COTE D’IVOIRE : L’abbé Barthélemy Gobou entre foi prière et médecine traditionnelle

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Le 29 juin 1975, à Rome, l’abbé, Barthélemy Gobou, recevait l’ordination sacerdotale des mains du pape, Paul VI. Cinquante ans plus tard, son jubilé d’or suscite réflexions, controverses et hommages. A travers son parcours singulier, ce prêtre ivoirien a su s’imposer comme une figure atypique dans le paysage religieux catholique africain. Il est perçu par certains comme un guérisseur, par d’autres comme un exorciste, à l’image de l’archevêque zambien, Emmanuel Milingo, ou du père camerounais, Pierre Meinrad Hebga. Pour sa part, l’abbé, Gobou, refuse ces étiquettes spectaculaires. Il affirme n’avoir aucune puissance surnaturelle, mais, dit soigner les malades avec les plantes médicinales et la prière, dans la continuité de l’évangile.

Cette posture n’est pas sans susciter débat au sein de l’église catholique, en particulier, dans le contexte africain où les frontières entre religion, médecine traditionnelle, sorcellerie et quête de guérison, sont, souvent, floues. Face aux réalités sociales et culturelles de leurs communautés, de nombreux prêtres restent désarmés. Lorsqu’un fidèle est confronté à une maladie persistante, à un échec scolaire ou professionnel ou à des phénomènes interprétés comme relevant de la sorcellerie, la réponse ecclésiale est, souvent, minimaliste : on recommande de prier le chapelet, de faire une neuvaine, d’assister à l’adoration du Saint Sacrement ou de réciter le « Notre Père ». Pourtant, ces démarches sont, souvent, jugées insuffisantes par les fidèles, qui, ne voyant pas de résultat concret, se tournent, parfois, vers des solutions parallèles comme les marabouts, féticheurs ou autres guérisseurs.

L’abbé, Barthélémy Gobou, dans son Centre de santé à Dabou où il reçoit toutes sortes de patients.

C’est dans ce vide pastoral que s’inscrit l’action de l’abbé, Gobou. Son ministère s’enracine dans une approche holistique du salut, où le corps et l’âme sont, étroitement, liés. A travers la prière, l’écoute spirituelle et l’usage des plantes médicinales, il offre aux fidèles une alternative catholique aux pratiques occultes, sans pour autant tomber dans le syncrétisme. Son centre de soins à Dabou, en Côte d’Ivoire, attire, chaque jour, de nombreux patients, certains en quête de guérison physique, d’autres, en recherche de paix intérieure. A ses côtés, l’abbé, Emile Kpakpo (décédé), avait œuvré dans le même esprit. Ensemble, ils ont fondé la Communauté catholique des amis des premiers chrétiens, une structure qui revendique un retour à la simplicité et à la radicalité évangélique des origines.

Un verset biblique résume bien l’esprit de cette communauté : « Leurs feuilles serviront de remède » (Ezéchiel 47, 12). Il s’agit d’un fondement scripturaire justifiant l’usage des plantes comme don de Dieu pour la guérison des hommes. Cette lecture, loin d’être marginale, s’enracine dans une théologie de la création qui reconnaît à la nature un rôle thérapeutique. Toutefois, si beaucoup attestent avoir été soulagés après un passage chez le prêtre de Dabou, la prétention selon laquelle il guérirait toutes les maladies, y compris le sida ou les AVC, reste controversée. Les avis sont partagés : là où certains témoignent de guérisons spectaculaires, d’autres expriment leur scepticisme ou leur prudence.

Cette ambivalence est d’autant plus perceptible que l’abbé, Gobou, est, désormais, une figure publique. En 2014, l’universitaire, Alphonse Sékré Gbodjé, lui a consacré un ouvrage qui retrace son parcours et analyse son action. Un colloque international prévu, à Dabou, du 26 au 29 juin 2025 viendra approfondir cette réflexion collective à l’occasion de ses 50 ans de sacerdoce. Ce sera l’occasion pour les théologiens, les sociologues, les pasteurs et les fidèles d’échanger sur la pertinence, les limites et l’originalité de son ministère.

Du 26 au 29 juin 2025, dans son Centre de santé, à Dabou, le jubilé d’or en son honneur sera organisé.

Au-delà du cas individuel de l’abbé, Gobou, c’est toute la question de la pastorale des malades en Afrique qui est ici reposée. Comment accompagner, spirituellement et physiquement, des fidèles qui vivent dans un environnement où la maladie est, souvent, interprétée comme une attaque mystique ou une conséquence du péché ? Comment éviter que les chrétiens ne se réfugient chez des charlatans, faute d’une écoute et d’une réponse adaptées de leur église ? L’exemple de l’abbé, Gobou, même s’il est, parfois, contesté, a le mérite d’ouvrir une voie : celle d’une pastorale incarnée, audacieuse et enracinée dans les réalités locales.

En définitive, l’abbé, Barthélemy Gobou, n’est pas qu’un prêtre guérisseur. Il est, avant tout, un homme de foi, convaincu que l’évangile ne peut ignorer les souffrances concrètes des corps et des cœurs. Son ministère, en marge ou en avant-garde, selon le point de vue, révèle les tensions, mais aussi, les potentialités de l’église africaine contemporaine. En célébrant son jubilé d’or, c’est une vie de service, de prière et de proximité avec les petits qui est honorée. Mais, c’est, aussi, une invitation lancée à l’institution ecclésiale à repenser sa mission face aux défis spécifiques de son temps et de son continent.

Jean-Claude DJEREKE

Est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).

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