COTE D’IVOIRE : N’est-il pas trop tard pour dialoguer (avec le menteur ) ?

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D’abord, sa candidature était anticonstitutionnelle ; ensuite, 8% fut le taux de participation à cette fausse élection au cours de laquelle il ne se priva même pas de tricher et de bourrer les urnes. Quelques jours plus tard, comme s’il fallait afficher plus de cruauté et d’arbitraire, il fit encercler les domiciles de certains opposants, fit enlever d’autres pour les faire torturer dans des lieux secrets avant de se faire proclamer vainqueur par un Conseil constitutionnel godillot. Et c’est cet homme allergique au respect de la loi qui ose appeler au dialogue ! Et c’est avec ce sosie d’Arnaud du Tilh qui fit croire pendant 8 ans qu’il était Martin Guerre tenu pour mort (cf. Pierre Lunel, ‘Les plus grands escrocs de l’Histoire’, Editions First, 2015) que les adeptes d’un certain ordre constitutionnel voudraient que nous discutions ! Mais ces derniers, où étaient-ils quand Ouattara violait la Constitution ivoirienne et reniait sa promesse de ne pas briguer un troisième mandat ? Que lui dirent-ils à ce moment-là ?

Dialogue ! Dialogue ! N’est-il pas trop tard pour dialoguer ? Henri Konan Bédié peut-il dialoguer sereinement quand ses collaborateurs sont emprisonnés ou traqués ? Et puis, dialoguer pour aboutir à quels résultats concrets ? Car le tout n’est pas de dialoguer. Encore faut-il que les décisions issues de ce dialogue soient respectées par les deux parties. Or Ouattara honora-t-il jamais les engagements pris par son gouvernement à la rencontre avec l’Alliance des forces démocratiques, le 11 novembre 2014 ? Ne rangea-t-il pas dans les tiroirs le rapport de la Commission-Dialogue-Vérité-Réconciliation (CDVR) probablement parce que celui-ci contenait des vérités trop dérangeantes pour son régime ? De même qu’il ignora les suggestions de Charles Konan Banny et de ses camarades, de même il fit la sourde oreille, le 22 mai 2016, quand les évêques catholiques plaidèrent pour la libération de tous les prisonniers politiques parce que, expliquaient-ils, “personne ne peut se dire innocent”, quand les mêmes évêques lui déconseillèrent de déporter Laurent Gbagbo à la Haye. A quoi servirait-il alors de dialoguer avec un homme qui, en plus de n’avoir aucune considération pour les Ivoiriens, n’est prêt à discuter qu’avec des gens qui ont accepté auparavant de se soumettre à lui ? Ouattara attendait d’être “réélu” pour dialoguer avec l’opposition, c’est-à-dire, avec des adversaires qui le reconnaissent comme président de la République. Il n’a jamais cru aux vertus du dialogue bien que se disant disciple d’Houphouët. Il ne croit qu’à la force et, si le dialogue semble l’intéresser aujourd’hui, ce n’est pas uniquement pour donner une bonne image de lui à ses parrains extérieurs mais parce que le peuple, qui a compris que lui seul doit mettre fin à cette dictature, a commencé à inonder la rue sur l’ensemble du territoire national.

A mon avis, cette démonstration de force devrait se poursuivre jusqu’à ce que soit capturé le dictateur, le seul responsable de la crise que connaît le pays depuis le 13 août 2020. Après avoir gardé le silence sur la volte-face de Ouattara, sur le viol de la Constitution par le même Ouattara, sur son refus de réformer la commission électorale et sur le maintien de Laurent Gbagbo et Blé Goudé à Bruxelles et à la Haye malgré leur acquittement, il est indécent et injuste que les prétendues démocraties occidentales volent au secours d’un homme cerné de toutes parts, acculé et quasiment perdu. Le bon sens, la Morale et le Droit voudraient qu’elles soutiennent plutôt les Ivoiriens qui se battent pour leur liberté. Rien ne les autorise à venir en aide à un individu qui a bloqué et détruit notre pays depuis 1999.

“Si tu es neutre en situation d’injustice, alors tu as choisi d’être du côté de l’oppresseur”, affirme l’archevêque anglican Mgr Desmond Tutu. Jusqu’à quand nos universitaires, qui aiment se gargariser de titres et de mots ronflants mais creux, resteront-ils neutres dans cette affaire ? Se taisent-ils parce qu’ils ont déjà choisi le camp de Ouattara ? Doit-on leur rappeler que “l’intellectuel n’est rien s’il ne vit pas entièrement dévoué à la cause de son peuple, s’il n’est pas une part de ce peuple, rien qu’une part, une part embrasée, mais, une part tout de même, une part intégrée puisqu’au centre, mais, une part sans privilège, sans honneur particulier” (Jean-Marie Adiaffi dans ‘La Carte d’identité’) ?

Hormis Mgr Jean-Pierre Kutwã, pasteurs, prêtres et évêques se sont tus, eux aussi, sur le viol de notre Loi fondamentale par Ouattara. Auraient-ils déjà oublié qu’une Eglise “qui n’a pas la capacité de semer la pagaille ou de déranger est une Eglise faible, malade, mourante et elle doit être hospitalisée en service de réanimation au plus vite” (Pape François, ‘Regina caeli’ du 8 juin 2014) ?

Pourquoi sont-ils paralysés par la peur ? Pourquoi restent-ils enfermés chez eux alors que, ajoute François, “l’Eglise de Pentecôte ne se résout pas à être inoffensive, trop distillée. Elle ne veut pas être un élément décoratif. C’est une Eglise qui n’hésite pas à sortir, à la rencontre des gens, pour annoncer le message qui lui a été confié, même si ce message dérange ou perturbe les consciences, même si ce message apporte peut-être des problèmes et même parfois s’il conduit au martyre” ? Lorsqu’un individu prend tout un pays en otage, le terrorise et lui impose ses vues, il ne s’agit pas de se réfugier dans une fausse neutralité en se taisant ou en ménageant la chèvre et le chou. Ce n’est pas le moment de jouer les équilibristes ni de pondre des déclarations généralisantes et floues. Il s’agit plutôt de prendre fait et cause pour le peuple ivoirien opprimé, spolié et humilié malgré son hospitalité et sa générosité.

Ce peuple n’a pas attendu le mot d’ordre des partis et leaders politiques pour faire échec à l’élection du 31 octobre 2020. Il continue de tenir tête au despote. Il sait qu’on peut se confier à Dieu sans attendre qu’Il fasse tout à notre place. Il a surtout compris que les leaders politiques, quels que soient leur générosité et courage, ne peuvent apporter le changement tout seuls et que c’est le peuple, toujours, qui fait la révolution, change le cours de son destin, bref, fait l’Histoire, comme disait le Chilien, Salvador Allende, peu avant sa mort. Il appartient aujourd’hui aux Ivoiriens de faire l’Histoire en continuant la mobilisation partout dans le pays, en boycottant les produits français car le soutien des dirigeants français à celui qui est à l’origine de la présente crise n’est plus un secret. Le fait que Marcel Amon-Tanoh et d’autres petits traîtres ne soient pas d’accord avec la création du Conseil national de transition qui, d’après eux, n’aurait aucun fondement légal devrait tout simplement les laisser de marbre. La seule chose qui compte pour eux aujourd’hui, c’est de se souvenir du combat mené jadis par les peuples français, américain, indien, algérien et sud-africain, de la lutte qui aboutit en Pologne, en Serbie ou au Kosovo à l’effondrement de régimes qui étaient jugés invincibles. Les Ivoiriens doivent comprendre qu’aucune dictature ne peut tenir longtemps face à un peuple organisé et déterminé. Ils doivent s’approprier l’idée qu’une révolution, pour ne pas échouer, a besoin d’une planification stratégique rigoureuse, d’une connaissance des forces et faiblesses de l’ennemi, d’une anticipation de la répression et d’un refus de coopérer avec le régime dictatorial (cf. Gene Sharp, ‘De la dictature à la démocratie. Un cadre conceptuel pour la libération’, Paris, L’Harmattan, 2009).

Si le pays nous appelle à le libérer, alors il n’y a pas de raison de nous arrêter en si bon chemin.

Jean-Claude DJEREKE

est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis)

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