Les méthodes coup de poing de Donald Trump ont une limite. Elles ne peuvent réussir que si les autres pays, par faiblesse ou par complaisance, les laissent passer. Pour affronter le président américain, il faut utiliser ses propres façons de faire, user des rapports de force qu’il affectionne surtout quand ceux-ci lui sont défavorables. Aux Nations-Unies, par exemple, la Russie vient de bloquer un rapport critique d’experts chargés de l’application des sanctions internationales contre la Corée du Nord. Ce rapport fait la part trop belle aux positions de Washington dont on sait qu’elles sont jusqu’au boutistes. Moscou est en désaccord sur certains de ses éléments, ce qui est une première depuis l’imposition, en 2017, de vastes sanctions économiques contre ce pays. Parfois et surtout, avec l’aide de la Chine dans leur application.
« La discussion a été vive », a affirmé, jeudi, 30 août, l’ambassadeur russe, Vassily Nebenzia, à l’issue d’une réunion à huis clos des 15 membres du Conseil de sécurité dans une petite salle dédiée aux rencontres informelles.
Son étroitesse et la proximité des ambassadeurs autour d’une table en forme de fer à cheval sont censés faciliter les échanges et les compromis.
« Le rapport est suspendu car nous sommes en désaccord sur certains éléments et sur la manière dont le processus est conduit », a indiqué Vassily Nebenzia (sur notre photo en train de donner la bise à sa très chère collègue Nikki Haley ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU), sans qu’il précise les points de désaccord.
La Russie reprocherait, notamment, aux experts de mentionner dans leur document que la Corée du Nord a dépassé, en 2018, son quota d’importation de pétrole fixé par une résolution de sanctions adoptée en 2017.
Les Etats-Unis avaient réclamé, en vain, en juillet, l’arrêt de toute exportation de pétrole à destination de la Corée du Nord en affirmant, photos satellitaires à l’appui et par une savante estimation des tonnages de navires pris en flagrant délit, que des transbordements illégaux en haute mer avaient permis à Pyongyang d’importer davantage de pétrole qu’autorisé par l’ONU.
Dans la bureaucratie onusienne, les rapports réalisés par des experts de l’ONU sont transmis au Comité de sanctions créé pour tel ou tel pays. Les quinze membres de la plus haute instance de l’ONU siègent dans ce Comité qui, après examen, transmet formellement le document des experts au Conseil de sécurité pour être publié.
« Plusieurs de nos préoccupations exprimées lors d’une réunion du Comité de sanctions (chargé de la Corée du Nord) n’ont pas été prises en compte. C’est pour cela que le rapport est suspendu pour le moment », a expliqué Vassily Nebenzia.
Ambassadrice du Royaume Uni et présidente en exercice du Conseil de sécurité en août, Karen Pierce a confirmé que les 15 « n’avaient pas été en mesure de résoudre le problème immédiat » de la diffusion du document. « Nous avons demandé à l’ambassadeur russe de dire exactement ce qui ne leur allait pas dans le rapport mais ils n’ont pas été capables de le faire », a-t-elle précisé.
« Nous voulons bien sûr nous assurer que ces objections sont substantielles et réelles, et non vexatoires », a précisé Karen Pierce. « Nous devons publier ce rapport, il doit être remis aux membres de l’ONU. Le Conseil de sécurité est très engagé dans une application des sanctions contre la Corée du Nord et avoir ce rapport publié et appliqué », a-t-elle insisté.
Le rapport des experts souligne que la Corée du Nord « n’a pas stoppé ses programmes nucléaire et balistique et a continué de défier les résolutions du Conseil de sécurité à travers une hausse massive des transferts illicites de produits pétroliers en mer en 2018 ».
Il pointe, également, des violations d’une interdiction d’exportation du charbon, du fer et d’autres marchandises nord-coréennes qui ont rapporté plusieurs millions de dollars au régime de Kim Jong-un. Ces violations ont rendu les dernières sanctions « sans effet », ajoute le texte.
« Nous avons avec d’autres délégations exprimé notre préoccupation face aux fuites régulières à destination des médias d’informations venant du Comité de sanctions chargé de la Corée du Nord », a, aussi, indiqué Vassily Nebenzia. « Nous avons demandé une enquête sur l’origine de ces fuites mais certains membres du Conseil n’en veulent pas et nous allons travailler sur ce sujet de manière individuelle ».
Karen Pierce a convenu que « faire fuiter des documents, quand cela arrive, devait être critiqué et déploré ».
De nouvelles discussions informelles entre membres du Conseil de sécurité sont prévues ces jours prochains pour tenter de débloquer la situation. La présidence tournante du Conseil de sécurité revient à compter de ce vendredi, 31 août, soir, et pour tout le mois de septembre aux Etats-Unis. Ce qui laisse présager un mois très difficile pour la Corée, mais aussi, l’Iran. Mais, la Chine refusant de jouer le jeu que lui faisait jouer Donald Trump à cause des sanctions commerciales que ce même Trump impose aux produits chinois, il est très possible que le blocage russe puisse persister au Conseil de sécurité afin de ne plus donner l’impression que le monde est régi par les pulsions du président américain.
De quoi s’agit-il ? Les faucons de Washington qui entourent Donald Trump veulent imposer une dénucléarisation complète de la Corée du Nord, en quelques petits mois (comme s’il y avait une course contre la montre), ce que Pyongyang refuse, surtout, quand on sait que la constitution de son arsenal de dissuasion a été réalisée, au prix des efforts de tout un peuple, pendant plusieurs décennies.
Démanteler cet arsenal en quelques mois (juste parce que Monsieur Trump le demande pour les besoins de ses campagnes électorales futures) n’est pas tout simplement admissible pour le « leader bien aimé » de Pyongyang.