MALI : Trois premiers ministres en dix-huit mois ? Mieux qu’en France !

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Le Mali n’en a pas fini avec la crise. Un an, après son arrivée à la magistrature suprême, le président Ibrahim Boubacar Keita (IBK), rencontre des difficultés inattendues, auxquelles il n’avait pas pensé, au moment où il battait campagne, avec aisance et sérénité. En l’espace d’une année, il a changé son premier ministre et risque de faire appel à un troisième, d’ici la fin de l’année, au plus tard. A quatre années de la présidentielle, il n’a pas, encore, eu le temps de commencer, à mettre en œuvre, le programme pour lequel il a été élu. C’est dire que ça va, vraiment, mal à Koulouba.

Ce mois de septembre, IBK (Ibrahim Boubacar Keïta) aura fait, un an, à Koulouba, en tant que président de la République du Mali, chef de l’Etat, et président du Conseil des ministres. Homme d’Etat – même ses adversaires politiques le lui reconnaissent -, il a connu un démarrage poussif, à la tête de l’Etat, à la limite de l’amateurisme. Depuis quelques semaines, la question qui est sur toutes les lèvres, est la suivante : A quand la fin de la navigation à vue ?

Car, en une année de fonction, il en est à son deuxième premier ministre qui, à peine, installé, fait, déjà, l’objet d’un tir groupé venant du RMP (Rassemblement pour le Mali, parti au pouvoir) et de l’ensemble de la majorité présidentielle, pour qu’il démissionne. D’aucuns ne portent pas de gants pour annoncer, son départ, de la primature, avant la fin de cette année, sinon, dans les semaines, à venir. Cette rumeur qui enfle dans les palais bamakois, n’étant pas sans fondement, au regard, de la situation, particulièrement, tendue que connaît le pays, est à prendre au sérieux. Mais si cette troisième fois, serait la bonne, pourquoi s’en plaindre ? La qualité d’un Homme d’Etat de la trempe d’IBK, n’est-elle pas de reconnaître ses erreurs, et de ne pas reposer sur des certitudes ?

Homme politique d’expérience, qui n’est pas né de la dernière pluie, IBK est comparable à un cycliste du Tour de France qui a raté le départ d’une course contre la montre, où tout est chronométré. Cela ne veut pas dire qu’il est un piètre coureur, ni que sa participation à la Grande Boucle est compromise. Non, rien de tout cela. Mais quand même. Cela venant d’un vétéran du Tour de France, qui en a vu d’autres, il y a tout de même lieu de s’interroger. Car, comme le montre sa riche carrière politique, il est beaucoup plus proche de sa retraite qu’un jeune à qui on pardonnerait, facilement, les erreurs de débutant.

Après avoir tant cherché ce pouvoir, quitte à se brouiller avec l’ancien président, Alpha Oumar Konaré, qui lui faisait de l’obstruction systématique, après avoir vite compris la leçon et quitté l’Alliance pour la démocratie au Mali (ADEMA), pour créer sa propre écurie, le RPM, IBK qui est resté premier ministre pendant six ans, n’apprend rien à la gestion de la chose publique. Il ne découvre pas la lune même si chaque jour est une nouvelle expérience de la vie.

La gestion du pouvoir, au Mali, c’est quelque chose de très compliqué. Il n’y a pas que des questions économiques et financières qui malmènent le gouvernement, avec une opposition, à l’Assemblée nationale et dans la société civile, qui n’est prête à ne rien lâcher. Il y a, aussi, des questions politiques au premier rang desquelles, la réconciliation nationale. Personne n’oublie que le Mali revient de loin, avec une percée des djihadistes, qui avait failli instaurer l’obscurantisme, à Bamako, en janvier 2013, si le président, François Hollande, n’avait pas, vite, approuvé le principe d’une intervention de l’armée française, destinée à stopper cette course folle des djihadistes qui ne rencontraient aucune résistance sur leur descente sur Bamako. Actuellement, les pourparlers de paix sous l’égide de l’Algérie, ne sont pas de tout repos. Plus les jours passent, plus la donne change. Entre temps, les mouvements politico-armés ont poussé comme des champignons, dont le dernier en date, remonte à août 2014, et a pour nom, le Groupe armé populaire contre l’autorité malienne (GAP CAMA), dirigé par un certain Fayçal Ag Mohamed.

L’énergie consentie, à la gestion de la question du Nord-Mali, par les plus hautes autorités de l’Etat, à savoir, le président et le premier ministre, Moussa Mara, n’est pas compensable, et laisse des traces, dans le non-traitement d’autres dossiers, eux, aussi, urgents, de l’économie et des finances de l’Etat. A un moment où l’opposition sait donner de la voix alors que, de son côté, le pouvoir fait preuve d’amateurisme, il n’est pas pensé de changer de fusil d’épaule, après avoir consommé un an (sur les cinq que constitue un mandat) à ne rien faire, pratiquement. Après la descente aux enfers de 2012, avec le coup d’état qu’on sait, le gouvernement de transition du professeur Dioncounda Traoré, avait réussi à rétablir quelques grands équilibres macro-économiques de l’Etat. Si bien qu’au moment de passer la charge au pouvoir, démocratiquement, élu d’IBK, les comptes du trésor étaient à flot. Mais quelques mois, après, on constate une dégradation, encore, nette de la situation financière du pays, qui ne s’expliquerait pas pour certains Maliens, sinon, par la mauvaise gestion d’IBK.

La communauté (financière) internationale, n’impose rien (car ce n’est pas elle qui vote au Mali), mais elle ne verrait pas d’un mauvais œil que le président compose un gouvernement d’union nationale, avec un autre premier ministre plus consensuel et, sur tout, plus compétent. L’union fait la force, dit l’adage populaire. Et au Mali plus qu’ailleurs, on en a besoin. Et si IBK avait la hauteur de proposer à son cadet qu’il a battu à l’élection présidentielle, de venir à la primature entreprendre les réformes nécessaires à la relance du Mali, avec lui, à ses côtés, que ce serait beau pour ce pays ! En d’autres termes, Soumaïla Cissé serait, à l’heure actuelle, objet de réflexion du côté du Palais de Koulouba. La sagesse politique et l’urgence du moment, imposent qu’on lui donne des armes pour combattre l’ennemi national qui s’appelle, déficits, mal gouvernance, corruption, chômage, mauvaise image du Mali auprès des bailleurs de fonds internationaux, conflit du Nord, etc. Beaucoup d’atouts militent en sa faveur : il est un ancien ministre des Finances et ancien président de la Commission de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest africaine), deux postes où il n’a pas laissé de bien mauvais souvenirs et qui lui ont permis de nouer d’enrichissants contacts avec les bailleurs de fonds et partenaires au développement. Par les temps qui courent, au Mali, l’option Soumaïla Cissé pourrait, aussi, permettre le déblocage rapide des aides financières internationales qui se font, encore, attendre. Le chantier est, tellement, colossal au point qu’il n’est pas malsain de se demander ce que faisait, réellement, ATT (Amadou Toumani Touré), l’homme du « consensus », à la tête du Mali, pour le laisser dans un état aussi pitoyable, que le gouvernement de transition n’avait commencé qu’à relever ?

Cette éventualité présente quelques avantages non négligeables : pour une fois que les bailleurs de fonds, prêcheraient dans la même direction que le peuple malien, pourquoi dire non ? D’autre part, un tel gouvernement, s’il est bien composé, ferait, aussi, appel aux compétences venant des mouvements armés (djihadistes ou non) du moment où ils reconnaissent le Mali comme un et indivisible, et que leurs représentants au sein du gouvernement, seraient moins marqués au point de devenir des points de fixation, sur le plan politique. Bref, il ne faudrait pas avoir des canards boiteux au sein de l’équipe gouvernementale qui la rendraient, rapidement, contre-productive, avant même de la voir à l’œuvre. Avec ce (futur) troisième gouvernement, cela passe encore, pourrait- on dire, pour se montrer indulgent à l’endroit d’IBK. Mais, après, il n’aurait plus droit à l’erreur. Sinon, il faudrait qu’il rende des comptes, lui-même.

Le chef de l’Etat doit, logiquement, mettre fin aux jours de ce deuxième gouvernement tiré par les cheveux, avec un premier ministre et des ministres, sans cesse, à couteaux tirés, et un parti présidentiel qui a lancé une campagne pour faire échec aux plans du premier ministre. Le RPM, le parti d’IBK, accuse le premier ministre, Moussa Mara, de profiter de sa position pour former une coalition autour de sa propre personne. Conséquence : malgré la confiance que lui manifeste le président, il n’est pas exclu, à cause de cette fronde, qu’il rende son tablier, avant même qu’on ne le lui demande.

Président de la formation politique, Yèlèma, qui ne compte qu’un seul et unique député à l’Assemblée nationale, Moussa Mara, ne fait pas l’unanimité. Mais IBK, pendant la campagne, avait, toujours, dit qu’il ne serait, jamais, le président du RPM, seulement, mais celui de tous les Maliens et de toutes les Maliennes. A ses côtés, les militants et hiérarques du RMP ne disaient pas autre chose. Malheureusement, ils ont vite fait de montrer leur vrai visage, dès la prise du pouvoir. Leurs slogans de campagne ont, ainsi, été jetés dans le fleuve Niger. Voilà pourquoi l’arrivée de Moussa Mara, issu d’un autre parti politique, avait été perçue comme la volonté du président de traduire en acte, ce qu’il avait, toujours, clamé pendant la campagne. Mara va-t-il partir comme Tamtam Ly ? A IBK de peser le pour et le contre, en fonction de l’intérêt supérieur du Mali.

On n’oublie pas que le président n’est pas, seulement, affaibli par les difficultés économiques et les problèmes qu’il rencontre pour faire financer l’économie du Mali, par les bailleurs de fonds traditionnels. Il y a aussi, et surtout, l’affaiblissement des courants politico-armés du Nord. Ceux-ci entendent imposer une fédération, au Mali, dont Bamako ne veut pas entendre parler. Celle-ci concernerait les métropoles provinciales de Gao, Tombouctou et Kidal. Autant dire qu’un tel accord serait, difficilement, gérable, sur le plan politique, par Bamako. D’où l’urgence à composer un gouvernement d’union nationale, qui permettrait aux négociateurs gouvernementaux, de se présenter, à Alger, ville où les pourparlers se tiennent, avec beaucoup plus de force et de fermeté.

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