LABELS ENVIRONNEMENTAUX : Les limites de la gouvernance libérale

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Les labels forestiers ont été mis en œuvre par les entreprises transnationales et la grande distribution avant les labels sociaux et les labels équitables. Il est fort instructif d’en observer les résultats en matière de protection de la forêt. Ils nous permettent d’observer les limites de la régulation privée des normes sociales et environnementales.

Les forêts tropicales, premier réservoir de biodiversité de la planète avec 80% des espèces et des plantes, sont gravement menacées. Elles régressent d’environ 1% par an et pourraient même disparaître dans les 50 ans, selon les grandes associations écologistes (AFP, 2004). Afin d’y remédier, depuis une quizaine d’années, sous la pression des ONG, les entreprises tentent de faire certifier leur production. La certification qui, au départ, visait à servir prioritairement la cause des forêts tropicales, est devenue un outil principalement appliqué aux forêts des pays industrialisés.

Les limites des labels forestiers face au label FSC
Parmi les organisations visant à protéger la forêt, il y a, en particulier, la Forest Stewardship Council (FSC). C’est une organisation de nature associative regroupant à la fois des ONG et des entreprises privées. Seules deux organisations françaises sont membres du FSC, l’une d’elle est le WWWF français (www.fsc.org, 22/03). Greenpeace n’en est pas membre, mais la soutient. Le label FSC a été créé en 1993, attestant que la gestion forestière respecte dix critères de responsabilité sociale, environnementale et économique1. En 2004, 1 % des forêts mondiales étaient certifiées FSC (AFP, 2004). En avril 2006, dans la grande distribution française, le label FSC est présent sur de nombreux produits en bois. On le trouve dans les magasins Auchan (meubles de jardins en bois tropical), Carrefour (salon de jardin en roble de Bolivie), Casa (mobilier de jardin), Lapeyre (filière contrôlée et certifiée FSC d’approvisionnement en bois pour son usine au Brésil) (Amis de la Terre, avril 2006).

Dans le rapport « Derrière le label… » (2001), une cinquantaine d’ONG internationales dont les Amis de la Terre (France) ont déclaré que les labels forestiers autres que FSC étaient tous insuffisants. Ce rapport présentait les 4 principaux labels forestiers, que sont le Forest stewardship council (FSC), le Canadian standard association (CSA), le Sustainable forestry initiative (SFI) et le Pan european forest certification scheme (PEFC). Le FSC est un programme mondial, le CSA ne s’applique qu’au Canada, le SFI s’applique principalement aux USA et au Canada, alors que le PEFC offre un cadre pour les programmes nationaux de certification dans 14 pays européens. Les CSA, PEFC et SFI sont des systèmes initiés, et dans la plupart des cas gérés, principalement par l’industrie forestière et les propriétaires forestiers.

De nombreuses entreprises certifiées FSC mises en cause
Bien que l’éco-certification FSC soit une des plus réputées, on observe qu’il certifie des entreprises qui ne le méritent pas. Au Cameroun, certaines associations estiment que les forêts primaires auront disparu d’ici 2015 environ, si l’on continue à les exploiter de manière aussi intensive. Déjà, depuis, 1993, dans la région autour de Dimako (Cameroun), où la SFID (Filliale de Rougier) a exploité la forêt dans le passé, le Moabi a disparu (Verhagen H & C Enthoven, 1993 : 5-6). Début 2006, en Afrique centrale, une concession forestière du Sud du Cameroun exploitée par la société Wijma, filiale du groupe hollandais Koninklijke Houthandel G. Wijma & Zonen B.V. in Kampen s’est vue attribué le certificat FSC par la société d’audit française Eurocertifor, suite à un audit du 10 décembre 2005.

Or, en février 2006, après la certification, l’ONG Forest people programme dénonce le fait que des conflits persistent entre Wijma et les communautés locales sur les limites entre la concession et les forêts communautaires. Certains critères du référentiel FSC ne sont pas respectés, comme la fermeture des pistes sur les parcelles déjà exploitées afin de prévenir le sciage sauvage, et du bois a été coupé et abandonné sur place ce qui s’assimile à de la coupe illégale (Forest people programme, 2006).

L’ONG camerounaise Centre pour l’environnement et le développement (CED), Greenpeace et les Amis de la terre (France), remettent elles aussi en cause le certificat FSC attribué début 2006. Le 24 mai 2006, des contrôleurs forestiers et l’ONG CED, avaient relevé deux infractions sur la concession de Wijma certifiée FSC (notre photo montre l’exploitation non contrôlée du bois à l’Est du Cameroun pour le presque seul bénéfice des exploitants). Pour Samuel Nguiffo, secrétaire général de l’ONG camerounaise CED : « voilà bientôt un an que Wijma vend du bois avec le label FSC, alors qu’il ne le mérite pas » (WWO, 27/10/2006).

En 2007, Bolloré Paper est devenu le premier et l’unique fabricant de papier mince certifié FSC au monde. Il est possible que cette gamme de papiers réponde effectivement aux normes du FSC, dans un secteur très circonscrit de l’exploitation des forêts. Cependant, au sein d’une même entreprise de production de papier, il paraît difficile de parvenir à différencier les agrumes provenant d’une zone d’exploitation certifiée d’une autre qui ne l’est pas. Or, selon l’enquête de l’ONG britannique Global witness, finalisée le 31 janvier 2003, près de 60 % des coupes de bois dans le pays se font dans la plus grande illégalité. Global witness fonde son analyse sur quinze rapports d’enquête sur l’exploitation forestière au Cameroun (Global witness, 2003). L’ONG explique avoir « constaté des infractions presque à chacune de ses visites », la pratique la plus répandue étant le dépassement des limites des parcelles ou du volume de coupe autorisé. Sur 58 entreprises observées, 42 ont ainsi dépassé le nombre d’arbres autorisé par la loi forestière. Parmi elles, des entreprises françaises appartenant aux groupes Pasquet et Rougier.

Si la certification FSC de Bolloré n’est actuellement pas mise en cause, ses pratiques depuis de nombreuses années sont pourtant loin de respecter le développement durable. Par exemple, il y a seulement dix ans, avec l’implantation de la SIBAF, qui est une filiale de Bolloré, dans l’économie de Kika, un petit village de 25 personnes, ce dernier est devenu, en 2000, une ville d’environ 6 000 habitants (WWWF, 2000). Un grand nombre d’habitants sont venus d’autres régions du pays pour travailler pour la compagnie 2. Cet afflux a contribué à perturber les peuples Baka et Bangando dont les territoires traditionnels se trouvent dans cette partie de la forêt. La société HFC/Forestière de Campo (une autre filiale de Bolloré), refuse aux villageois l’accès aux dépôts de déchets de bois. Il n’y a pas de politique de valorisation des déchets : ceux-ci brûlent en permanence avec dans le même tas les bidons en plastique de pesticides utilisés pour le traitement du bois. Au niveau social, on constate que l’exploitation des forêts oblige à des déplacements de populations. Leur sécurité alimentaire est compromise par la coupe d’essences comme le moabi (Bailonnella toxisperma) dont les fruits fournissent la seule huile alimentaire disponible en forêt. Ajouté au braconnage à grande échelle qui compromet la chasse vivrière, ce type d’exploitation forestière qui supprime les plantations vivrières traditionnelles pousse les populations locales à une dépendance envers les aliments importés (riz, poulet…). Enfin, on note l’existence de conflits entre populations et exploitants, car certaines essences commercialisées ont une valeur culturelle : comme le Bubinga (Guibourtia demensis), arbre qui attire les abeilles. Même dans l’hypothèse où la filière de papier labellisée FSC serait réellement fiable, au vu de ces pratiques anciennes qui perdurent probablement dans d’autres concessions forestières, Bolloré se rachète ainsi une image à peu de frais.

On observe une concurrence entre le Pan european forest council (PEFC) et le FSC, dans la bataille de la reconnaissance internationale et des parts de marché (BASS, 2003). Or, cela n’est pas favorable à un relèvement du niveau de la certification. En effet, il est plus aisé d’obtenir une certification avec une norme peu exigeante et des auditeurs conciliants parce qu’ils ont besoin de nouveaux clients.

Bien que le label FSC, soit considéré comme le plus fiable par certaines ONG telles le WWF, ou Greenpeace, on observe que cette forme de régulation privée n’obtient pas non plus de résultats satisfaisants. Les ONG tels les Amis de la Terre ou Greenpeace, ont soutenu le développement du label FSC, comme étant la meilleure solution contre la déforestation.

Maintenant, elles en dénoncent les limites. Mais, le problème ne relève pas seulement de ce label FSC. Les limites de ce dernier rejoignent celles des dispositifs fondés sur la norme privée (ou technique) : des référentiels trop vagues et surtout un manque d’indépendance financière des sociétés d’audits.

Dr Thierry Brugvin
Enseignant chercheur en sociologie
Auteur d’une vingtaine d’ouvrages sur l’écologie sociale.
 

1) Auteur de Le commerce équitable et éthique, L’Harmattan, 2011.
2) Parmi les 10 normes en voici les principales : 1) L’aménagement forestier doit respecter toutes les lois en vigueur 3) Respecter les droits légaux et coutumiers des peuples indigènes à la propriété, à l’usage et à la gestion de leurs territoires et de leurs ressources. 4) Les opérations de gestion forestière doivent maintenir ou améliorer le bien-être social et économique à long terme des travailleurs forestiers et des communautés locales. 5) Garantir la viabilité économique de la gestion forestière. 6) Maintenir la diversité biologique et assurer la conservation les écosystèmes.
3) Pierre CAMINADE, Bolloré: monopoles services compris. Tentacules africains, Dossier noir n°15, Agir Ici, Survie, L’Harmattan, 2000.

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