CONGO-BRAZZAVILLE : Mathias Dzon parle du Congo, de la position d’Obama sur l’alternance en Afrique et du 3e mandat de Sassou

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A quelques jours de la fin de son séjour, à Paris, le leader de l’opposition congolaise, Mathias Dzon, nous a rendu visite, à la rédaction, où, toute la matinée du 25 août, il nous a parlé de son séjour, à Paris, du Congo, de l’importance que l’administration Obama donne à l’alternance démocratique en Afrique et au non changement des constitutions pour le profit d’un individu, et de l’éventuel troisième mandat de Denis Sassou Nguesso. Ancien ministre de l’Economie des Finances et du Budget, de 1997 à 2002, ancien directeur national de la BEAC pour le Congo, de 2003 à fin 2008, Mathias Dzon n’y va pas avec le dos de la cuillère.

AFRIQUEDUCATION : Fin décembre 2013, vous avez voulu venir, en France. La police vous a interdit de sortir du territoire. Idem, en juin dernier. Le 25 juillet, on vous a, enfin, laissé embarquer pour la France. Avez-vous remercié le président Sassou de vous avoir laissé voyager ?

Mathias Dzon : Non. Je n’ai pas à le remercier. Je trouve que c’est un harcèlement inadmissible contre ma personne. Est-ce qu’il a fini de me harceler ? C’est la question que je me pose. Je pense qu’il m’a laissé, cette fois, sortir à cause de la conjoncture nationale et internationale. Puis, je n’ai pas à remercier mon bourreau.

Pourquoi le président Sassou vous empêchait-il de sortir du pays ? De quoi a-t-il peur ?

Il ne m’a pas notifié la raison pour laquelle il m’empêchait de quitter le pays. Je constate, simplement, que mes déplacements sont, de plus en plus, difficiles, y compris, à l’intérieur du pays. Je crois que c’est dû au fait que le président Sassou doit avoir peur.

De quoi ?

La peur de la communication, que le Congo soit présenté de la façon autre qu’il a tendance à le présenter aux gens.

Le fait qu’on veuille vous maintenir au Congo montre, effectivement, comme vous le dites, que vous faites peur au régime, en venant, en France. Depuis un mois que vous êtes, à Paris, qu’avez-vous fait ?

C’est vrai, Sassou a peur. Mais, il ne devrait pas avoir peur puisqu’il est à son dernier virage. Il lui reste 774 jours, à partir de ce mois d’août, pour faire ses adieux. Donc, en France, je fais le travail que je fais, habituellement : non seulement, rendre visite à ma famille que je n’ai pas vue, depuis un an, et, en même temps, voir mes amis et les amis du Congo qui s’inquiétaient de ma détention déguisée. En même temps qu’ils avaient envie d’avoir des informations fiables et fraîches sur la situation du pays.

Parlant justement de la vraie situation politique qui prévaut au Congo. Est-ce vrai que le calme actuel annonce la tempête ?

C’est le calme qui annonce la tempête. Disons que les tensions sont perceptibles, à vue d’œil, au Congo, et ce n’est un secret pour aucun Congolais, que les tensions sont vives dans la mesure où le président Sassou veut – absolument – soulever les montagnes pour s’attribuer un troisième mandat auquel il n’a pas droit. La constitution le lui interdit. Formellement. Rigoureusement. Absolument.

Si je vous comprends bien, vous êtes contre un 3e mandat de Denis Sassou Nguesso à la tête du Congo.

Bien sûr, je suis, totalement, contre. Les Congolais, dans leur écrasante majorité, sont, également, contre un troisième mandat de Sassou Nguesso.

Sassou demande d’aller au référendum pour savoir si les Congolais sont pour ou contre.

L’impopularité de Sassou est établie. En 2009, sur la demande de l’opposition, les Congolais se sont abstenus, à l’élection présidentielle, à 95%. En 2012, lors des élections législatives, le taux d’abstention était de 86%. Il est, donc, clair que le président est très impopulaire et le référendum qu’il se propose d’organiser, ne sera qu’une véritable farce. Puisqu’il s’est constitué un corps électoral à la faveur d’un recensement administratif spécial mafieux qui, en réalité, n’a pu enrôler plus de 30% des Congolais en âge de voter. Il pense qu’il pourra rééditer, au Congo, l’expérience Tandja, au Niger. Je peux vous dire que ce sera peine perdue parce que les Congolais ne se laisseront pas faire. Voilà pourquoi il est temps, pour lui, de faire preuve de sagesse, de renoncer à ce qu’il veut entreprendre contre la volonté réelle du peuple congolais.

Le président Sassou dit qu’il a d’importants chantiers économiques à terminer. C’est pourquoi il demande à rester.

Rires… Ça fait trente ans qu’il est au pouvoir (rires). Trente ans à la tête de l’Etat où il a des chantiers qui ne finissent pas ? Dans tous les cas, les Congolais ne connaissent pas ces chantiers-là.

Justement, hier (dimanche 24 août), lors de votre conférence-débat avec la communauté congolaise de France, dans un hôtel parisien, les Congolais n’ont pas été tendres en parlant du bilan de Sassou à la tête de l’Etat depuis près de 30 ans et, surtout, de sa volonté de vouloir rester, à vie, au pouvoir. Vous qui connaissez, bien, le Congo, qu’est-ce qu’il a fait, de bien, et ce qu’il aurait dû faire et il n’a pas pu ou voulu ?

Les Congolais de France, dans leur expression, ont dit, réellement, le ras le bol général des Congolais de l’intérieur. Dans la situation de crise généralisée du Congo, aujourd’hui, que peut-on sortir, de bon, à mettre à l’actif du président Sassou ? L’école est dans la décrépitude totale ; le système sanitaire est en faillite ; le chômage bat son plein. Disons que les Congolais vivent dans une misère effroyable. Tout ce qui touche à la vie du Congolais, au quotidien, ne va pas du tout. L’économie congolaise, aujourd’hui, se limite à la corruption du pétrole. Les énormes ressources retirées du pétrole n’ont pas servi sous le président Sassou à promouvoir un véritable développement.

Au plan politique, le Congo est revenu aux pratiques du système du monopartisme. Les élections sont une véritable mascarade, une mafia qui ne dit pas son nom. Au total, le Congo, d’aujourd’hui, est une véritable dictature implacable où le clan régnant affiche une indifférence complète à tout ce qui est humain. Dans ces conditions, que voulez-vous qu’on dise de bien de l’action du président Sassou ?

Le président Sassou est en train de construire une grande université qui porte son nom, à Brazzaville. Il a, aussi, lancé la construction des hôpitaux, dans chaque chef-lieu de département. Pour la première fois, une route goudronnée va relier Brazzaville à Pointe Noire. L’économie se diversifie avec l’exploitation d’autres ressources minières, bref, le président dit qu’il fait du bon travail qu’il entend continuer, malgré les sirènes des détracteurs qui ne lui feront pas changer d’avis.

Mobutu Sese Seko n’aurait pas dit mieux. Revenons à l’Université Denis Sassou Nguesso. D’abord, je fais remarquer qu’une université, en construction, a, déjà, un nom. Où avez-vous, déjà, vu cela ? L’université, encore, en chantier porte le nom de son constructeur : Denis Sassou Nguesso. Même quand elle sera terminée, les étudiants congolais ne sauront comment s’y rendre car cette université est loin, plus précisément, à Kinkélé (une vingtaine de kilomètres de la sortie Nord de Brazzaville). Pendant ce temps, l’université actuelle, l’Université Marien Ngouabi de Brazzaville, qui a, désormais, plus de 20.000 étudiants, n’offre aucune structure viable d’accueil aux apprenants. De sorte que, pour avoir une place assise dans un amphithéâtre, certains étudiants qui le peuvent sont obligés de payer 5.000 F CFA (7,62 euros), à un Zaïrois ou à un Rwandais, pour lui occuper une place assise, dès 4 heures du matin, pour un cours qui débute à 8 h00. Pour vous montrer la gravité de la situation : je prends mon propre cas ; quand j’étais à l’Université Marien Ngouabi, en 1969, il existait un seul amphithéâtre. Depuis lors, c’est-à-dire, en quarante cinq ans, il ne s’est ajouté qu’un seul amphithéâtre de 600 places, alors que le nombre d’étudiants est allé croissant pour atteindre plus de 20.000 aujourd’hui. Je précise que ce ne sont pas les terrains qui manquent pour la construction de nouvelles infrastructures dans l’Université Marien Ngouabi même, mais la volonté politique. Construire aujourd’hui l’Université Denis Sassou Nguesso, à 20 kilomètres de Brazzaville, obéit, plutôt, à une politique de grandeur qu’à une vraie politique de l’éducation nationale.

Cette éducation nationale qui est un parent pauvre car, à travers le pays, dans tous les villages, les écoles manquent, cruellement, de tables-bancs et d’enseignants, au point où les parents sont obligés de se payer, eux-mêmes, les services des enseignants-volontaires. On peut trouver, dans une école, un même enseignant-volontaire pour tous les trois cycles du primaire, du CPI au CPII, du CEI au CEII et du CMI au CMII. Les élèves s’entassent, parfois, à 150, voire, 200, dans une même salle de classe, sans table-banc, à même le sol, alors que le Congo est un pays forestier. Le bois est partout.

Parlons des hôpitaux. Je sais que, chaque fois, qu’il y a eu municipalisation, dans un département, il y a eu réaménagement des dispensaires dans le chef-lieu du département. Mais il n’y a, jamais, eu une politique de construction des hôpitaux, dans chaque département. C’est, encore, un mensonge grossier. Dans tous les cas, même ces dispensaires n’ont ni équipement, ni personnel qualifié, ni médicaments.

Est-ce vrai que le plus grand hôpital du pays, le CHU de Brazzaville, n’a ni toilettes pour le public, ni ascenseur ? Pour aller d’un étage à l’autre, les porteurs zaïrois prennent 1.000 F CFA (1,52 euro) par étage monté. Est-ce vrai ?

Le CHU de Brazzaville a de très sérieux problèmes. Les sanitaires existent, mais, ils sont mal entretenus, et, en très mauvais état. Les ascenseurs existent, mais, ils fonctionnent, mal, en raison de la mauvaise installation et de l’alimentation irrégulière en énergie, de sorte que les malades n’hésitent pas de s’offrir les services des porteurs privés sur le dos, pour monter jusqu’au 5 e étage, moyennant, paiement d’une somme de 1.000 F CFA, par étage. Mais, le CHU de Brazzaville fait peur à tous les Congolais parce que c’est un mouroir. Quand on y entre malade, on ne sait, jamais, dans quel état on va en ressortir. Il manque, de tout, dans cet hôpital, qui est dépourvu de plateau technique de bonne valeur, de médicaments de secours appropriés et de personnel qualifié en nombre suffisant.

La route Brazzaville-Pointe Noire est bien, en cours, de construction, sur financement chinois. Mais, malheureusement, comme dans d’autres secteurs, cela ne fait que gonfler la dette du Congo, vis-à-vis, de la Chine, et je peux vous dire que le premier tronçon Pointe Noire-Dolisie (sur cette route) nécessite, déjà, des réparations importantes.

En ce qui concerne la diversification, l’économie congolaise reste une économie primaire assise sur les produits de base dont le principal est le pétrole, même si ces derniers temps, les sociétés sud-africaines et brésiliennes, font des investigations pour exploiter des mines de fer à Mayoko et dans la Sangha. Mais c’est tout. Cela ne veut pas dire que l’économie est diversifiée. On parle de diversification économique lorsque l’économie fonctionne sur la base de trois secteurs : le primaire, le secondaire et le tertiaire. Le travail du président Sassou, on ne le voit pas. Qu’il soit au pouvoir ou pas, les investisseurs internationaux s’intéresseront au sous-sol congolais. Par contre, sous Denis Sassou Nguesso, il y a des difficultés énormes pour entreprendre. Le climat des affaires est très mauvais dans notre pays. Il suffit de lire le rapport Doing Business qui classe le Congo 183 e sur 185 pays, pour se donner une idée du calvaire que vivent les hommes d’affaires chez nous. En plus de tous ces griefs, les dirigeants congolais manquent de crédibilité pour attirer les investisseurs.

Vous avez suivi le Sommet Etats- Unis/Afrique où l’administration Obama s’est prononcée en faveur de l’alternance politique et la non-modification des constitutions pour le profit d’un individu. Comment appréciez- vous, au Congo, cette prise de position de Washington ?

Au Congo, nous avons hautement apprécié cette prise de position de Washington et nous l’avons saluée parce que nous pensons qu’un système, sans alternance, conduit au dépérissement de la nation et symbolise la dictature. L’alternance implique une compétition. Or, la compétition est génératrice, à la fois, de productivité et de qualité. Nous considérons que si beaucoup de pays africains n’ont pas fait des progrès, le manque d’alternance politique a une large part de responsabilités parce que les mauvaises politiques n’ont pas été sanctionnées par le peuple qui n’a jamais choisi ceux qui ont eu la responsabilité de la conduite de ces politiques-là.

Si je vous suis bien, le président Obama vous conforte dans votre combat d’alternance au Congo-Brazzaville où vous avez un chef d’Etat qui a déjà mis trente ans au pouvoir ?

Oui, c’est bien cela. Le président Sassou, de retour de Washington, au lieu de suivre ce bon sens, du président Obama, a, plutôt, suivi la voie contraire en se lançant dans une démarche aventureuse, pour s’octroyer un troisième mandat contre la volonté du peuple congolais, et contre la Loi fondamentale de notre pays, c’est-dire, la Constitution du 20 janvier 2002.

On attendait, plutôt, que cette position vienne du président François Hollande et non du président Barack Obama.

A ma connaissance, la position du président Hollande n’est pas différente de celle du président Obama. Je crois que le président Hollande a, déjà, eu, l’occasion, de le signifier, à tous les chefs d’Etat africains concernés. La communauté internationale est, aussi, sur la même longueur d’onde.

C’est, d’ailleurs, le bon sens qui le commande.

Le président Sassou aurait peur s’il ne disposait plus d’immunité qui le couvre contre ses exactions passées.

Il a peur de perdre l’immunité. Mais la solution, ce n’est pas dans l’entêtement. C’est dans le dialogue, avec toutes les forces vives de la nation, qu’il peut sauver sa tête.

Alors, vous lui tendez, à nouveau, la main pour qu’il accepte l’offre de dialogue que vous lui faites ?

Oui, nous l’avons toujours fait. Parce que la vie des Congolais nous est très chère et nous ne voulons plus que le Congo vive les drames du passé. Il faut aimer son pays. Et aimer son pays passe par aimer son peuple. Aimer un peuple, c’est défendre, en tout temps, en tout lieu, ses intérêts primordiaux dont le droit à la vie.

Quelle est votre feuille de route dans les semaines ou mois à venir ?

Notre feuille de route est très simple. Tout faire pour amener tout le monde à se convaincre de l’idée que l’opposition défend, toujours, que la seule porte de sortie du blocage politique actuel, même, de la crise multidimensionnelle qui plombe le Congo, aujourd’hui, c’est le dialogue national inclusif qui rassemblera toute la classe politique congolaise, toute la société civile congolaise, les personnalités indépendantes, la diaspora congolaise, pour trouver des solutions idoines, qui permettent d’aller de l’avant.

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