C’est une bonne chose que ce soit le président, Bassirou Diomaye Faye, qui ait effectué cette deuxième visite en France, après celle de juin 2024. En effet, les souvenirs de la malgouvernance de Macky Sall qui bénéficiait du plein soutien d’Emmanuel Macron, ne plaident pas pour des relations apaisées entre les deux pays. Car c’est à cause de l’injustice caractérisée du pouvoir de Macky Sall que Bassirou Diomaye Faye, et par la suite, Ousmane Sonko, s’étaient retrouvés en prison. Ousmane Sonko, le chef du Pastef, qui était le candidat naturel de ce parti à l’élection présidentielle, devenu inéligible, a dû céder sa place à son camarade de parti, Bassirou Diomaye Faye. Les ressentiments sont donc importants quand on sait, aussi, que l’entêtement de Macky Sall à briguer un 3e mandat, se faisait avec l’accord plein et entier de son ami, Emmanuel Macron. Plus tempéré et modéré dans les propos comme dans le discours, Bassirou Diomaye Faye a su se contenir lui-même pour rencontrer Emmanuel Macron afin qu’une nouvelle voie soit tracée dans la coopération entre les eux pays. Un pays qu’ils ont trouvé ruiné par la mauvaise gestion de Macky Sall, qui a provoqué l’abaissement de la note souveraine.
Pour communiquer sur leur rencontre, les deux chefs d’Etat sont passés par le réseau X (notre photo du 27 août 2025). Cela explique, sans doute, la difficulté manifeste à parler d’une même voix devant un parterre de journalistes qui n’attendait qu’un faux pas pour allumer le feu d’un côté comme de l’autre.
« Nous avons travaillé au renouvellement de notre partenariat » et au « rapprochement entre nos deux pays », a relevé le président français à l’issue d’un petit-déjeuner à l’Elysée, en se félicitant d’un « excellent entretien ». « Ce petit-déjeuner nous a permis (…) de réaffirmer notre volonté commune de renforcer la relation bilatérale dans des domaines tels que l’investissement, le commerce, la défense et la sécurité », a relevé Bassirou Diomaye Faye.

Les deux dirigeants ont aussi évoqué les questions « mémorielles, internationales », ainsi que, la préparation du Sommet Afrique-France de 2026 dont on se demande en Afrique à quoi il sert encore. Un véritable machin, dirait le général de Gaulle. Emmanuel Macron n’a pas compris qu’il devait utiliser sa jeunesse pour passer à autre chose avec l’Afrique. Il s’est inscrit sur le schéma de ses prédécesseurs dans une Afrique qui a fondamentalement changé avec une jeunesse qui aspire à une décolonisation totale. Or, le Sommet France-Afrique devenu (inopportunément) Sommet Afrique-France (comme si quelque chose avait changé dans le fond) est un relent suprêmement françafricain. On doit l’abandonner et passer à autre chose. On espère que Bassirou Diomaye Faye l’a fait savoir à son homologue français.

Le massacre de Thiaroye par les forces coloniales françaises, que le président, Emmanuel Macron, a reconnu, en novembre 2024, était, également, sur la table. Là, aussi, les Sénégalais devront être vigilants avec cette volonté de la France à occulter son passé colonial en passant sous silence certains faits qui salissent son image. On l’a vu dans le fameux rapport corédigé par les historiens français et camerounais sur la colonisation française au Cameroun où les historiens de l’Hexagone n’ont pas accepté l’utilisation des termes comme « génocide » tout comme ils n’ont pas admis que l’armée française utilisait, parfois, du napalm pour terroriser des populations qui aspiraient à l’indépendance. Parlant du bilan de cette colonisation, ils se sont mis (difficilement) d’accord sur quelques dizaines de milliers de morts alors que la grande majorité des historiens camerounais affichent, plutôt, plusieurs centaines de milliers de morts. Il y a là une différence de taille qui fait que le contenu de ce rapport a quelque peu été biaisé. Cela veut dire que quand Bassirou Diomaye Faye parle des massacres de Thiaroye et autres avec Emmanuel Macron, ils s’entendront difficilement sur la même unité de compte en termes de tueries. La France voudra minimiser les faits passés car l’histoire coloniale pèse, aujourd’hui, énormément, dans les relations entre la France et les pays africains anciennement colonisés.

C’est pourquoi les autorités françaises parlent de 35 personnes tuées alors que les historiens sénégalais avancent le chiffre de 400 personnes assassinées en décembre 1944 alors qu’à leur retour d’Europe, ils réclamaient des arriérés de soldes pour leur participation à la Seconde Guerre mondiale. Le gouvernement sénégalais reproche à la France de dissimuler des faits sur ce massacre, en retenant notamment des documents d’archives permettant de connaître le bilan humain.
Emmanuel Macron et Bassirou Diomaye Faye avaient déjà exprimé une « volonté commune de donner une nouvelle impulsion au partenariat » bilatéral lors de leur première rencontre en juin 2024 à l’Elysée. Le Sénégal est resté après son indépendance l’un des alliés africains les plus sûrs de la France, ancienne puissance coloniale dominante en Afrique de l’Ouest. Mais, les choses sont en train de radicalement changer avec le duo Bassirou Diomaye Faye/Ousmane Sonko. Pour preuve, l’armée française a été priée de plier bagages alors que sous Macky Sall, il était, au contraire, question de renforcer ce partenariat militaire. Le Sénégal a suivi les exemples du Mali, du Burkina Faso, du Niger et du Tchad, qui, eux, préfèrent se tourner vers la Russie.

Arrivés au pouvoir en avril 2024, les nouveaux dirigeants ont promis de traiter désormais la France à l’égal des autres partenaires étrangers, et plaident pour un « partenariat rénové » et « équilibré », au nom d’une souveraineté recouvrée. C’est cette souveraineté recouvrée qui a permis à Ousmane Sonko de signer des contrats de plus d’un milliard d’euros avec le président turc, Recep Tayyip Erdogan, il y a quelques jours, à Ankara. Début juillet, il a rencontré le président chinois, Xi Jinping, à Beijing, pour signer des contrats tandis que Bassirou Diomaye Faye, lui, a participé au Sommet Afrique-Japon (TICAD 9), ainsi qu’à l’Exposition universelle Osaka-Kansai 2025, fin août au Japon.
Lors d’une rencontre avec Donald Trump le 10 juillet à la Maison Blanche, le président sénégalais avait, aussi, convié les investisseurs américains dans son pays, en soulignant ses riches ressources en pétrole et gaz naturel. En 2024, le Sénégal est devenu producteur de pétrole et de gaz.
Il ne manque à l’appel que la Russie et l’Inde, qui n’ont pas encore été visitées, mais nul doute qu’on y pense, fortement, à Dakar, les nouvelles autorités, ayant trouvé les comptes de l’Etat fortement dégradés, font tout pour corriger cette désastreuse situation.