COTE D’IVOIRE : Alassane Ouattara un 4e mandat de trop

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Le 29 juillet 2025 restera sans doute dans les mémoires comme un jour noir dans la vie politique ivoirienne. Ce jour-là, Alassane Dramane Ouattara, président sortant de 83 ans, a officiellement annoncé sa candidature à l’élection présidentielle prévue le 25 octobre (notre photo). L’annonce, si elle a suscité l’enthousiasme dans les rangs du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), a été vécue comme un véritable coup de massue par une grande partie des Ivoiriens. Ces derniers se sentaient trahis parce qu’ils espéraient qu’après trois mandats, le chef de l’Etat tournerait enfin la page et tiendrait sa promesse de ne pas briguer un quatrième mandat. Car cette candidature soulève une question fondamentale : comment un président peut-il justifier de revenir sur des engagements aussi clairs ? Comment expliquer qu’un homme qui déclarait en 2010 : « Donnez-moi cinq ans et je redonnerai à la Côte d’Ivoire son lustre d’antan », s’accroche au pouvoir 15 ans plus tard ? Où est donc passée la « demi-douzaine de successeurs prêts à prendre la relève » qu’il affirmait avoir formées ? Où est passée cette parole solennelle répétée à maintes reprises : « Je ne me vois pas briguer un autre mandat » ?

Une annonce qui réveille les fantômes du passé

Le même jour, une autre nouvelle est venue aggraver le climat politique : le préfet d’Abidjan a annulé la marche pacifique prévue le 2 août par le PPA-CI et le PDCI, les deux principales forces d’opposition. Un geste interprété comme une tentative manifeste de museler l’expression populaire, de faire taire la rue, de réduire au silence ceux qui s’indignent. Mais, l’histoire politique ivoirienne a montré à plusieurs reprises que lorsque le peuple est acculé, il devient imprévisible.

Trois dates doivent être rappelées pour mesurer la capacité de réaction du peuple ivoirien. En 1958, les populations se sont soulevées contre la domination coloniale et ont expulsé les Dahoméens. En 1993, à la suite d’un match de football entre l’ASEC Mimosas d’Abidjan et Ashanti Kotoko de Kumasi, une vague xénophobe violente a ciblé les Ghanéens. Enfin, en 2000, Laurent Gbagbo appelait les Ivoiriens à descendre dans la rue pour contester la tentative de hold-up électoral de Robert Guéï. Face à la détermination des manifestants, le général avait dû fuir.

Ces épisodes ne sont pas glorieux, mais, ils montrent que, blessé dans son orgueil ou opprimé, le peuple ivoirien peut redevenir un acteur majeur de l’histoire nationale. Il peut, dans un élan de colère, renverser l’ordre établi, même si cela doit se faire dans la douleur.

Un quatrième mandat anticonstitutionnel ?

La question de la légalité de cette nouvelle candidature reste centrale. Pour beaucoup, Ouattara viole une fois encore la Constitution. Il avait déjà été accusé d’avoir forcé un troisième mandat en 2020 en contournant les limites imposées par la loi fondamentale. A l’époque, il avait invoqué la révision constitutionnelle pour justifier son maintien. Cette fois encore, il prétend agir dans la légalité, mais, ses opposants dénoncent une interprétation abusive des textes.

Au-delà du droit, c’est l’éthique qui est interrogée. Peut-on rester au pouvoir à vie dans un pays qui se veut démocratique ? Peut-on impunément revenir sur ses engagements les plus solennels ? La démocratie ne se limite pas aux urnes, elle suppose aussi un respect des principes, de la parole donnée, du renouvellement des générations, de la transparence. Or, pour nombre d’Ivoiriens, Ouattara reste avant tout un homme qui a peur : peur de quitter le pouvoir, peur de devoir rendre des comptes sur sa gestion, sur les milliards engloutis, sur les disparitions, les procès jamais tenus, les victimes laissées sans justice.

La Côte d’Ivoire entre résignation et réveil populaire

Face à cette candidature jugée « provocatrice », le peuple ivoirien semble à un carrefour. Va-t-il accepter, une fois de plus, de courber l’échine, de laisser passer l’orage ? Va-t-il faire entendre sa voix, comme il l’a déjà fait par le passé ? Certains observateurs soulignent que la société ivoirienne est fatiguée, usée par les crises à répétition, la cherté de la vie, l’absence d’alternance réelle. Mais d’autres affirment que la jeunesse, consciente et informée, n’est plus prête à accepter l’ordre ancien sans résistance.

Les militants du RHDP, galvanisés par l’annonce de candidature, devraient pourtant faire preuve de retenue. L’histoire récente a montré que les régimes figés finissent toujours par céder sous la pression populaire. Rien n’est acquis, surtout, dans un pays où les frustrations sociales et politiques bouillonnent en silence. Dans les quartiers populaires comme dans les salons feutrés, on sent monter une forme de lassitude, de rejet, d’envie de rupture.

Ayant perdu la première manche puisqu’Alassane Ouattara est candidat, Laurent Gbagbo continuera-t-il de se battre comme candidat ou simple citoyen non inscrit sur la liste électorale ?

Le dernier mot revient au peuple

Non, les Ivoiriens n’ont pas dit leur dernier mot. Derrière les apparences de calme, une tempête pourrait bien se préparer. Le peuple, qu’on qualifie souvent de « doux-amer », pourrait décider de se lever à nouveau pour défendre sa dignité. Si Ouattara pense que sa puissance politique suffira à contenir cette colère, il pourrait bien être surpris.

Les grandes promesses non tenues, les paroles trahies, les espoirs déçus ne s’effacent pas. Ils s’accumulent comme des braises sous la cendre, prêts à s’embraser. En politique, il y a des moments où la sagesse consiste à partir, à transmettre, à ouvrir la voie à la relève. Alassane Ouattara, avec tout ce qu’il a représenté, aurait pu sortir par la grande porte. En choisissant de rester coûte que coûte, il prend un pari risqué. Car l’Histoire ne pardonne pas à ceux qui s’y accrochent trop longtemps.

Jean-Claude Djéréké

Est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).

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