DJIBRIL DIABATE : « L’AFRIQUE RECULE PAR LA FAUTE DE SES INTELLECTUELS »

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Le continent s’est alors retrouvé dans une situation où au lieu d’aller de l’avant, il n’arrête pas de reculer. Par la faute de ses intellectuels.

Afrique Education : Ne trouvez-vous aucune circonstance atténuante aux intellectuels africains ?

Djibril Diabate : Aucune parce qu’il s’agit de soi-disants intellectuels. Il ne suffit pas d’avoir des diplômes pour l’être si vous n’arrivez pas à peser dans les choix et orientations de votre pays.

Les gouvernements africains devraient être sous la pression des intellectuels…

Absolument. Parce qu’un pays comme les Etats-Unis ne se paie pas le luxe de financer les études de ses ressortissants. Alors que la majorité des pays africains dépensent beaucoup d’argent pour pouvoir former leurs cadres et ceux-ci, une fois formés, rentrent au pays dans l’espoir d’avoir un beau bureau, une belle voiture, etc. Après 25 ou 30 ans de travail, ils vont à la retraite. Ce qui veut dire que : l’état a payé l’argent pour les former; ils vont travailler 20 à 30 ans dans l’administration avant de toucher leur pension de retraité. Quand on leur demande quelle a été leur contribution au développement de l’Afrique et singulièrement de leur pays, ils répondent tout simplement qu’ils ont travaillé dans l’administration pendant 20 à 30 ans.

Que proposez-vous pour relancer l’Afrique qui va très mal actuellement ?

Nous devons revoir nos clauses de contrat avec les anciens colonisateurs. Par rapport à l’Asie que je connais mieux parce que j’y travaille depuis 7 ans. Quand une compagnie va s’implanter en Afrique, il faut toujours exiger que tout ce qui est fait ou fabriqué soit suivi d’un transfert de technologie. Actuellement, il n’y a pas de transfert de technologie en Afrique. Nos intellectuels devraient insister (comme en Asie) que les gouvernements imposent un tel transfert lors de la signature des contrats. Pourquoi j’accuse les intellectuels ? Parce qu’ils ont souvent privilégié la politique.

Donc première proposition que vous formulez, une clause de révision de contrat avec les anciens colonisateurs.

Oui. L’Oua doit exiger cela à nos partenaires. Nous devons leur dire : « Il faut que tout ce que vous faites chez nous soit adapté au standard africain ». Nous n’avons pas de standard africain actuellement. Donc n’importe quoi fabriqué en Europe ou ailleurs nous est expédié en Afrique selon le standard international ou celui du pays producteur.

Et la mondialisation, qu’en faites-vous ?

L’Afrique est un marché pour ces pays qui ont imposé la mondialisation. L’Afrique n’ayant pas de technologie, mondialisation ou pas mondialisation, c’est la même chose. Ca permet à chaque pays de faire n’importe quoi en Afrique. Nous ne pouvons pas développer nos matières premières. Donc ça les arrange qu’il y ait une mondialisation dont fait partie l’Afrique. Qu’est-ce-que l’Afrique a à vendre à l’extérieur ?

L’Afrique a justement les matières premières.

Oui, nous proposons à l’extérieur des produits que nous-mêmes ne consommons pas. Cela veut dire que tant que nous n’aurons pas les moyens de transformer nous-mêmes nos matières premières, nous serons toujours victimes de la Bourse et des fluctuations des cours. Il faut donc pour corriger cela que nos cadres et nos intellectuels réfléchissent et se posent la question de savoir ce qu’il faut pour développer l’Afrique.

Ces mêmes questions sont posées par les intellectuels depuis 40 ans sans réponse.

Pourtant la réponse est simple. Depuis 40 ans, l’Afrique n’a fait que 360°, c’est-à-dire, nous n’avons fait que tourner en rond.

A cause de quoi ?

Parce que nos premiers intellectuels qui ont eu les contacts avec l’Europe se disent que nous n’avons pas les moyens de créer, d’inventer, d’innover. C’est archi-faux. L’Asie est là pour nous montrer que chaque pays peut se développer par ses propres moyens. Un ingénieur qui est formé en Afrique ne fait rien c’est-à-dire qu’il n’est pas utilisé à bon escient en dehors peut-être de certains ingénieurs agronomes qui ont essayé de travailler à la valorisation de nos produits agricoles. Pourtant, faire un design ne demande pas plus d’argent. Il faut simplement de la matière grise. C’est ce que l’Asie est en train de faire en copiant ce qui existe déjà. Mais en Afrique, on s’est spécialisé dans la consommation. Il n’existe aucune structure nous permettant de faire la même chose. Si tel est le cas, c’est par la faute de nos intellectuels.

Vous savez que rien ne peut valablement se faire aujourd’hui sans la dette qui plombe les économies du continent. Il faut donc l’effacement de cette dette auquel s’opposent les Etats-Unis notamment.

L’Amérique a fait beaucoup d’investissements en Asie. Quand on compare l’Asie à l’Afrique, quelle est la différence ? Nous avons plus de matières premières que les asiatiques, c’est-à-dire, naturellement nous sommes plus riches qu’eux… Mais les asiatiques se sont dit que l’Amérique étant un pays développé, ils allaient tout simplement copier les produits américains (leur savoir-faire). C’est la seule façon pour eux de pouvoir s’imposer. Cela incite les américains à investir dans ces compagnies en Asie.

Vous prônez le non-respect des brevets d’invention.

Quand vous déposez un brevet d’invention ici aux Etats-Unis, pour que le même brevet soit respecté au Japon, il faut faire une autre demande au Japon. Mais chez nous en Afrique, on nous impose le contraire. Allez voir comment on copie en Asie et vous serez étonné. Et c’est la seule façon de s’en sortir.

Qui êtes-vous ?

Je m’appelle Diabate Djibril. Je suis africain d’abord avant d’être ivoirien. Je suis ingénieur d’automation et travaille dans une compagnie américaine spécialisée dans la conception de systèmes utilisés dans l’industrie informatique et semi-conducteurs. Cela fait sept ans que je travaille pour la même compagnie et j’ai fait pas mal de design en Asie, que ce soit au Japon, en Corée, en Malaisie, en Indonésie, en Chine, en Suède, à Hong Kong, etc.

Sans entrer dans les détails, que proposez-vous ?

Mon problème, c’est d’aider la Côte d’Ivoire ou tout autre pays qui ferait appel à moi. Je vis très bien aux Etats-Unis, donc, il ne s’agit pas d’un problème de carrière personnelle. Je voudrais simplement apporter quelque chose à mon pays, à mon continent. A présent, nous intellectuels africains contribuons au développement d’un pays déjà développé alors que nous sommes originaires d’un continent sous-développé. Nous avons pas mal d’étudiants qui sortent et qui n’ont pas de boulot. Nous pourrions créer un Centre de recherche (pas du type de ceux qui existent actuellement), mais un centre concret, c’est-à-dire, pour les ingénieurs, qui permettra de mettre les choses au point devant être vendues sur le marché. Nous pourrions y fabriquer nos postes de téléviseurs, de radio, nos machines industrielles conçues sur place en Côte d’Ivoire (ou dans tout autre pays africain) et adaptées à notre environnement, etc.

Cela demande quoi en terme de coûts financier, matériel et humain ?

En terme de coût financier, je dirais plutôt de la volonté intellectuelle pour concevoir sur place nos prototypes adaptés aux réalités africaines

Vous utiliseriez des ingénieurs sortis de grandes écoles ivoiriennes ?

Exactement. Et à l’extérieur aussi. Par exemple, en Amérique, il y a beaucoup trop d’ingénieurs, on peut facilement trouver des africains candidats à la mise en état de fonctionnement d’un tel projet.

A partir du moment où le projet est déjà monté, à combien se chiffrent les frais de fonctionnement la première année ?

Tout ce que je demande, c’est que l’état accepte d’aligner le salaire des travailleurs de ce Centre sur celui des travailleurs de la Fonction publique sur une période de 3 ans maximum. Pour le reste, ce sont des design que nous allons faire sur place et de là, les prototypes. De cette phase, les financements sont trouvables partout y compris à la Banque mondiale.

La Banque mondiale impose de longs délais d’étude des projets.

En dehors de la Banque mondiale, il existe de multitudes d’organismes aux Etats-Unis qui peuvent être très intéressés par un tel projet.

C’est un appel du pied que vous lancez aux autorités ivoiriennes.

Pas forcément ivoiriennes mais africaines parce que si la Côte d’Ivoire ne veut pas financer le projet et qu’un autre pays accepte de le faire, je ne vois pas pourquoi je refuserais de m’y installer. Tout ce dont nos industries locales auraient besoin pour leur fonctionnement, nous le leur fournirions dans notre Centre sans avoir recours (comme aujourd’hui) à l’extérieur.

Que ce soient les téléviseurs, les magnétoscopes, les véhicules, etc.

La technologie de tout cela existe déjà. Par exemple, la Malaisie fabrique des voitures, des téléviseurs, etc. et comment ? Nous ferons la même chose. Nous réaliserions des prototypes que nous livrerions aux marchés en fonction de ses besoins.

Accepteriez-vous de vous séparer de votre entreprise ?

C’est l’Afrique qui compte pour moi. Un exemple : on nous dit que les entreprises américaines s’implantent en Asie parce que la main-d’oeuvre y est moins chère. Moi je vais travailler dans les industries en Asie qui embauchent 20.000 à 25.000 voire 40.000 travailleurs avec un salaire mensuel de 350 dollars (250.000 f cfa). Combien de cadres en Afrique touchent une telle somme ? Pourquoi ces industries ne vont pas en Afrique ?

Je vous retourne la question.

Parce qu’il y a l’insécurité politique, mais aussi parce que les autorités ivoiriennes (et autres) préfèrent se tourner vers l’extérieur pour résoudre leurs problèmes. Par exemple, il y a quelques années, la Côte d’Ivoire avait adopté l’éducation télévisuelle. Au lieu que les téléviseurs soient connectés sur des prises électriques classiques, les européens avaient une entreprise spéciale qui fournissait les accumulateurs (batteries de voiture) qui alimentaient ces TV. Cela se comprendrait pour les localités sans électricité. Chaque fois, cette entreprise venait charger ces batteries. Cela faisait de l’argent qui partait. C’était juste un marché de dupes. Aucun intellectuel ne l’a dénoncé. La logique est pourtant la suivante : quand vous avez de l’électricité, vous n’avez pas besoin d’acheter des accumulateurs pour avoir de l’électricité. Et jusqu’à maintenant, ce que je dénonce là continue dans beaucoup d’autres domaines et en Côte d’Ivoire et ailleurs en Afrique.

Propos recueillis par
Jean-Paul Tédga.

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