COTE D’IVOIRE : Laurent Gbagbo, Insubmersible et Résilient, malgré et contre tout !

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Je comprends parfaitement la déception et la colère des Ivoiriens face à une décision qui témoigne d’une certaine légèreté et d’un racisme certain tout en discréditant un peu plus la CPI (Cour pénale internationale) mais qu’est-ce que deux semaines supplémentaires pour un homme qui a déjà passé 7 ans en prison ? Contre mauvaise fortune, faisons donc bon cœur. Ne laissons pas les esclavagistes modernes gâcher notre joie de voir nos deux frères acquittés !

« Insubmersible » et « Résilient », tels sont les deux adjectifs que je suis tenté de prononcer en relisant le parcours de Laurent Gbagbo car les épreuves auxquelles il fut confronté tous les dix ans, n’ont réussi ni à le faire plier ni à tuer en lui le rêve d’une Côte d’Ivoire souveraine et maîtresse de son destin, ni à lui enlever le désir de se battre pour la justice et la vérité. Souvenons-nous de 1982 (quand il fut faussement accusé avec Bernard Zadi Zaourou et Pierre Kipré de vouloir renverser le régime d’Houphouët, à la suite de quoi, il s’exila en France via ce qui était encore la Haute-Volta), de 1992 (lorsqu’il fut emprisonné avec son épouse et d’autres démocrates ivoiriens après une marche que le pouvoir avait infiltrée de casseurs et de loubards et au cours de laquelle il faillit être assassiné), de 2002 (quand le pays fut attaqué par une rébellion financée en partie par Dramane Ouattara et Konan Bédié) et de 2011 (quand la résidence présidentielle où il se trouvait avec parents, amis et collaborateurs, fut bombardée pendant plusieurs jours par la coalition franco-onusienne). Tous ces douloureux événements auraient pu le décourager, voire, le briser, mais, l’homme s’est toujours relevé, a toujours tenu bon, a toujours rebondi, a toujours porté sa croix avec dignité et sans amertume. La France croyait pouvoir le faire oublier en le déportant illégalement et nuitamment à la Haye ; elle a fait de lui un héros ; elle pensait le discréditer et le rabaisser ; elle vient de l’élever car Laurent Gbagbo est considéré aujourd’hui comme une vraie icône africaine au même titre que Ruben Um Nyobè, Félix-Roland Moumié, Kwame N’Krumah, Patrice Lumumba, Luis Cabral, Samora Machel, Julius Nyerere, Steve Biko, Nelson Mandela…

Le but de ce papier n’est pas de canoniser l’ancien président ivoirien qui a déjà admis et confessé certaines des erreurs qu’il a commises. Notre seule motivation, ici, est de dire que l’Afrique n’est pas en panne de repères ou de modèles et que certaines qualités de Laurent Gbagbo peuvent contribuer, si chacun de nous se les approprie, au réarmement moral des Africains et au repositionnement de leur continent sur la scène internationale.

Une de ces qualités est la compassion. Je prends, ici, le mot dans son origine latine : la capacité de souffrir avec. Laurent Gbagbo est effectivement prompt à voler au secours de celui qui est en souffrance ou en détresse. S’il fallait lui trouver une devise, ce serait celle-ci : « Soutenir quiconque est en difficulté ». C’est pour soutenir Martial Ahipeaud et ses camarades de la FESCI (Fédération estudiantine de Côte d’Ivoire, opposition) qu’il prit la tête d’une marche pacifique en 1990. Il voulait que ces étudiants sortent de prison. Il fera de même pour les étudiants tabassés et violés par un groupe de militaires à la cité universitaire de Yopougon en mai 1991. Pendant la campagne électorale pour la présidentielle de 2000, il promit aux planteurs ivoiriens d‘augmenter le prix d’achat du cacao et du café s’il était élu. C’était sa manière à lui de se solidariser avec eux.

En 2003, il apporta son soutien à l’Angola menacé par la famine en y envoyant des vêtements et de la nourriture. En septembre 2009, il décaissa 500 millions de F CFA en faveur du Burkina Faso pour réconforter les victimes des inondations. Ces exemples et d’autres montrent que, pour Laurent Gbagbo, défendre la cause des autres (les petits, les faibles, les spoliés et les persécutés) a toujours été une priorité. Mais, cette sensibilité aux déboires d’autrui ne relève pas du hasard, tant s’en faut, car, en dida comme en bhété, le nom que lui donna son père à sa naissance signifiait déjà cela. Ce nom était, d’une certaine façon, prémonitoire.

De fait (et ici je parle sous le contrôle de Pascal Kokora, Zacharie Tchagbalé et d’autres enseignants dont je suivis les cours à l’Institut de linguistique appliquée d’Abidjan), le nom « Gbagbo » doit être compris de la manière suivante : « Gba (na) gbo = fais mon palabre / parle pour moi/défends ma cause ou bien « Gba (agna) gbo » = fais notre palabre / parle pour nous / défends notre cause. Paul Koudou désirait-il que son fils prenne fait et cause pour les opprimés et défavorisés, qu’il se batte pour eux ? Il n’est pas sûr qu’il puisse nous répondre, de l’endroit où il se trouve à présent. Une chose est certaine, c’est que, si Laurent Gbagbo avait arrêté de se soucier des autres et de faire leur palabre, il serait allé tranquillement en exil avec sa famille au lieu de subir les bombardements de la coalition franco-onusienne en avril 2011 (sur notre photo Jack Lang l’un des derniers soutiens du parti socialiste français de Laurent Gbagbo avec lui, le 29 mars 2008 au palais présidentiel d’Abidjan).

Cet homme, qui a toujours relégué ses intérêts au second plan, la France a voulu le faire passer pour un criminel et pour un mauvais perdant s’accrochant au pouvoir. Le non-lieu qui a été prononcé en sa faveur ne pouvait donc pas lui plaire. Jusqu’au bout, elle lui aura fait boire le calice du non-sens et de l’injustice car n’est-il pas injuste et absurde de maintenir en prison une personne déjà acquittée ? Je comprends parfaitement la déception et la colère des Ivoiriens face à une décision qui témoigne d’une certaine légèreté et d’un racisme certain tout en discréditant un peu plus la CPI (Cour pénale internationale) mais qu’est-ce que deux semaines supplémentaires pour un homme qui a déjà passé 7 ans en prison ? Contre mauvaise fortune, faisons donc bon cœur. Ne laissons pas les esclavagistes modernes gâcher notre joie de voir nos deux frères acquittés !

Jean-Claude DJEREKE
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).

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