COTE D’IVOIRE : Nécessité de l’espérance et de la lutte (pour chasser Ouattara et ses amis)

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Pour commencer, je voudrais remercier les responsables et militants FPI de Boston de m’avoir invité à leur journée du militant. Mon propos s’articulera autour de deux mots : “espérance” et “lutte”. Lorsqu’on a connu des catastrophes comme celles du 19 septembre 2002 et le bombardement des symboles de notre souveraineté en 2010-2011, lorsqu’on a vu certains camarades mourir en prison ou en exil et qu’on constate que celui qui a provoqué toute cette tragédie continue d’avoir le soutien des pays se glorifiant d’être pour la démocratie et les droits de l’homme, la tentation est grande de céder au désespoir et de penser qu’il ne sert plus à rien de lutter. Le texte qui va suivre estime, au contraire, que nous devons, malgré tout, garder espoir et lutter pour la Côte d’Ivoire et l’Afrique parce que “l’on peut toujours reconstruire, même sur des ruines” (Martin Gray). Autrement dit, ce texte est une invitation à l’espérance que René Descartes définit comme “une disposition de l’âme à se persuader que ce qu’elle désire adviendra” (“Les passions de l’âme”).

I/ A quoi aspirons-nous ?

Mais que désire l’âme ? Le bonheur, répond Emmanuel Kant (cf. “Critique de la raison pure”). Dans un autre ouvrage, “Critique de la raison pratique”, le penseur allemand ajoute que “la vertu ou la moralité est la condition pour accéder à la béatitude”. Un point de vue auquel je souscris sans réserve car comment avoir une Côte d’Ivoire différente de celle que nous avons connue jusque-là si nous ne nous débarrassons pas de certains mauvais penchants tels que le détournement des fonds publics, le non-respect de la loi, le copinage, le culte de la personnalité, le rattrapage ethnique, l’opportunisme, le larbibisme, la duplicité, etc.?

Lorsque Kant parle de bonheur, il a en tête, non pas des biens inaccessibles, mais des choses concrètes comme la sécurité pour tous, l’égalité devant la loi qui constituait un des fondements de la démocratie athénienne et signifie qu’aucun individu ou groupe d’individus ne doit avoir de privilèges garantis par la loi. Le bonheur, c’est aussi le fait d’avoir des routes, des ponts, des châteaux d’eau, des hôpitaux, des écoles et universités de qualité pour tout le monde, l’assurance maladie universelle, une agriculture mécanisée, etc.

Vous conviendrez avec moi que toutes ces choses demeureront illusoires aussi longtemps que nous n’aurons pas réglé ce que Mao Zedong appelait la contradiction principale, c’est-à-dire, la question de la souveraineté car comment repenser et réorganiser notre économie, notre système éducatif et sanitaire, notre armée, si nous hébergeons une base militaire française et utilisons une monnaie fabriquée et contrôlée par la France, si nos ministères sont truffés de va-nu-pieds français pompeusement baptisés conseillers ou experts ?

En un mot, le bonheur, auquel nous aspirons, individuellement et collectivement, va au-delà du manger et du boire. Il embrasse la politique et notre rapport à l’extérieur. C’est la raison pour laquelle le philosophe français, Paul Ricœur, parle d’une “vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes” (cf. Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990).

Cette “vie bonne avec et pour autrui dans des institutions justes”, comment agir, que faire (pour parler comme Lénine), pour qu’elle advienne ? Je n’attends point que quelqu’un nous apporte le “vivre décemment” sur un plateau ; autrement dit, je n’attends pas de Père Noël, ni de messie libérateur. “Je ne suis pas un libérateur, les libérateurs n’existent pas, le peuple se libère lui-même”, avertissait le grand combattant de la liberté, Ernesto Che Guevara. Pourquoi la solution du messie libérateur est-elle une fausse solution ? Pourquoi est-il imprudent et dangereux de tout miser sur un leader, quelles que soient ses qualités ? Parce que, quand il est pris et déporté loin de son pays, le peuple ne peut plus rien faire. Ce peuple devient alors une proie facile et des malfrats sans scrupules peuvent lui faire subir toutes sortes d’avanies. C’est exactement ce qui est arrivé depuis avril 2011 aux Ivoiriens et en particulier au FPI où certains n’ont jamais voulu se battre ni anticiper, accusant quiconque conseillait de penser à un plan B de vouloir tourner la page Gbagbo. A mon humble avis, l’on pouvait réclamer la libération de Gbagbo tout en agissant contre l’occupation et le pillage du pays par la France et contre la dictature de Ouattara. Ce fut une erreur et une absurdité d’attendre que Gbagbo, qui est en prison, vienne sortir les Ivoiriens de cette prison à ciel ouvert qu’est devenu leur pays depuis que Dramane Ouattara a été installé par Sarkozy au sommet de l’Etat ivoirien (notre photo où Sarkozy semble lui dire : signe ici). Ce qu’il fallait faire, ce n’était pas d’attendre passivement le retour de Gbagbo, ni de donner aux militants du FPI de faux espoirs du genre “Gbagbo arrive bientôt. Préparez-vous à l’accueillir” mais de se lever et de lutter pied à pied avec ceux qui ont pris notre pays en otage.

Il existe ainsi un rapport entre espérance et lute : Celui qui espère que demain sera meilleur qu’aujourd’hui n’est pas dispensé de se battre pour l’accouchement du monde nouveau dans lequel il désire vivre. Sans doute, me demanderez-vous comment on lutte. Ce sera le second point de mon intervention qui parlera aussi de la finalité et de l’objectif de la lutte. Soit dit en passant, la finalité est la raison d’être de quelque chose ou de quelqu’un alors qu’un objectif est une cible que l’on s’est fixé et que l’on veut atteindre.

II/ Formes, finalité et objectif (s) de la lutte

2.1 Formes de la lutte

Il n’y a pas une seule manière de lutter. On peut lutter en marchant comme les frères et sœurs de France, en initiant des pétitions comme feu Bernard Dadié et Joseph Koffigoh, en rencontrant les autorités des pays qui ont une certaine influence, en écrivant des articles ou des livres mais on peut aussi lutter, et c’est la chose la plus efficace quoique difficile, en boycottant les produits français et en paralysant Abidjan et les autres villes, ce qui ferait perdre de l’argent au pouvoir et à la France. Perdant de l’argent, la France, qui se cache derrière la CPI (Cour pénale internationale), serait obligée de discuter avec nous. Car, ne l’oublions jamais, qui dit politique, dit rapport de forces ; la politique n’a rien à voir avec les sentiments, les bonnes intentions et les lamentations. Dans un pays, le pouvoir ne discute avec l’opposition que si la force de cette dernière est égale ou supérieure à sa propre force. Ouattara et ses parrains cesseront de faire la sourde oreille à nos revendications le jour où nous serons capables de leur tenir la dragée haute sur le terrain, quand nous serons en mesure de faire descendre dans la rue 1 million d’Ivoiriens ou plus pour bloquer le pays. Mais, la France n’est pas l’unique cible de notre lutte. Nous devons aussi nous battre en interne, c’est-à-dire, contre ceux qui prennent des libertés avec la ligne et les textes du parti, contre ceux qui veulent faire de petits arrangements avec l’ennemi dans le seul  but  de  bénéficier de tel ou tel avantage personnel, comme si Laurent Gbagbo avait commis un crime en défendant son peuple ou en respectant la constitution de son pays.

2.2 Finalité de la lutte

On lutte pour mettre fin à l’occupation et à l’exploitation de notre pays par la France ; on lutte parce que nous ne désirons plus que d’autres (la France en l’occurrence) décident pour nous et sans nous, parce que nous ne voulons pas devenir des étrangers dans notre propre pays ; on lutte pour que nos enfants et petits enfants puissent mieux vivre demain. Tout ceci est bien résumé dans deux raccourcis saisissants : « Seule la lutte libère » du Burkinabè Thomas Isidore Sankara et « Sans la lutte, vous n’obtiendrez rien ni aujourd’hui ni jamais » du Congolais Patrice Emery Lumumba.

2.3. Objectif (s) de la lutte

Penser que tous les sacrifices que nous faisons sont désintéressés serait mensonge et hypocrisie car on ne lutte jamais pour le simple plaisir de lutter. Celui ou celle qui lutte a toujours un objectif personnel à atteindre et il n’y a rien de mauvais à cela. Ce n’est pas un crime que de vouloir devenir ministre, DG ou PCA si l’on en a les compétences après une lutte dans laquelle on a quelquefois risqué sa vie et pour laquelle on s’est dépensé sans compter. Ce qui est mauvais, en revanche, c’est lorsque l’attente d’un strapontin ou d’un poste devient une obsession qui nous fait oublier l’essentiel qui est la libération du pays de la France car se focaliser sur ce qu’on va gagner individuellement alors que le pays est toujours occupé non seulement revient à mettre la charrue avant les bœufs mais peut nous conduire à de graves compromissions telles que l’irresponsable tweet d’Eric Kahe présentant le criminel Jacques Chirac comme un « grand humaniste et un défenseur de l’Afrique » et les tueries de la France en Côte d’Ivoire comme « une grosse erreur ».

Jésus disait à ses apôtres : « Cherchez d’abord le Royaume des cieux et sa justice » (Mt 6, 33). Je voudrais nous souhaiter la même chose : libérons d’abord notre pays des prédateurs intérieurs et extérieurs ; ne laissons jamais la poursuite de la promotion personnelle l’emporter sur l’engagement pour la justice, la liberté et la vérité !

Boston, le 19 octobre 2019

Jean-Claude DJEREKE
Professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).

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