute expérience pour occuper un poste aussi stratégique alors que de meilleurs profils ne manquent pas au Congo, ce membre de la famille présidentielle a, lamentablement, échoué dans sa formation dans la marine marchande en France. Selon le Petit Robert, le terme « cancre » désigne « un élève paresseux et dont les résultats scolaires sont très médiocres », ce que le journaliste avait soutenu dans son article. Conséquence : interdiction de paraître pendant 9 mois. Bravo Sassou, a-t-on besoin de dire !

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, au Congo-Brazzaville, les expressions comme « pieds nickelés », propres aux médias chauds et abondamment utilisés dans les journaux français, sont pris pour des insultes qui peuvent entraîner une suspension par le CLSC.

LES BRAS LONGS DE JEAN JACQUES BOUYA

Selon certaines indiscrétions, « Le Glaive » aurait été suspendu à la demande de Jean Jacques Bouya, ministre à la présidence chargé des Grands Travaux, et frère aîné de Serge Bouya. Le mastodonte congolais des Grands Travaux est un poids lourd du sérail de Denis Sassou N’Guesso à qui, Philippe Mvouo, président du CSLC, dit-on, ne peut rien refuser. En effet, cette institution chargée de réguler la presse n’ayant, toujours pas, de siège officiel, c’est justement à Jean Jacques Bouya, de lui en construire un. Il faut savoir que ce dernier gère 80% du budget national, sans aucun contrôle, ce qui fait dire, au regard de la façon dont le Congo fonctionne, que ce neveu du chef de l’Etat est l’un des Congolais les plus riches. Au regard de son épaisseur au sens propre comme au sens figuré, on peut se demander ce qui aurait autrement motivé Philippe Mvouo pour sévir aussi lourdement pour si peu ?

Au Congo-Brazzaville, la vulnérabilité de la presse est telle qu’une autorité peut faire venir à son domicile le régulateur et sceller avec lui le sort d’un organe de presse contre des espèces sonnantes et trébuchantes ! Cela a-t-il été le cas pour « Le Glaive »?

LA SUSPENSION DU JOURNAL « LA VOIX DU PEUPLE » POUR UNE DURÉE DE 9 MOIS

S’agissant de « La Voix du Peuple » et de ses articles incriminés par le CSLC, sa suspension est provoquée par ses opinions qui ne plaisent pas en haut lieu. « Firmin Ayessa (ministre d’Etat, directeur de cabinet du chef de l’Etat, ndlr) sous les feux de la rampe : 500 étudiants envoyés à Cuba pour « apprendre la dictature » chez Castro » et « Crise aux frontières congolaises : les FAC (Forces armées congolaises), une coquille bien vide », sont un petit échantillon de titres par lesquels le malheur de ce journal est arrivé.

Dans le premier article, le journaliste défend le fait qu’il est encore plus judicieux d’envoyer les étudiants congolais dans les pays où ils verront leur culture démocratique se renforcer que de le faire dans un Etat comme Cuba, l’une des rares dictatures de l’Amérique latine. Un article qui aurait fait piquer un soleil à l’ambassadeur de Cuba au Congo-Brazzaville. Ainsi, pour le satisfaire et, sur tout, rétablir l’image, semble-t-il, écornée de Firmin Ayessa, par ailleurs, ami et parrain du président du CSLC, il fallait sévir. Pour montrer le niveau d’acharnement dont il fait l’objet, le journal « La Voix du Peuple » a été, rien que l’année dernière, suspendu jusqu’à neuf fois. Le CSLC lui reprochait, entre autres, d’avoir, ainsi, écrit sur Firmin Ayessa : l’égérie de la politique et des actions de Mr Philippe Mvouo. Un homme réputé comme étant la main noire du blocus observé dans l’avancement de certains dossiers à la présidence de la République.

UN ARTICLE QUALIFIÉ DE DIFFAMATOIRE ET D’ATTENTATOIRE À LA SÉCURITÉ ET LA DÉFENSE NATIONALE

Dans le deuxième article de « La Voix du Peuple » attaqué parle CSLC, il s’est agi d’une critique sévère des FAC, incapables de prévenir l’incursion des troupes angolaises sur le territoire congolais. L’article a été qualifié de diffamatoire à l’égard de l’armée et d’attentatoire à la sécurité et à la défense nationale. A l’observation, toute chose laisse penser que ce sont ces deux articles qui ont véritablement placé « La Voix du Peuple » dans le collimateur du CSLC.

Les derniers écrits du colonel Marcel Ntsourou (ancien secrétaire général adjoint du Conseil national de sécurité, accusé d’avoir planifié les explosions du 4 mars 2012, ndlr), publiés par « La Voix du Peuple » et « Le Glaive », révélant des faits graves, mais sur tout, attaquant frontalement le chef suprême des Armées, Denis Sassou N’Guesso, ont été la véritable raison de la suspension de ces deux journaux. Et pour cause, après ces publications sous forme de publitextes dans lesquels le colonel Marcel Ntsourou (comme jamais personne ne l’avait fait auparavant), s’insurge contre Denis Sassou N’Guesso, le président du CSLC a été fort opportunément réprimandé par le chef de l’Etat. Le déclic public a été la déclaration du président de la République à Oyo : « Lorsque nous lisons la presse écrite, nous sommes parfois découragés ! ». Ces propos de Denis Sassou N’Guesso ne signifient pas que la presse écrite soit médiocre au Congo-Brazzaville, comme ont voulu l’interpréter et le faire croire certains, mais plutôt, que cette dernière est devenue plus que jamais libérale et tranchante dans certaines de ses positions vis-à-vis du pouvoir.

UN RÈGLEMENT DE COMPTES

La goutte d’eau qui a fait déborder le vase est la révélation fracassante sur Adeline Ndoundou, membre du CSLC, qui détournait les salaires de ses collaborateurs qu’elle payait en deçà du SMIG. Pour un salaire initial de 195.000 F CFA (298 euros), Adeline Ndoundou ne versait au bénéficiaire que 90.000 F CFA (138 euros). Ladite conseillère à la base de cette malversation est une protégée de Philippe Mvouo, au sein de cette institution qui est fortement divisée en plusieurs clans. Dès lors, la décision de sanctionner, lourdement, « La Voix du Peuple » apparaît comme un règlement de comptes.

Au Congo-Brazzaville, seuls deux journaux ont eu l’audace de critiquer le CSLC : « Le Glaive » et « La Voix du Peuple »« Le Glaive » a vu sa réputation rehaussée par l’enquête, preuves à l’appui, menée avec brio, concernant l’attribution des passeports diplomatiques congolais à des étrangers et à des tierces personnes n’ayant pas qualité de diplomates. Une affaire restée en travers de la gorge des responsables de la diplomatie congolaise. A-t-il raison de passer dans les médias, comme a désormais coutume de le faire Philippe Mvouo, pour affirmer que ces journaux ne publient que des articles mensongers ?

DE LA SUSPENSION DU JOURNAL « SEL PIMENT »

Quant au journal « Sel Piment »,si son erreur d’avoir publié une information prise sur le net concernant la police de la RDC, et non celle du Congo-Brazzaville, peut être qualifiée de diffamatoire à l’égard de la DGP (Direction générale de la police), il n’en demeure pas moins vrai que dans les geôles du pays, plusieurs détenus perdent la vie. On en veut pour preuve, les décès de Ndakazou au commissariat du Plateau des 15 ans et de Mao dans celui de Ouenzé Manzanza, qui avaient tous succombé sous les coups des tortionnaires. En tombant sur cette information sur la toile, le directeur de « Sel Piment » a été fort outré d’autant plus qu’il pensait que c’était un cas isolé et ignoré qui s’était produit au Congo-Brazzaville. Quoi de plus normal pour lui que de le répercuter pour attirer l’attention de la hiérarchie policière et des autorités publiques ! Il s’agissait d’un homme qui a eu le crâne ouvert après des violences à lui administrées par la police de la RDC. Dans un pays où l’on veut tuer une partie de la presse, les autorités policières et politiques, y compris le CSLC, ont saisi la balle au bond en incarcérant tout d’abord Raymond Malonga, directeur de ce journal, pour propagation de fausses nouvelles, au commissariat central de Brazzaville et, ensuite, en le suspendant pour neuf mois, quand bien même il ne s’agissait pas d’une récidive dans sons cas. Alors que la police disposait de toutes les voies légales de recours : mise au point, droit de réponse et dans le pire des cas, une action judiciaire. Au moment où nous mettons sous presse, ce mardi 26 novembre, Raymond Malonga est détenu au commissariat central de Brazzaville, depuis le vendredi 22 novembre.

LE COMPLOT OURDI PAR LE POUVOIR DE BRAZZAVILLE CONTRE UNE PARTIE DE LA PRESSE

Dans le contexte politique actuel où Denis Sassou N’Guesso se prépare à changer la Constitution du 20 janvier 2002 pour rempiler à la tête de l’Etat, un plan concerté a été mis en place par le pouvoir. Ce schéma consiste à faire disparaître du marché congolais certains journaux pour éviter que ces derniers, par leurs écrits, ne s’y opposent et affermissent la majorité du peuple contre ce projet suicidaire. Rappelons au passage que le Congo-Brazzaville est un pays où l’opposition a été muselée et où seule la presse indépendante fait désormais office d’« opposition ». Le pouvoir de Brazzaville n’a, par exemple, pas oublié que pour son complot qui prévoyait de condamner à de lourdes peines d’emprisonnement le colonel Marcel Ntsourou et les autres prévenus dans l’affaire de l’explosion des dépôts de munitions, le 4 mars 2012, il a perdu la bataille médiatique – orchestrée pour préparer l’opinion nationale à accepter lesdites condamnations comme étant logiques et justifiée – face aux mêmes journaux dont il a juré définitivement la perte. Jamais au cours de son histoire, Denis Sassou N’Guesso n’est par venu à condamner des boucs émissaires comme cela a été le cas dans le procès des explosions des dépôts de munitions à Mpila. Sur ces entrefaites, les suspensions répétitives de certains journaux préparent le terrain à un retrait définitif des agréments à certains organes de presse avant le référendum constitutionnel. Comme si cela ne suffisait pas, un recensement de tous les journalistes a eu lieu à l’issue duquel, le CSLC procédera à la distribution des car tes de presse. Et, tous ceux qui n’obtiendront pas ces car tes (dont les bénéficiaires sont connus d’avance), perdront de fait le droit d’exercer le métier de journalisme sous toutes ses formes en République du Congo. On mobilisera alors, les services (DGP et DGST-Direction générale de la sécurité du territoire) qui incarcéreront ceux qui s’entêteront, afin de permettre au projet constitutionnel (non limitation des mandats et de l’âge pour être candidat à la présidentielle, ndlr) d’atterrir en douceur. Dans la foulée, il est déjà exigé aux organes de presse d’avoir des sièges de haut standing, d’inscrire le personnel à la sécurité sociale et de les payer au-delà du SMIG. Dans des pays comme le Congo-Brazzaville où les gens végètent au-dessous du seuil de pauvreté et où les organes de presse sont constitués dans des conditions telles que : qui apporte un ordinateur, qui un clavier, qui des chaises…, c’est sans compter avec les suspensions d’autant plus que le marché publicitaire est quasi-inexistant. Le CSLC en est parfaitement conscient.

LE MANIAQUE DES SUSPENSIONS EN MISSION COMMANDÉE

Il est donc avéré aujourd’hui que la presse au Congo-Brazzaville a un ennemi mortel, une peste dont il faut qu’elle se débarrasse coûte que coûte ; un prédateur haineux et tribaliste dans son genre, sans remords ni pitié qui inflige des sanctions de presque une année aux organes de presse dont la liber té de ton dérange Denis Sassou N’Guesso, ses sujets et la dictature qu’ils ont installé dans le pays. Philippe Mvouo, président du CSLC, un tyran à la tête de la régulation de la presse au Congo, sait pertinemment que 9 mois de suspension, c’est beaucoup trop lourd et long, et peut signifier la disparition définitive de l’organe de presse en question. Mais il s’obstine !

Ce « mercenaire » de la presse et cerbère d’Etat est chargé de phagocyter les journaux qui échappent à s’aligner au diktat du pouvoir dans un pays où la quasi-totalité des organes de presse sont sous la coupe réglée des dignitaires véreux tapis dans l’ombre. Ainsi, des journaux tels que La Voix du PeupleLa VéritéLe GlaiveTalassaSel PimentLe Nouveau RegardLa Griffe…sont indésirables pour une classe politique qui dirige le Congo d’une main de fer, pille et brade les richesses nationales. Philippe Mvouo, comme tout bon maniaque, avance à grandes enjambées dans sa mission diabolique pour laquelle il travaille chaque jour depuis son installation ; une idée fixe avec laquelle, il boit, mange et s’endort : s’appliquer à faire disparaître en un tournemain, et avant le changement de la Constitution congolaise du 20 janvier 2002, des journaux répertoriés dans sa liste rouge ou dans son tableau de chasse comme étant subversifs et dangereux pour ses mentors et maîtres et, sur tout, pour le coup d’Etat constitutionnel que prépare Denis Sassou N’Guesso d’ici 2016. Le péché des organes de presse précités et honnis par Mvouo, ses conseillers et les caciques du pouvoir, est celui d’éclairer sans ménagement la lanterne publique sur la mauvaise gestion de la chose de l’Etat et le non-respect des lois et règlements, notamment, des décrets (le cas de l’accord entre le Congo et la France sur l’exemption des visas sur les passeports diplomatiques) et de la Constitution maintes fois violée, profanée, même par le chef de l’Etat lui-même, au point de la banaliser, de la rendre impopulaire et d’envisager même de la remplacer ! Philippe Mvouo est de mauvaise foi, injuste et foncièrement incompétent. Un personnage manipulé et téléguidé par ses maîtres et mentors, Firmin AyessaJean Dominique Okemba et Sassou-N’Guesso qui ont sur lui le droit de vie et de mort. A preuve, le CSLC ayant par fois du mal à accéder à ses lignes budgétaires, voit, par fois, ses activités financées par Okemba, par Ayessa ou, encore, par Claudia Sassou-N’Guesso (la fille du président qui est en même temps sa conseillère en communication, ndlr).

Depuis son arrivée au CSLC, la presse congolaise vit ses heures les plus sombres, ses moments les plus difficiles, ses suspensions les plus longues et répétitives et Philippe Mvouo, qui s’en délecte comme tout véritable maniaque, aura à en répondre un jour, à la fin de leur règne, devant l’opinion nationale et internationale, comme celui qui aura étouffé l’éclatement de la vérité et favorisé le maintien d’un pouvoir autocratique auquel il est inféodé. Il sera pourchassé par tout dans le monde.

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