La démocratie repose sur un principe fondamental : La séparation entre les intérêts publics et les intérêts privés. Or, au Maroc, cette distinction tend à s’estomper à mesure que les sphères politique et économique se confondent.
Lorsque les détenteurs du pouvoir politique entretiennent des liens étroits avec les milieux d’affaires, la question de la représentativité et de la légitimité démocratique se pose avec acuité. Dans un tel contexte, la gouvernance semble parfois s’orienter davantage vers la préservation d’intérêts particuliers que vers la poursuite du bien commun.
Ainsi, il convient d’examiner dans quelle mesure l’union entre pouvoir et capital au sein du gouvernement marocain compromet la logique démocratique et affecte la confiance des citoyens dans les institutions publiques.
I. Une imbrication croissante entre pouvoir politique et intérêts économiques
Depuis plusieurs années, on observe une forte interpénétration entre les élites politiques et économiques marocaines. La formation de gouvernements issus de partis majoritaires ne s’est pas traduite par un renforcement de la gouvernance démocratique, mais plutôt par la consolidation d’un réseau d’intérêts croisés.
Les observateurs notent que de nombreux responsables politiques détiennent des participations dans des entreprises privées bénéficiant directement de marchés publics. Le projet de dessalement de l’eau à Casablanca illustre cette tendance : Les entreprises liées à certains décideurs politiques se voient attribuer des contrats majeurs, renforçant ainsi la perception d’un capitalisme d’Etat au profit d’une minorité.
Cette confusion entre gestion publique et enrichissement privé fragilise la crédibilité du système politique et alimente le sentiment d’exclusion des citoyens.
II. Des politiques économiques au service des privilégiés
Au-delà de l’attribution des marchés publics, plusieurs décisions économiques récentes accentuent cette dynamique inégalitaire. Les amnisties fiscales accordées à de grandes entreprises, souvent justifiées au nom de la relance économique, sont perçues comme des mesures de faveur destinées à préserver les intérêts de l’élite économique.
Parallèlement, la hausse continue des prix des carburants a mis en lumière la concentration des bénéfices dans les mains de quelques groupes dominants, alors même que ces augmentations pèsent lourdement sur le pouvoir d’achat des ménages.
Ces choix économiques traduisent une orientation politique qui privilégie la stabilité des acteurs économiques puissants plutôt que la justice sociale. Ils participent à une érosion de la confiance dans les institutions et renforcent l’idée d’un système où les décideurs œuvrent d’abord à la défense de leurs propres intérêts.
III. Les conséquences sociales et politiques d’un déséquilibre durable
Cette connivence entre pouvoir et capital n’est pas sans conséquence sur le plan social. Elle alimente la frustration et la colère d’une jeunesse confrontée à la précarité, au chômage et à l’absence de perspectives. Nombre de jeunes perçoivent ces inégalités structurelles comme la preuve d’un système verrouillé, où la méritocratie cède la place au népotisme et à la rente.
Face à ce désenchantement, certaines déclarations officielles, loin d’apaiser les tensions, ravivent le sentiment d’injustice lorsqu’elles ne s’accompagnent pas d’actions concrètes. Le fossé entre gouvernants et gouvernés se creuse alors davantage, menaçant la stabilité sociale et la crédibilité des institutions démocratiques.

Conclusion
L’union du pouvoir politique et du capital économique au Maroc met en évidence les limites d’une démocratie encore en construction. Lorsque les responsables publics deviennent eux-mêmes acteurs économiques, la frontière entre intérêt général et intérêt particulier s’efface, au détriment de la transparence et de la justice sociale.
Pour restaurer la confiance des citoyens et renforcer la légitimité démocratique, une réforme profonde des mécanismes de gouvernance s’impose : elle doit reposer sur la séparation effective des pouvoirs, la reddition des comptes, la transparence dans la gestion publique et la mise en place de politiques économiques réellement inclusives.
Seule une telle démarche permettra de replacer l’intérêt du citoyen au cœur de l’action publique et de donner un sens concret à l’idéal démocratique marocain.
Par Dr. Lahcen Benchama