DEMOCRATIE : La désobéissance civile est un devoir face à un régime violent et dictatorial

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Lorsque certains régimes (pouvoir temporel) sont interpellés par des représentants du pouvoir spirituel, ils ne manquent pas de réagir en citant la fameuse phrase de Jésus : “Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu” (Mt 22, 21). Une phrase qu’ils interprètent de la manière suivante : les “curés’” devraient se contenter de prier pour la paix au lieu de se prononcer sur les affaires de la Cité qui, d’après eux, reviennent aux politiques. Plus grave encore, on a le sentiment que, pour eux, quiconque “s’oppose à leur autorité résiste [automatiquement] à l’ordre que Dieu a établi” (Rm 13, 2). Ont-ils raison ? Jésus recommande-t-il une obéissance aveugle ou absolue aux autorités ? Interdit-il de résister aux dirigeants qui foulent aux pieds la justice et l’équité ?

Connaître le contexte dans lequel Jésus s’exprimait nous permettra de mieux cerner la finesse et la complexité de sa pensée. Le contexte est celui des relations entre hérodiens et pharisiens qui étaient loin d’être cordiales. Les premiers, partisans d’Hérode, étaient favorables au paiement de l’impôt à César. Les seconds, eux, y étaient farouchement opposés ; ils regardaient donc les hérodiens comme des traîtres à la patrie occupée par les Romains. Ces deux groupes se mirent néanmoins d’accord pour piéger Jésus. Ils se retrouvèrent devant lui avec cette question : Est-il permis ou non de payer l’impôt à l’empereur ? Si Jésus répondait que l’impôt devait être payé à César, les pharisiens l’accuseraient de soutenir l’occupant romain. Dans le cas contraire, ce sont les hérodiens qui le traiteraient de mauvais citoyen. Jésus vit le piège et qualifia les pharisiens d’hypocrites. Il les trouvait hypocrites parce que ces pharisiens, qui prétendaient être contre César, gardaient dans leurs poches des pièces d’argent sur lesquelles était gravée l’image de César.

Après avoir dénoncé l’hypocrisie des pharisiens, Jésus va inviter les deux groupes à rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. La conjonction de coordination “et” signifie que Jésus demande, non pas de choisir entre César et Dieu, mais de s’intéresser à l’un et à l’autre tout en gardant bien à l’esprit que Dieu est au-dessus de César puisque César n’est qu’une de ses créatures.

S’intéresser à César, le prendre au sérieux, c’est d’abord reconnaître sa légitimité, ensuite, comprendre qu’on a besoin d’hommes et de femmes qui s’engagent dans la politique pour la bonne marche de la Cité. Mais s’engager en politique, c’est être serviteur du peuple qui délègue momentanément ses pouvoirs à X ou à Y. Il en découle que le peuple non seulement n’a pas besoin de se prosterner devant les politiciens pour bénéficier de tel ou tel service mais qu’il a le droit et le devoir de se soulever contre tout prince qui ne sert pas ses intérêts ou veut confisquer le pouvoir en violation de la Loi fondamentale qu’il s’est librement donnée. Pour le dire autrement, le peuple est tenu d’obéir aux autorités aussi longtemps que celles-ci sont au service de tous les citoyens et promeuvent leur dignité. Par contre, les citoyens n’ont pas d’autre choix que de se dresser et de dire “non” si César laisse s’installer l’iniquité, l’injustice, la violence et la terreur.

Bravo donc aux évêques de la République démocratique du Congo qui demandèrent le 14 septembre 2014 au peuple congolais de s’opposer à toute modification de la Constitution ! Si elle avait eu lieu, cette modification aurait permis à Joseph Kabila de briguer un 3e mandat, ce qu’interdit la Constitution de la RDC. Félicitations également à l’épiscopat burkinabè qui se dressa courageusement, en février 2014, contre le criminel et dictateur, Blaise Compaoré, qui voulait changer l’article 37 de la Constitution limitant, à deux, le mandat présidentiel ! Ces deux conférences épiscopales agirent comme Jésus “qui n’avait peur de rien et ne se laissait influencer par personne”. Puisse leur exemple devenir contagieux dans un continent où certains présidents ont tendance à tripatouiller la Constitution pour se maintenir au pouvoir ! Pire encore, les amis et parents de ces présidents s’enrichissent et se la coulent douce pendant que les autres, l’écrasante majorité, sont privés de soins, de nourriture et d’emplois, sont arrêtés et détenus sans jugement à cause de leurs opinions. Et toutes ces choses, ces vilaines choses, arrivent sans que certains “hommes de Dieu” ne lèvent le petit doigt. Ces derniers sont silencieux, soit, parce qu’ils sont occupés à manger avec le dictateur, soit, parce qu’ils craignent que ce dernier ne leur coupe les vivres, soit, parce qu’ils redoutent d’être incarcérés ou assassinés. Prions pour qu’ils retrouvent assez vite le courage de Jésus, de Jean le Baptiste et des prophètes de l’Ancien Testament ! Mais, à bien voir les choses, n’est-ce pas tout baptisé qui est appelé à se mettre en colère et à protester quand tel ou tel César affame, torture, exploite ou tue ?

Dieu ayant créé les hommes pour qu’ils soient heureux et libres, tout homme épris de justice et de liberté n’a-t-il pas l’obligation de désobéir à un régime assassin et tyrannique ?

Thomas Sankara aurait répondu par l’affirmative. Lâchement assassiné par l’impérialisme et ses suppôts, le 15 octobre 1987, il continue d’être célébré partout en Afrique. Son souvenir reste gravé dans nos cœurs parce qu’il eut le courage de dire “non” à la résignation, “non” à la soumission, “non” au déshonneur, “non” au temblement et à l’agenouillement devant le Blanc.

Ce “non” continue de retentir au Mali, en Guinée, en Côte d’Ivoire et ailleurs en Afrique 33 ans après sa mort parce qu’il est le cri éternel que la liberté oppose à toute tentative d’oppression.

Nous espérions qu’il ferait ce que les Um Nyobè, Patrice Lumumba, Modibo Keïta, Sylvanus Olympio, Amilcar Luis Cabral et Agostinho Neto, furent enpêchés d’accomplir. Nous comptions sur lui pour un meilleur positionnement du continent sur la scène internationale. Il était “la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche” (Aimé Césaire). Il était le symbole d’une autre Afrique : une Afrique libre et debout, une Afrique qui se prend en charge, qui valorise ce qu’elle a, une Afrique qui produit ce qu’elle consomme et consomme ce qu’elle produit. Il était notre espoir. Malheureusement, l’espoir fut assassiné comme l’explique bien l’ouvrage que lui consacra en 1990 Valère Somé, un de ses compagnons de lutte.

Le 4 octobre 1984, Thomas Sankara prononça un discours historique à l’Assemblée générale de l’ONU. Ce jour-là, il rappela à juste titre des vérités que certains n’aiment pas entendre en Occident. Il disait ceci : “Nous avons jusqu’ici tendu l’autre joue. Les gifles ont été redoublées. Mais, le cœur du méchant ne s’est pas attendri. Ils ont piétiné la vérité du juste. Du Christ, ils ont trahi la parole. Ils ont transformé sa croix en massue. Et après qu’ils se sont revêtus de sa tunique, ils ont lacéré nos corps et nos âmes. Ils ont obscurci son message. Ils l’ont occidentalisé cependant que nous le recevions comme libération universelle.

Alors, nos yeux se sont ouverts à la lutte des classes. Il n’y aura plus de gifles. Il faut proclamer qu’il ne peut y avoir de salut pour nos peuples que si nous tournons radicalement le dos à tous les modèles que tous les charlatans de même acabit ont essayé de nous vendre vingt années durant. Il ne saurait y avoir pour nous de salut en dehors de ce refus-là. Pas de développement en dehors de cette rupture.” La désobéissance civile en Côte d’Ivoire ne vise pas uniquement à dégager un régime qui a fait trop de mal à la Côte d’Ivoire et qui, ce weekend, s’est encore illustré négativement en incendiant la maison de Pascal Affi N’Guessan à Bongouanou. Elle est aussi peut-être le début de cette rupture avec un pays qui, tout en parlant de démocratie et de droits de l’homme, soutient les dictatures les plus féroces en Afrique francophone.

Jean-Claude DJEREKE
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).

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