Les cartes de la succession brouillées

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Le 10 décembre 2011, le président du Cameroun, Paul Biya, réélu à 77,98% lors de l’élection présidentielle tenue le 9 octobre, a formé un nouveau gouvernement de 60 membres, dirigé par Philémon Yang, reconduit aux fonctions de premier ministre, chef du gouvernement. Après le septennat des « grandes ambitions » entre 2004 et 2011, le président a promis que son mandat entre 2011 et 2018, devait être celui des « grandes réalisations ». C’est la raison pour laquelle les Camerounais attendaient de voir le visage du nouveau gouvernement pour se faire leur propre religion. Ont-ils été agréablement surpris ? Chacun y va de sa propre analyse. Autant chaque Camerounais se transforme en sélectionneur des Lions indomptables (privés de Coupe d’Afrique des nations au Gabon et en Guinée équatoriale en janvier et février 2012) quand l’équipe est défaite par un adversaire plus entreprenant, autant chaque Camerounais, se met facilement à la place du chef de l’Etat pour indiquer ce qu’il aurait dû faire ou non, à telle ou telle occasion. Des spécialistes de « Il n’y a qu’à », comme dirait Laurent Fabius. Pourtant, les choses sont loin d’être simples.

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Le remaniement ministériel du 10 décembre, comprend deux enseignements majeurs : premièrement, le chef de l’Etat va donner, c’est sûr et certain, un nouveau souffle à la lutte contre la corruption. Les Camerounais en souffrent terriblement, jusqu’au sein de leur propre famille. C’est un phénomène très grave qui cause des ravages énormes dans la société. La création d’une Cour contre les crimes économiques dont le but est d’instruire les dossiers des détournements de fonds, va sans doute rendre plus efficace la gestion de l’Opération Epervier. L’arsenal institutionnel contre la corruption, commence aussi à donner ses premiers résultats. L’ancien ministre des Travaux publics, Messengue Avom, vient de perdre son maroquin, pour une affaire de (grosse) surfacturation relevée dans un rapport de la CONAC (Commission nationale anti-corruption) que dirige un pasteur. Qui l’eût cru il y a seulement deux mois ? La nomination de Laurent Esso, magistrat hors hiérarchie, ancien secrétaire général de la présidence de la République, oreille attentive du chef de l’Etat, comme ministre d’Etat ministre de la Justice, est un signe qui ne trompe personne. Les arrestations des délinquants en col blanc qui ont fait saigner le Trésor Public, vont se poursuivre voire s’accélérer. L’instruction des dossiers en cours aussi. Cette fois-ci, personne ne pourra mettre la compétence du garde des sceaux en doute, étant lui-même, l’un des plus grands magistrats que compte le Cameroun. Il est donc à sa place. Plus qu’à sa place !Pour la deuxième fois, en l’espace d’une dizaine d’années, il occupera la fonction de garde des sceaux de la République, avec, toujours, un pied à la présidence où il continue, malgré ce léger dépaysement, à suivre certains dossiers, que le chef de l’Etat se fait le plaisir de ne confier qu’à lui.

Le deuxième enseignement que je tire du remaniement du 10 décembre, a trait au débat sur la succession qui entoure les conversations. C’est un sujet naturellement énervant pour le principal concerné. Car, qui peut être d’accord qu’on parle de sa succession alors qu’on se sent apte à poursuivre sa mission ?

Pour montrer qu’il est encore en place, et sans doute, pour longtemps, Paul Biya a, logiquement, gommé toutes les possibilités d’analyses de succession qu’on pouvait entrevoir au travers de certaines têtes qui émergeaient ici ou là. Ainsi, Marafat Hamidou Yaya a été mis « out ». Sans aucune forme de procès. René Sadi, quant à lui, a cessé, aussi, de nourrir les convoitises en quittant le secrétariat général du comité central du RDPC et son ministère à la présidence de la Ré publique, pour se re trouver ministre de l’Administration territoriale. Tout laisse penser qu’on le laissera tranquille cette fois. Au secrétariat général de la présidence que les observateurs qualifient de place forte de l’Etat au regard des prérogatives conférées à son titulaire, le chef de l’Etat a placé un (illustre) inconnu de la scène politique nationale, qui était précédemment, secrétaire général du ministère des Relations extérieures. Auteur des propos courageux contre l’homosexualité que certaines chancelleries occidentales tentent d’imposer au Cameroun sous le fallacieux prétexte des droits de l’homme, l’ancien ministre des Relations extérieures, Henri Eyébé Ayissi, va se rapprocher du chef de l’Etat, en tant que ministre délégué à la présidence chargé du Contrôle supérieur de l’Etat. Il appartient, désormais, à son successeur, Pierre Moukoko Mbonjo, de suivre la même ligne de rigueur qui fait honneur aux valeurs culturelles bantou.

Autre exemple qui montre que Paul Biya a horreur qu’on évoque les problèmes de succession de son vivant : il a nommé Jean Kuété, secrétaire général du comité central du RDPC, au moment où, certains, au Nord, pensent que le pouvoir suprême devrait revenir au septentrion, et pas à l’Ouest, qui détient, déjà, le pouvoir économique et démographique. En même temps, le président a équilibré les trois instances habilitées à superviser une élection présidentielle. Celles-ci étaient sous la coupe des ressortissants du seul Grand Nord. Ainsi, en attendant les législatives de juillet 2012, l’Assemblée nationale restera entre les mains d’un Camerounais du Nord, mais plus la justice qui passe entre les mains d’un ressortissant du littoral et plus l’administration territoriale qui est maintenant dirigée par quelqu’un du Centre du pays.

Le mot d’ordre du président à ses compatriotes, est donc clair : « Travaillez » au lieu de « construire des châteaux en Espagne » : Paul Biya est là aujourd’hui. Paul Biya sera là demain. Paul Biya sera là après demain. Si un Camerounais veut mériter sa confiance, il n’a qu’à mouiller sa chemise.

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