LITTERATURE : Le roman « Un piège sans fin » d’Olympe Bhêly-Quénum lu et revisité par un jésuite

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Le 15 avril 1960 paraît : « Un piège sans fin » un roman d’Olympe BHELY- QUENUM. Soixante ans plus tard, ce roman demeure l’une des œuvres majeures et le chef-d’œuvre génial de l’auteur. « Un piège sans fin » est traduit dans plusieurs langues étrangères (1) et il suscite en soixante ans des travaux d’interprétation de tous genres dans les milieux universitaires.

N’étant ni écrivain ni critique littéraire, je me propose de donner un bref témoignage sur ce roman réaliste et tragique qui met en scène le fatalisme en Afrique tropicale.

1. « Un piège sans fin » un roman réaliste

En lisant « Un piège sans fin », on se trouve en présence d’un roman réaliste qui raconte une histoire vraie à travers une observation méthodique des personnages dans leurs contextes géographiques, historiques et sociologiques.

L’auteur n’éprouve aucun besoin d’idéaliser les situations d’inhumanité qu’il décrit avec tact et délicatesse.

L’Afrique réelle, fruit de ses voyages et souvenirs apparaît vivante à travers les personnages qui incarnent la difficulté de vivre et la résilience devant les forces hostiles au bonheur humain.

La violence, l’angoisse couplée avec la solitude, le désespoir et la mort, sont les thèmes de cette histoire vraie et romancée qui débouche sur la futilité de l’existence humaine et la mort du héros calciné dont les cendres sont dispersées sur le mont KINIBAYA.

Le décor du roman est révélateur des tensions sociales entre colons et indigènes dans le contexte d’une Afrique traditionnelle sous tutelle coloniale.
AHOUNA, le personnage principal du roman, après une enfance bercée par l’affection d’un père respecté dans son milieu va assister impuissant aux humiliations et au suicide de son père BAKARI sur les champs des travaux forcés.

Talentueux joueur de flûte, AHOUNA va attirer l’admiration et l’amour possessif de sa future femme, ANATOU, qui par ses rêves prémonitoires et ses accusations d’infidélité injustifiée, sera la cause de la déchéance de l’homme qui aspirait à vivre comme un éléphant paisible dans son milieu et qui finit son existence humaine comme un assassin emprisonné, mort et réduit en cendres.

J’admire le réalisme avec lequel Olympe Bhêly-Quénum décrit les personnages de l’histoire vraie et romancée d’AHOUNA en faisant défiler les personnages secondaires comme le commandant, les gardes, TIBA, SAMBA, BOUBAKAR, MARIATOU, VAUQUIER, AFFOGNON, FANIKATA,IBAYÂ, TOUPILLY… et Monsieur HOUÉNOU.

2. « Un piège sans fin » une tragédie en Afrique tropicale

Les peuples d’Afrique traditionnelle sous tutelle coloniale connaissaient les drames de l’injustice sociale, l’humiliation des travaux forcés et les préjugés du racisme et de la discrimination.

Ce mal structurel est leur lot quotidien. « Un piège sans fin » dénonce ce mal structurel avec les personnages qui incarnent dans leur style de vie la domination étrangère, l’exploitation des contradictions inter-tribales et inter-régionales et l’opposition entre agents de la colonisation et les indigènes.

Mais, Olympe Bhêly-Quénum fait toucher à ses lecteurs à travers le personnage d’AHOUNA le mal de la futilité de l’existence humaine.

Bien qu’il soit musulman peul à KINIBA, attaché à un univers qui n’a de sens que sous la souveraineté de celui qui possède les quatre-vingt-dix-neuf attributs de la déité, AHOUNA a le sentiment d’être embarqué à la sortie de l’enfance dans un univers absurde où « tout est lié à des choses terriblement vaines ».

La mort brutale de son père BAKARI, les soupçons d’infidélité de sa femme vont réduire la capacité d’adaptation d’AHOUNA à la complexité de la réalité humaine. Rendu vulnérable par les circonstances anodines de la vie, AHOUNA, le vertueux se transforma en un monstrueux criminel.

Ce sentiment de solitude et d’angoisse devant le mal pernicieux de l’absurdité de l’existence humaine conduira AHOUNA à la prison à la suite de la jalousie maladive, inquiète et douloureuse de sa femme ANATOU.

C’est la fin tragique d’AHOUNA qui fait réfléchir sur la vulnérabilité de l’homme face à sa destinée mystérieuse où des circonstances de la vie peuvent changer le caractère et l’orientation de vie de la personne humaine.

3. Le danger du fatalisme en Afrique tropicale

Dans un monde troublé par le mal structurel, l’homme ne doit pas s’abandonner à la pression de l’inévitabilité des événements. Il doit réagir avec rationalité, liberté et passion de vivre pour traverser les épreuves de l’existence humaine.

AHOUNA a commis trois erreurs monumentales :

1. Il n’a pas fait le deuil de son Père BAKARI
2. Il est victime de l’amour possessif de sa femme
3. Il n’a pas déployé sa rationalité en face des événements de la vie.
 
Faire le deuil d’un père, c’est accepter de vivre sans se référer à un modèle à reproduire. Tout au long de sa vie, AHOUNA a cherché à reproduire la vie d’un éléphant en harmonie avec son milieu. Cette vie calme et douce n’est concevable que dans une Afrique traditionnelle repliée sur elle-même et sans contact avec le monde agressif de l’Occident des militaires, des commerçants et des administrateurs coloniaux.

Le modèle de vie d’une Afrique paisible et respectée dans ses traditions qu’incarnait BAKARI ne fonctionne plus avec un monde troublé par le mal structurel de l’Afrique sous tutelle coloniale, avec le commandant, TOUPILLY, et les gardes.

L’amour possessif ne peut conduire qu’à la jalousie. Le propre de la jalousie est de détruire l’objet mal aimé.

Enfin, AHOUNA, sous la pression des événements, n’a pas déployé sa rationalité pour confronter sa femme superstitieuse et inquiète dans son insécurité.

Remarques conclusives :

Dans « Un piège sans fin », Olympe Bhêly-Quénum présente sa vision spirituelle de l’humanité confrontée au mal structurel de l’injustice sociale et tente de faire voir à travers le personnage d’AHOUNA les conséquences tragiques de la relation de l’homme à son entourage.

Un père humilié qui se suicide, une épouse jalouse qui accuse son partenaire intime d’infidélité injustifiée, peuvent transformer un homme vertueux en un monstrueux criminel.

« Un piège sans fin » est un roman réaliste dont la sagesse impressionnante et admirable éclaire le style de vie anti-fataliste que tout homme doit mener pour trouver le bonheur des mortels.

Quelle merveille de célébrer les noces de diamant d' »Un piège sans fin », une œuvre qui continue à faire couler encre et salive !

Grâce aux techniques nouvelles de communication, cette œuvre aura la longue vie des tragédies grecques.
 
Mes sincères félicitations 

In Christo Domino 

Jean-Marie Hyacinthe QUENUM, SJ
est Béninois et chercheur au Centre de recherche et d’action pour la paix (CERAP) à Abidjan en Côte d’Ivoire. Il fut doyen académique à HEKIMA COLLEGE, A CONSTITUENT COLLEGE OF THE CATHOLIC UNIVERSITY OF EASTERN AFRICA à Nairobi au Kenya et Maître des novices Jésuites à Bafoussam au Cameroun.

(1) Nous avons la belle traduction en anglais de DOROTHY S. BLAIR.

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