MONDIALISATION : La consommation alternative

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Un nombre croissant de citoyens cherchent de nouvelles alternatives via la consommation. Ils prennent conscience qu’elle peut devenir un acte politique. Car l’acte d’achat est en quelque sorte une manière de voter économiquement.

La consommation alternative peut être un moyen de changer le monde, de se changer soi-même et de voter avec son porte-monnaie. La consommation oriente en effet les choix de production des entreprises, dont certaines pèsent plus que certains Etats dans la politique sociale et environnementale internationale. C’est pourquoi de nouveaux consommateurs cherchent à acheter et produire différemment et surtout à moins consommer, afin de changer leur propre vie et de contribuer à répondre aux enjeux climatiques, environnementaux, à lutter contre la montée du stress au travail et à la persistance du chômage.

Les 6 dimensions du « créatif culturel »
Les nouveaux consommateurs se comptent souvent parmi les « créatifs culturels », qui représentent environ 17 % de la population française.
Selon Worms, il faut disposer de 6 dimensions concomitantes nécessaires pour être qualifié de « créatif culturel » :

respecter l’environnement et sa santé ;
considérer comme important le rôle des femmes dans la société (et estimer que les valeurs de coopération doivent supplanter celle de compétition) ;
garder une distance par rapport au paraître, donc préférer l’être plutôt que l’avoir ;
s’intéresser au développement personnel, voire à la spiritualité ;
avoir une implication sociétale concrète ;
avoir une approche multiculturaliste de la société.

L’autolimitation individuelle est un des principes de la « sobriété heureuse », comme le formule Pierre Rabhi, ou de la « simplicité volontaire » de Burch ou de la « décroissance » de Paul Ariès. La pauvreté conviviale et la sobriété heureuse supposent donc la satisfaction de ses besoins physiques, matériels et psychologiques. La sobriété heureuse vise aussi à développer les qualités psychologiques de l’être humain (se détacher du besoin de posséder, de consommer, du pouvoir, de s’oublier dans l’activisme…), qualités qu’il est nécessaire d’acquérir afin de pouvoir réellement mettre en œuvre cette autolimitation, en vue d’un partage équitable des ressources entre tous les êtres vivants.

Dans ce sens, la consommation végétarienne s’accroît car manger moins de viande permet à la fois d’améliorer sa santé physique (mais aussi spirituelle pour les croyants, de contribuer à lutter contre la souffrance animale, de limiter les dégâts faits à l’environnement et au climat, et d’éviter de concurrencer la production alimentaire dans les pays les plus pauvres… il faut en effet fournir sept protéines végétales aux animaux pour en produire une animale.

Travailler moins pour gagner moins, consommer moins et vivre mieux
C’est l’un des paradigmes fondamentaux de certains nouveaux consommateurs et en particulier des décroissants, tel Paul Ariès. C’est donc le contraire de « travailler plus, pour gagner plus », polluer plus et stresser plus !

Dans le cadre de l’écologie sociale radicale, les personnes entendent partager le travail pour que tous y aient droit, puisqu’il y a trop de chômeurs. Ils tentent de travailler moins pour accroître le temps pour soi et pour autrui. Le besoin de consommer s’alimente de la peur de manquer, engendrant le besoin de posséder. Consommer permet de tenter de se donner de l’amour à soi-même ou de combler la peur de l’insécurité matérielle. Mais, dans ce dernier cas, cette peur peut aboutir à accumuler non plus des biens mais son argent et, donc, à l’inverse, à consommer le moins possible, cette fois. Autre peur, celle de ne pas être reconnu, par manque d’estime de soi. Cette dernière est fondée sur la peur de ne pas être aimé pour ses compétences, sa puissance, donc la peur d’être faible. Elle génère un besoin de consommer pour être estimé aux yeux des autres et de soi-même.

Le courant du Do-it-yourself (DIY), « faites-le par vous-même »
Il concerne des activités visant à créer des objets d’usage courant, des objets technologiques ou artistiques de manière artisanale, tels le tricot, la couture, les bijoux faits à la main, la céramique… Mais aussi, les activités de recyclage, d’autoédition d’ouvrages… voire la confection de médicaments traditionnels, telle la phytothérapie. Une des premières amorces de ce courant fut le Whole Earth Catalog, qui fut créé en 1968 aux Etats-Unis. C’était un catalogue présentant une vaste panoplie d’objets, tels des vêtements, des livres, des outils, des machines ou même des graines, mais qui ne vendait directement aucun de ces produits.

Les « marchés des biffins » relèvent d’une autre pratique concrète de recyclage exercée par les classes populaires. Il y a entre 500 et 1000 revendeurs d’objets récupérés dans les poubelles de Paris qui viennent à la Porte de Montreuil pour tenter de revendre leurs découvertes.

Idées de pratiques sobres
Voici une liste de pratiques, volontaires ou contraintes des classes populaires ou pauvres, dont s’inspirent parfois sans le savoir les partisans de la sobriété heureuse ou du DIY :

la consommation majoritairement végétarienne (par manque de moyens) plutôt que de la viande à tous les repas
les transports en commun et le vélo plutôt que la voiture
la force de la traction animale plutôt que le tracteur (surtout dans les pays en développement)
réparer plutôt que jeter après usage
récupérer, revendre (vide greniers, site Internet…), ou acheter d’occasion, plutôt qu’acheter du neuf
le prêt, ou la location plutôt que l’achat
échanger, par exemple avec les systèmes d’échange locaux (SEL), plutôt que de racheter
l’entraide amicale ou familiale plutôt que le paiement de prestataires privés
la maîtrise de technologies simples plutôt que la dépendance à une technologie de pointe
l’auto-construction de son habitat plutôt que par une entreprise extérieure
produire pour sa subsistance plutôt que le productivisme visant une accumulation sans fin
les jardins familiaux et ouvriers plutôt que le rayon du supermarché…

Les freegans sont un mouvement encore plus radical : ils entendent ne vivre que de la récupération des déchets de la société de consommation. A la fois pour ne pas polluer et aussi pour s’émanciper de la dépendance à la consommation et du travail salarié, qu’ils considèrent comme aliénant.

Points communs entre sobriété heureuse, pauvreté et culture populaire
L’économiste Thomas Piketty a montré qu’en 2015 les individus les 10 % les plus riches de la planète (dont fait partie une large part des classes moyennes occidentales) émettent 45 % des émissions de CO2. Par conséquent, ce sont les plus pauvres qui polluent le moins, contrairement à ce qu’on entend dans le discours dominant, tout simplement car ils n’ont pas les moyens de polluer beaucoup…

D’un point de vue de l’éthique écologique et sociale, la décroissance de la consommation devrait débuter par les individus les plus riches car ce sont eux qui génèrent l’empreinte écologique la plus forte, donc qui pèsent le plus sur l’environnement et sur les ressources naturelles.

Tandis que les miséreux sont fragiles, Jean Robert et Majid Rahnema  affirment qu’il existe une « puissance des pauvres » dans leur livre du même nom. C’est à dire une capacité à se détacher de la dépendance à la consommation illimitée et au besoin de « paraître », grâce à une culture de la sobriété heureuse.

Cependant, concernant cette dernière, il existe deux risques de dérives : d’une part, confondre la pauvreté avec la misère (qui est la non-satisfaction des besoins essentiels) et, de l’autre, développer la décroissance pour permettre aux plus riches de consommer plus longtemps. Entre ces deux excès, il existe une troisième voie : la politique sociale de la sobriété heureuse ou de l’écologie sociale, incluant une politique de redistribution des richesses et une politique de justice environnementale (préservation de l’environnement aussi pour les plus pauvres, principe du pollueur-payeur, écotaxe, quotas…).

Les labels équitables et éthiques

Ces labels solidaires sont une forme de commerce équitable Nord-Nord. Le commerce équitable ne représente qu’une part infime, avec environ 0,04 %, du commerce mondial. Néanmoins, son utilité réside principalement dans la prise de conscience citoyenne, l’un des principaux intérêts du commerce équitable. Les ONG qui entendent concilier commerce équitable, écologie et autonomie économique cherchent à importer des produits du Sud, se limitant par exemple à l’artisanat local (objets d’art, vêtements…), afin de ne pas diminuer les cultures vivrières des producteurs du Sud ou, pour certains produits, de ne pas concurrencer les petits producteurs au Nord. Elles n’importent que des aliments ne pouvant être cultivés dans les pays du Nord, comme le chocolat ou le café. Cependant, même ce type d’aliment peut limiter l’agriculture vivrière, dans la mesure où les populations locales ne peuvent pas se nourrir principalement de café par exemple.

Des codes de conduites qui se développent

Ces derniers sont des engagements volontaires des entreprises à respecter au moins les normes du travail minimums. En l’absence de régulation des normes sociales par la sanction des organisations internationales publiques au plan international, on peut considérer, d’une certaine manière, que les instruments éthiques représentent une relative avancée en matière de « responsabilité morale » des entreprises transnationales. Cependant, l’engagement moral se révèle moins contraignant que des sanctions fortes exercées par un Etat. Cependant, les labels bio ou équitables et les codes de conduite ne disposent pas d’un système de vérification vraiment indépendant car les vérificateurs sont payés par ceux-là même qu’ils contrôlent… Ainsi, la campagne européenne pour des vêtements propres a dénoncé maintes fois le non-respect des codes de conduite adoptés par les entreprises transnationales.

On observe de nombreux points communs entre les pratiques de consommation des partisans de la sobriété heureuse, de la simplicité volontaire, de la décroissance, de l’écologie sociale, des créatifs culturels et de la culture populaire, en particulier avec l’autolimitation individuelle. Ils cherchent souvent à travailler moins pour gagner moins, consommer moins et surtout vivre mieux. En effet, le « besoin » de consommer s’alimente de deux peurs principales : la peur de manquer et celle de ne pas être reconnu.

Les labels solidaires et de proximité

Traditionnellement, on considère que commerce équitable concerne les relations Nord-Sud, cependant l’association Minga estime que les relations Sud-Sud et même Nord-Nord doivent aussi être développées. L’association Max Havelaar considère que compte tenu des très fortes différences de conditions de travail, tel le travail des enfants, il vaut mieux créer un « label solidaire » pour le commerce Nord/Nord et un « label commerce équitable » pour le Sud/Nord.

Actuellement se développe donc des « labels solidaires », tels « Ecocert Solidaire », ou « Bio Solidaire, qui garantissent les normes sociales de certains produits s’inscrivant dans de l’économie solidaire (qui promeut la démocratie économique, la non-lucrativité, le soutien des exclus…) et dans l’économie de proximité. Dans cette dernière, on trouve notamment les AMAP (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne), qui consistent dans la création d’une association de consommateurs, afin d’acheter directement au producteur. Cela diminue les intermédiaires, donc cela accroît les bénéfices des petits producteurs. Cela leur permet de ne plus être exploités par les entreprises de la grande distribution en situation d’oligopole. En effet, ces dernières s’enrichissent grâce à des marges avant et arrière si élevées que les petits producteurs ne parviennent plus à se rémunérer correctement et finissent par disparaître les uns après les autres. Cela permet en plus de relocaliser la production, réduire les transports, donc les émissions de CO2 et le réchauffement climatique, et d’humaniser la relation de consommation en créant un lien direct avec le producteur. Enfin, cela peut renforcer la transparence de la qualité sanitaire, la fiabilité de la culture biologique et sa traçabilité, puisqu’il est plus facile de se rendre sur place pour observer les pratiques du producteur. Cependant, ce n’est pas une garantie absolue car le consommateur n’est pas présent tout le temps.

Les périodes de soldes d’hiver et d’été se révèlent généralement plus intéressantes financièrement. C’est pourquoi les moins fortunés réalisent parfois la quasi-totalité de leurs achats de biens non alimentaires durant les soldes. Cependant, cela ne pose-t-il pas un problème en termes d’environnement, notamment de surproduction ? En effet, les petits prix poussent souvent à la consommation de produits parfois inutiles, qui viennent gonfler les armoires déjà bien chargées ! En pensant gagner de l’argent, parfois on en perd dans des dépenses inutiles.

Dr Thierry Brugvin
Sociologue
Chargé de Conférence à l’Université de Besançon (France)
Mél : Thierry.brugvin@free.fr

Co-auteur de 6 chemins vers une décroissance solidaire, Thierry Brugvin et al., Chronique Sociale, 2017.

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