COTE D’IVOIRE : Quand certains manipulent l’histoire pour servir des ambitions personnelles

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Depuis plusieurs années, les militants du Rassemblement des Républicains (RDR) ne cessent de marteler un récit bien huilé. Selon eux, la Côte d’Ivoire aurait été en état de mort cérébrale jusqu’à l’arrivée de Dramane Ouattara au pouvoir en 2011, et ce serait uniquement grâce à lui que le pays aurait retrouvé stabilité, développement et respectabilité internationale. Ces propos, souvent, répétés avec aplomb sur les plateaux de télévision, dans les meetings politiques et sur les réseaux sociaux, relèvent davantage de l’affabulation que de l’analyse sérieuse. Ils témoignent, surtout, d’un mépris inquiétant pour la vérité historique et d’une volonté manifeste de manipuler la mémoire collective à des fins politiques.

I. Une participation active du RDR sous Gbagbo

Avant d’accuser Laurent Gbagbo d’avoir plongé la Côte d’Ivoire dans le chaos, il est essentiel de rappeler que le RDR a été partie intégrante de ses gouvernements successifs (sur notre photo, le gouvernement Affi N’Guessan du 5 août 2002 où on comptait des éléments du PDCI et du RDR). Plusieurs ministres issus du RDR siégeaient dans les différents gouvernements de coalition, notamment, après les Accords de Marcoussis (janvier 2003).

Ces ministres, loin d’être de simples exécutants, recevaient leurs ordres directement de leur chef de parti, Alassane Ouattara. A cette époque, ils n’ont jamais dénoncé ni quitté le pouvoir pour protester contre une prétendue mauvaise gestion. Ils ont donc été co-responsables du bilan de ces gouvernements. Accuser ensuite Gbagbo seul du marasme économique ou politique, c’est faire preuve d’une malhonnêteté intellectuelle manifeste.

Quelques dignitaires de la fameuse république du Nord de Côte d’Ivoire dont le seul survivant sur la photo s’appelle Guillaume Soro actuellement en exil involontaire en Turquie.

II. Qui a plongé le pays dans le chaos ? Le silence sur les zones rebelles

Autre point que les partisans de Ouattara éludent volontairement : la division du pays. A partir de 2002, la Côte d’Ivoire a été scindée en deux, avec une partie Nord sous contrôle des rebelles des Forces Nouvelles, connues pour leur soutien à Alassane Ouattara. Ces groupes ont exploité illégalement les ressources naturelles — cacao, coton, or — et instauré une administration parallèle qui échappait totalement au contrôle du pouvoir central.

Comment peut-on ensuite prétendre que le pays était « en ruine » en 2011, sans pointer du doigt ceux qui l’ont affaibli pendant près d’une décennie en refusant toute réconciliation réelle et en s’enrichissant sur le dos des populations ? La vérité, c’est que la paix est revenue après 2011 non pas parce que le pays était géré différemment, mais, parce que le principal instigateur de l’instabilité avait enfin accédé au pouvoir.

III. La dérive autoritaire d’un homme qui se croyait au-dessus des lois

L’un des moments les plus symptomatiques de cette manipulation historique est sans doute le discours du 29 juillet. Prenant prétexte de la stabilité et de la sécurité du pays, Alassane Ouattara a tenté de justifier un nouveau passage en force, violant, une fois encore, la Constitution ivoirienne en briguant un énième mandat présidentiel.

Parlant d’un « devoir qui transcende la parole donnée », Ouattara s’est comporté en homme qui se pense indispensable, méprisant les règles démocratiques les plus élémentaires. Pourtant, le premier devoir d’un chef d’Etat est de respecter la Constitution et de donner l’exemple en tenant ses engagements. En reniant ses propres promesses, il a trahi la confiance du peuple et insulté la démocratie.

IV. Et maintenant ? Le peuple face à ses responsabilités

La question centrale aujourd’hui n’est plus de savoir si Ouattara a trahi. C’est un fait. La véritable interrogation est de savoir ce que le peuple ivoirien compte faire face à ce nouveau coup de force. L’Histoire enseigne que c’est dans l’adversité que se révèlent les grandes nations. Le Mali a chassé un régime autoritaire en 2020. Le Burkina Faso s’est levé en 2014 pour dire non à l’arbitraire. La Côte d’Ivoire fera-t-elle moins ?

Les Ivoiriens doivent se souvenir qu’ils sont les héritiers d’hommes et de femmes de courage : Mathieu Ekra, Marie et René Séry Koré, Anne-Marie Raggi, Albert Paraiso, Victor Biaka Boda, Jean-Baptiste Mockey, Jacob Williams, Bernard Dadié… Ces figures emblématiques de la résistance, du nationalisme et de la dignité humaine ont combattu sans relâche pour que la Côte d’Ivoire soit un état de droit.

Mathieu Ekra, ancien ministre du « Vieux » (Félix Houphouët-Boigny) : Afrique Education espère que les Ivoiriens ne l’oublieront jamais…

L’heure du choix

La balle est désormais dans le camp du peuple ivoirien. Laisser passer ce nouvel affront sans réaction, ce serait admettre que les principes républicains sont négociables, que la Constitution est un chiffon, et que la parole donnée ne vaut plus rien.

L’Histoire jugera ceux qui se sont tus par peur ou par confort. Elle glorifiera ceux qui, à l’instar de leurs ancêtres, auront su se dresser contre le mensonge, l’oppression et la confiscation du pouvoir.

La Côte d’Ivoire mérite mieux qu’un storytelling politique. Elle mérite la vérité, la justice, et surtout, le respect de sa Constitution.

Jean-Claude Djéréké

Est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).

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