Le 15 août prochain, les Congolais vont célébrer le soixante-et-unième anniversaire de l’indépendance avec un cadeau empoisonné pour le président de la République autoproclamé : la dépouille de Guy Brice Parfait Kolelas, dit Pako, le vrai vainqueur de l’élection du 21 mars dernier. Ce scenario cauchemardesque hante tellement Sassou-Nguesso qu’il voudrait le conjurer en précipitant son inhumation peu avant cette échéance. Sa machine de guerre usant force argent s’acharne à corrompre cyniquement, par le biais des lobbies financiers et occultes « françafricains » de France, le système judiciaire français qui a précipité une décision de classement de dossier de l’Affaire Parfait Kolelas et a autorisé le transfert de sa dépouille vers une morgue privée pour la préparation de ses obsèques sur instructions de la veuve Nathalie, seule ayant-droit concentrant tous les pouvoirs légaux de décision dans cette affaire.
De vives tensions règnent aussi au sein de la famille Kolelas que le tyran de Brazzaville avait déjà réussi à diviser depuis la mort de Bernard Kolelas, le patriarche, à coups de distribution de fortes sommes d’argent et de postes politiques. Elle ne parvient point à s’accorder sur une démarche consensuelle pour la conduite de cette affaire qui, de surcroît, intéresse sérieusement toute la nation congolaise en raison de la personnalité publique du défunt. Des journalistes à la solde du pouvoir, se fondant sur la décision du tribunal de Bobigny, s’affairent, désormais, à couler beaucoup d’encre pour persuader l’opinion de la nécessité d’organiser urgemment des funérailles pour tourner cette page funeste de l’actualité. Plusieurs posts en circulation dans les réseaux sociaux annoncent la date controversée du 13 août prochain fixée par la veuve Nathalie pour l’inhumation de Pako presqu’à la veille de la fête nationale. Hasard de calendrier ou machination politique ? Et la procédure judiciaire pour l’établissement de la vérité ?
Un véritable « que faire ? » pour les Congolais
Les vicissitudes des procédures judiciaires concernant la recherche de la vérité sur la mort suspecte du président élu du Congo, Pako, devant les juridictions françaises et leurs corollaires, les tergiversations familiales sur les obsèques sont déconcertantes, certes, mais, ne devraient pas détourner les Congolais de leur mission sacrée, à savoir, l’exécution de la volonté testamentaire de leur défunt leader : « Battez-vous pour le changement » ! La détermination de la cause exacte de décès par la justice est utile pour la manifestation de la vérité mais son retardement par des manœuvres dilatoires occultes ne doit ni entamer l’élan de combativité du peuple, ni fléchir le court de la résistance à la tyrannie.
Il est évident que la France qui est juge et partie dans cette affaire par le biais de la Françafrique ne saurait laisser ses juridictions en révéler une vérité susceptible de compromettre ses intérêts au Congo. Aussi, plutôt que d’attendre désespérément la vérité d’un pouvoir judiciaire français qui a perdu son indépendance (dans cette affaire) vis-à-vis de l’exécutif dans une Vème République décadente, les Congolais gagneraient plus à refaire leur propre lecture des événements pour faire la lumière sur le décès de leur président de la République à titre posthume. Ainsi, devraient-ils se faire violence pour se remettre de la consternation qui, depuis cette tragédie, les a placés dans un état de léthargie pour relancer leur activisme politique par la réflexion sur les stratégies de continuation du combat afin de ne pas accorder au président de fait une trop grande latitude de consolider son pouvoir usurpé. Les Congolais disposent, à cet effet, d’une diversité de ressources idéologiques et sociopolitiques susceptibles de les inspirer, dont le testament de Pako.
Le testament de Pako
Peu avant de trépasser, Pako, sur son lit d’hôpital déclara, le 19 mars dernier :
« Mes chers compatriotes,
Je suis en difficulté ; je me bats contre la mort mais, cependant, je vous demande de vous lever. Allez-y voter pour le changement. Je ne me serai pas battu pour rien. Battez-vous, je ne me serais pas battu pour rien. Levez-vous comme un seul homme ; faites-moi plaisir. Je me bats sur le lit de mort. Vous aussi, battez-vous pour votre changement. Allez-y, il y va de l’avenir de vos enfants. Battez-vous. Merci » !
C’était sa dernière adresse et son dernier signe de vie aux Congolais pour qui il s’est battu afin de le délivrer de l’oppression d’une dictature cinquantenaire. Le président Pako était face à la mort, conscient que ses heures étaient comptées mais il se fit violence pour rassembler toutes ses dernières forces et faire cette déclaration, qui devait devenir son testament pour le peuple. Il a dû rendre l’âme peu de temps après cette déclaration, tellement, qu’il agonisait. Son état rendait plus probable sa mort au plus tard le lendemain matin à Brazzaville même que dans l’avion au bout du voyage contrairement au mensonge officiel forgé pour éviter à l’élection de tomber sous le coup de l’article 59 de la Constitution de 2015 prescrivant l’annulation du scrutin en cas de décès de l’un des candidats en lice.
Toute notre reconnaissance à la personne qui a pensé lui solliciter cette déclaration fatidique et la diffuser dans la toile. C’est un héros dans l’ombre, qui a rempli un devoir de mémoire national par cet exploit historique. La mort de Pako n’aurait pas eu le même impact émotionnel sans cette couverture médiatique spontanée, qui a conforté sa signification de martyr de la démocratie. Cet enregistrement a le mérite indéniable d’avoir médiatisé son passage de vie à trépas et d’avoir donné au public l’opportunité de partager la douleur et l’intimité de son leader à travers cette visite virtuelle au chevet de son lit d’hôpital. Cette vidéo non signée est entrée dans l’histoire de Pako qui est, aussi, celle de la longue marche du peuple congolais vers la démocratie et archive l’immolation de la dernière victime de la dictature « sassoviste ».
Pako, symbolique d’une mort héroïque
Si le chanteur engagé Franklin Boukakai était encore en vie, il aurait certainement pensé à remixer sa chanson, « Les immortels », pour y insérer le nom de Parfait Kolelas aux côtés de ceux de tous les héros congolais et internationaux, qui ont payé de leur vie la cause qu’ils ont défendue : la libération de leurs peuples. Cet honneur d’être inscrit au panthéon des héros du Tiers-Monde, trépassés sous les griffes des commanditaires de la finance mondiale, Pako l’aurait légitimement mérité car il a été frappé d’une mort héroïque au même titre qu’André Matsoua, Um Nyobe, Barthélémy Boganda, et d’autres dignes fils d’Afrique, qui ont succombé dans le combat pour l’affranchissement de leur peuple de l’emprise coloniale, cause qui a donné un sens à leur existence. Il déclare en français dans la chanson en lingala : « …Tout homme doit mourir un jour, mais, toutes les morts n’ont pas la même signification » ; ainsi celle de Pako.
Les circonvolutions de la justice française sur la cause de sa mort ne changeront rien à la nature de crime politique de la mort de notre héros. Son assassin a déjà avoué, devant ses homologues africains à l’occasion de son investiture, le 16 avril dernier à Brazzaville, en des termes quelque peu voilés, que « …Parfait Kolelas a été emporté par un ennemi invisible sur la toute dernière ligne droite ». En prêtant serment comme président de la République, il était conscient dans son for intérieur de célébrer une victoire lâchement usurpée à un mort.
Chronique d’une mort annoncée
En effet, Pako a éprouvé le supplice d’une mort programmée par son adversaire politique dans des conditions atroces décrites de manière allégorique par un oiseau de mauvais augure, le ministre d’Etat, Firmin Ayessa, messager du dictateur Sassou-Nguesso. Dans un discours en lingala prononcé en plein meeting électoral, le 15 mars, à Owando, au Nord du pays, Firmin Ayessa a proféré ouvertement des menaces de mortii contre un tandem de candidats dont la description vérifiait les profils de Jean-Jacques Yhombi-Opangaut et Parfait Kolelas. Il promettait de faire « boire de l’eau par les narines » aux enfants ingrats et récalcitrants, c’est-à-dire, leur donner la mort par le supplice de l’empoisonnement.
Cet aparatchik parlait en connaissance de cause car l’empoisonnement de Pako était déjà accompli et la victime présentait des malaises collatéraux prémonitoires dès le meeting de Pointe-Noire du 13 mars dernier. Sa santé s’empira à Owando où il interrompit son discours pour cause de supplice. C’était sa dernière apparition en public car il annula son déplacement pour Ouesso où il fut représenté par son allié Yhombi. Ultérieurement aux menaces du gourou, Ayessa, il ne put animer le méga-meeting de clôture de campagne à Brazzaville, le vendredi, 19 mars, où il se fit excuser par sa femme, qui annonça, juste, une fatigue, comme alibi d’absence de son mari. Or, la situation était bien plus grave qu’elle ne prétendait pour apaiser l’opinion publique. A domicile, le leader à l’agonie vivait ses dernières heures.
Le samedi, 20 mars, était un jour de battement pour la préparation du scrutin du lendemain. Les Congolais ruminaient une forte inquiétude sur la santé du candidat du changement. Il avait été transporté et admis dans une clinique de Brazzaville. Soudain, le soir, comme un « breaking news », un post sur internet montra le président Pako, essoufflé, sur son lit d’hôpital, le masque du respirateur momentanément baissé, adressant aux Congolais un message d’encouragement politique sous un ton émouvant. Pour le pouvoir, ce fut une bombe incendiaire. Le complot pour l’élimination de Pako supposé ourdi dans l’incognito était désormais révélé tout en prenant des tournures imprévues. Il fallait parer au pire pour ne pas perturber le déroulement du scrutin. L’assassin, avec sa bienveillance hypocrite et malicieuse habituelle, annonça une évacuation sanitaire avec des dispositions en cours pour rassurer la population tout en œuvrant pour l’achèvement de son forfait.
Le dimanche, 21 mars, les Congolais qui avaient bien démasqué le stratagème du PCT refusèrent de céder à la provocation, préservèrent leur tempérance et participèrent au scrutin, le lendemain, dans le respect de la consigne de vote du candidat Pako : voter pour le changement. Le soir, les élections terminées, Pako était évacué vers la France pour Covid-19, mais, sa mort était, déjà, annoncée par la rumeur depuis la veille.
Une évacuation sanitaire rocambolesque
Aucune image fixe ni vidéo au sol de son évacuation n’ont circulé pour faire une analyse comportementale de l’équipe médicale et de l’équipage de l’avion. La photo qui a été publiée sur internet à propos ne paraît pas appropriée à la situation de Pako car elle représente un avion militaire français, qui ne correspond pas au petit appareil décrit par la presse https://sacer-infos.com/deces-kolelas-le-mysterieux-itineraire-de-lavion-non-medicalise-avec-une-drole-descale-a-ndjamena/. Par ailleurs, pour sûr, le type d’avion et l’itinéraire emprunté, tels que dénoncés dans l’article ne témoigne d’aucune bienveillance du gouvernement à l’endroit du patient ou mieux de la victime car tout était planifié pour l’achever ou l’appareil était juste commode pour transporter un cadavre. Tous ces éléments battent en brèche l’allégation d’une mort liée au Covid pour Pako d’autant plus qu’aucun cas de contamination n’a jamais été signalé dans son entourage immédiat.
La responsabilité d’une France intrinsèquement néocoloniale
L’attitude de la France dans l’assassinat de Pako suscite un questionnement sur l’étendue de sa responsabilité. Pourquoi le gouvernement français a-t-il aidé Sassou-Nguesso à se débarrasser d’un cadavre encombrant en plein processus électoral ? Pourquoi une France viscéralement chiche a-t-elle agi en violation de sa règlementation sanitaire en autorisant l’évacuation vers son territoire en confinement d’un patient covid si elle n’est pas complice du forfait en cause ? Il y a là une ambiguïté de la politique françafricaine dont la barbarie, l’iniquité, la fourberie et l’opacité, sont de ses principes de fonctionnement bien connus. Si la responsabilité directe de la France dans l’assassinat de Pako n’est pas établie à ce jour faute de connaissance de ses tractations secrètes avec le tyran congolais, cela ne l’exempte point de tout soupçon car son soutien indéfectible au régime de Sassou-Nguesso établit systématiquement sa responsabilité indirecte ou sa complicité dans tous les crimes imputés à cette dictature cinquantenaire dont l’emprisonnement arbitraire du général Mokoko.
Nous sommes tous Pako
Selon un combattant Pro-Pako de la diaspora congolaise en France surnommé Général Vadou, l’élimination de Pako constitue pour Sassou-Nguesso une erreur politique monumentale car « il a fait de [lui] un martyr, il a fait de lui un deuxième Matsoua André, un soldat tombé au front, un soldat courageux ». En sacrifiant Pako sur l’autel de la dictature, le tyran a inconsciemment greffé l’esprit de ce héros dans chacun des Congolais, qui se lèveront un jour « comme un seul homme » pour se battre pour le changement pour eux-mêmes et pour « l’avenir de leurs enfants ». Ce jour-là, le peuple prendra d’assaut la citadelle de la dictature pour y instaurer une démocratie irréversible qui substituera l’état de droit à l’état policier comme système de gouvernance de notre société, selon un vœu très cher à Pako. Ce sera le jour de la vengeance de son sang par le peuple sous forme de matérialisation de son idéal grâce à l’achèvement de son combat couronné par la victoire de la démocratie. Ce jour-là, tout le peuple, debout, scandera à l’unisson, le poing fermé levé vers le ciel : Nous sommes tous Pako !
Aujourd’hui, devant la lassitude suscitée par la lenteur de la procédure judiciaire pour la découverte de la vérité sur le décès de Pako, la famille comme l’opinion, sont divisées autour de l’ordre de priorité à accorder à la justice ou aux obsèques. Faut-il inhumer Pako avant la manifestation de la vérité sur sa mort ou faire l’inverse ? Entre les deux camps et sans en minimiser les enjeux, pour le peuple militant épris de l’idéal de Pako, la vraie la priorité revient à la justice populaire ou la vengeance qui consiste à s’approprier la pensée du leader et s’en armer les principes pour poursuivre son combat inachevé jusqu’à la victoire, c’est-à-dire, le triomphe de la démocratie dont il a tant caressé le rêve de son vivant. Ainsi, lui ferons-nous le plaisir qu’il nous a requis dans son testament afin de lui faire redire outre-tombe : « Je ne me [suis] pas battu pour rien » !
David NTOYO-MASEMBO
i Chanteur congolais engagé (1940-1972), auteur-compositeur en langues lingala et kikôngo du Congo-Brazzaville. Pour le découvrir à travers un recueil de nouvelles intitulé « Franklin, l’insoumis », Doxa, 2016, cf Haut du formulaire
https://www.rfi.fr/fr/emission/20160419-franklin-insoumis et https://www.afrolivresque.com/franklin-linsoumis/
ii Nos transcription et traductions « Si quelqu’un veut mesurer la profondeur du fleuve avec le doigt, laissez-le faire. Je parle en connaissance de cause… Si un enfant veut jouer avec le feu et qu’on l’en empêche mais n’écoute pas, …laissez-le faire. Que va-t-il lui arriver ? Certains se rebellent et osent défier leur père, celui qui les a engendrés, les a élevés… Ils osent le défier inutilement… Qu’ils osent alors mais ceux-là boiront de l’eau par les narines ».