Le Conseil constitutionnel du Cameroun est-il frappé par un mauvais sort ? En l’espace de six mois, le voici amputé de deux de ses éminents membres, les professeurs, Joseph-Marie Bipoun Woum et Joseph Owona, tous les deux, constitutionnalistes de renom.
Alors que les larmes pleurant Joseph-Marie Bipoun Woum n’ont pas encore séché, voici que survient, aussi, la mort de Joseph Owona. Le professeur Bipoun est mort le 28 juin 2023, à Istanbul, en Turquie, tandis que son collègue, Joseph Owona est décédé, samedi, 6 janvier 2024, au Centre médico-chirurgical de Bordeaux.
Bien qu’éminents collègues, l’un avait enseigné l’autre : Joseph-Marie Bipoun Woum enseigna Joseph Owona à l’Université de Yaoundé au début des années 70, avant de s’envoler en France où il obtint son agrégation en droit public à l’âge de 32 ans après avoir enseigné comme assistant à Paris 1 de 1969 à 1972, avec comme maître à penser, le professeur Gonidec. Pendant ses cours de droit constitutionnels à l’amphi 700 de l’Université de Yaoundé, il citait, sans cesse, Pierre-François Gonidec.
Excellent juriste au caractère trempé, Joseph Owona ne se laissait pas chahuter pendant son cours de droit constitutionnel à l’amphi 700 de l’Université de Yaoundé, dans les années 80, cours qui réunissait, les étudiants de première année de droit et de science-économique. C’est dire que l’espace était exigu pour contenir tout le monde. Même les allées de l’amphi était bondées, les étudiants écrivant sur leurs genoux. Quand, pour briser le silence de cathédrale qui faisait du professeur le seul officiant du lieu, un élève se faisait remarquer par un cri de singe ou d’oiseau en plein cours en guise d’animation, Owona ne le ratait pas et l’enguelait copieusement sans l’avoir identifié. Il répondait du tac au tac, « Massa Yo », comme le surnommaient les étudiants. Ses étudiants gardent de lui un très bon souvenir.
Après, il gravit les échelons pour devenir chancelier de l’Université de Yaoundé (recteur), Paul Biya étant devenu président de la République en 1982. Ce dernier l’appela même à ses côtés, au palais, comme secrétariat général-adjoint. Mais son caractère ne lui permettant pas de laisser passer quoi que ce soit, il en vint aux mains avec son patron, le secrétaire général de la présidence de la République, Ferdinand Oyono, l’auteur du célèbre ouvrage, « Le vieux nègre et la médaille » édité chez Présence africaine.
Oiseau baladeur du gouvernement, Joseph Owona fut ministre dans une dizaine de départements différents. Il alla même jusqu’à devenir le président du Comité de normalisation de la Fédération camerounaise de football où il connut un succès dans la mesure où ses réformes (tant décriées), quatre ans plus tôt, permirent aux Lions indomptables de gagner la CAN 2017 au Gabon.
Son caractère trempé fut qu’il ne changeait pas facilement de position. Ministre de l’Education, il enregistra un taux de succès au baccalauréat de 21% en 2003 et refusa qu’on baisse la moyenne afin de faire passer un grand nombre d’élèves, malgré le fait que son mentor, Paul Biya, allait affronter une élection présidentielle l’année suivante. A la question de savoir si une telle rigueur n’allait pas coûter des voix au président de la République à la présidentielle, il répondait qu’il n’y pouvait rien car ce taux au bac réflétait le vrai niveau des élèves camerounais de terminale. Ce qui était vrai.
Pour le lui faire payer cher, Paul Biya oublia de le faire figurer sur ses listes de ministres de 2004 (dès son élection) jusqu’à sa mort.
Quand le président de la République créa le Conseil constitutionnel en février 2018, le professeur, Joseph Owona, fut l’un des 11 membres qui le composaient. Beaucoup crurent que Paul Biya allait faire de lui le président de ce Conseil. Que non ! Il alla choisir un ancien magistrat retraité qui se la coulait douce dans ses plantations, au village : Clément Atangana. Ce dernier est l’homme du président sans calcul. Avec lui, Paul Biya dort tranquille alors qu’il se mettait Joseph Owona à la tête dudit Conseil, personne n’allait être sûr de rien tellement il était imprévisible.
Le Conseil constitutionnel perd, donc, coup sur coup, deux éminents constitutionnalistes, Joseph-Marie Bipoun Woum et Joseph Owona en l’espace de quelques mois. Il reste le professeur agrégé, Charles-Etienne Lekene Donfack, qui appartient à la même école de pensée et qui est aussi membre du Conseil constitutionnel. Ses anciens étudiants gardent, aussi, de lui, un excellent souvenir, comme les deux défunts. Espérons que lui vivra un peu plus longtemps pour bien servir le droit au sein du Conseil constitutionnel.