On aurait souhaité qu’il quitte la scène avec dignité, dans le respect de la parole donnée et des textes fondamentaux de la République. Mais, Alassane Dramane Ouattara en a décidé autrement. A 83 ans, il a choisi d’écrire l’un des chapitres les plus sombres de l’histoire politique de la Côte d’Ivoire en briguant un quatrième mandat, en violation flagrante de la Constitution de novembre 2016. Une Constitution qu’il avait lui-même façonnée, jurant devant le peuple et la communauté internationale qu’il ne la piétinerait jamais. Ce revirement n’est pas un accident de parcours, mais plutôt, une constante dans le mode de gouvernance de l’homme : dire une chose aujourd’hui, faire son contraire demain. Car Ouattara, au fil des années, s’est imposé comme un maître de la contradiction, un dirigeant passé expert dans l’art de la duplicité politique, méprisant ouvertement les règles et les engagements pris publiquement.
Le mépris du peuple
Ce quatrième mandat n’est pas simplement illégal (sur notre photo, le dépôt de sa candidature par le concerné lui-même) il est insultant pour le peuple ivoirien. Insultant parce qu’il foule aux pieds les principes démocratiques les plus élémentaires. Insultant parce qu’il reflète un profond mépris pour un peuple qui l’a accueilli, puis supporté, parfois, dans la douleur et la terreur. Depuis plus d’une décennie, la Côte d’Ivoire vit au rythme d’un régime autoritaire maquillé en démocratie, où l’opposition est traquée, où la presse est muselée, et où l’économie est entre les mains d’une élite inféodée au pouvoir. Mais que l’on ne s’y trompe pas : la dénonciation de cette candidature n’est pas motivée par la peur. Non, Ouattara ne fait plus peur. Il ne pèse presque plus rien sur la scène régionale. Les temps ont changé, et avec eux, les alliances aussi. Les pays voisins ne le soutiennent plus comme avant, eux qui avaient autrefois fermé les yeux sur ses dérives au nom de la stabilité régionale. Aujourd’hui, ces mêmes voisins sont très remontés contre lui, depuis qu’il aurait tenté, par des manœuvres obscures, de fragiliser leurs régimes, voire, de les renverser. Il est désormais vu comme un homme isolé, affaibli, et potentiellement dangereux — non plus pour ses ennemis, mais pour lui-même.

Le Nord lui tourne le dos
Même dans le Nord du pays, son bastion traditionnel, Alassane Ouattara est en perte de vitesse. Les populations du Nord, qui l’ont longtemps soutenu, découvrent aujourd’hui la vraie nature de celui qu’ils croyaient être leur champion. Roublardise, méchanceté, trahisons multiples : c’est ce qu’on lui reproche désormais, au-delà des appartenances ethniques ou régionales. Certains vont plus loin, n’hésitant pas à évoquer de lourds soupçons dans les disparitions tragiques de plusieurs figures politiques et militaires de premier plan : Amadou Gon Coulibaly, Hamed Bakayoko, Issiaka Ouattara alias Wattao, ou encore, Amadou Soumahoro, surnommé « Cimetière ». Des morts prématurées, parfois, entourées de mystères, qui alimentent une légende noire autour d’un homme qui aurait préféré l’élimination physique au débat démocratique. Et que dire du cas de Guillaume Soro, exilé politique, empêché de rentrer dans son propre pays après avoir été éjecté de la présidence de l’Assemblée nationale par celui-là même qu’il avait contribué à porter au pouvoir ? Ce type de règlements de comptes illustre la brutalité d’un régime en fin de cycle, prêt à tout pour éviter de rendre des comptes.
Macron, le protecteur affaibli
Longtemps, Ouattara a pu compter sur le soutien de la France, et notamment, du président, Emmanuel Macron, pour légitimer ses choix. Mais là aussi, le vent a tourné. Le président français, affaibli sur le plan intérieur depuis les élections législatives de juillet 2024, ne peut plus imposer sa volonté ni en France ni à l’extérieur. Les révélations de la journaliste américaine, Candace Owens, sur certains aspects obscurs de son fonctionnement politique ont davantage terni son image. En Afrique, Macron est fréquemment tourné en dérision, perçu comme un démocrate à géométrie variable, prompt à donner des leçons, mais incapable d’empêcher les dérives de ses alliés. Donald Trump, toujours influent, n’a jamais caché son mépris pour Macron, qu’il considère comme inefficace. Et, s’il n’a pu ramener Mohamed Bazoum au pouvoir au Niger, comment pourrait-il encore sauver Ouattara face à une mobilisation populaire bien ancrée et décidée à en finir avec un système ?

Un lion édenté face à un peuple debout
L’image est cruelle, mais elle résume bien la situation actuelle : Ouattara est comme un lion qui a perdu ses dents. Il rugit encore, parfois, par réflexe, mais plus personne ne recule. Il ne fait plus peur, ni à l’intérieur, ni à l’extérieur. Et le 9 août 2025, cette réalité s’est exprimée dans les rues de Côte d’Ivoire, où des milliers d’Ivoiriens sont sortis pour dire non à ce quatrième mandat. Ce soulèvement n’est pas un feu de paille. Il marque une prise de conscience, une rupture entre le peuple et un pouvoir qui n’a cessé de trahir. Le peuple ivoirien a compris qu’il ne tient qu’à lui de mettre fin à cette mascarade. Et s’il réussit à rééditer l’exploit trois ou quatre fois sur l’ensemble du territoire, le régime vacillera, puis s’effondrera, comme tant d’autres avant lui.
Les leçons de l’histoire africaine
L’histoire récente du continent est riche d’enseignements. En 2011, le peuple tunisien, à force de courage et de détermination, a fait tomber Ben Ali. En 2014, c’est Blaise Compaoré qui a dû fuir le Burkina Faso sous la pression de la rue. En 2020, les Maliens ont dit non à la corruption et à la mauvaise gouvernance, forçant Ibrahim Boubacar Keïta à la démission. Ces mouvements populaires ont montré une chose : la patience d’un peuple a ses limites. On peut l’humilier, l’appauvrir, l’intimider pendant un temps, mais on ne peut pas le soumettre indéfiniment. Le peuple ivoirien n’a plus rien à perdre. C’est là sa plus grande force. Car, face à un peuple uni, en colère et déterminé, aucun régime ne résiste. Ni les blindés, ni les forces de l’ordre, ni les soutiens extérieurs ne peuvent empêcher l’inéluctable chute d’un pouvoir qui a épuisé sa légitimité.

La fin d’un règne sans gloire
Ce quatrième mandat est celui de trop. Il révèle un dirigeant déconnecté de son peuple, abandonné par ses alliés, rejeté par son propre camp. Il est l’aveu d’un homme incapable de transmettre le flambeau, accroché au pouvoir comme à une bouée de survie. Mais, la mer est en furie. Le peuple ivoirien, plus que jamais conscient de sa force, se tient prêt. Il sait qu’en face, ce n’est plus un lion, mais, une ombre de lion. Et que, désormais, la peur a changé de camp.
Jean-Claude DJEREKE
sst professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis)