PRÉSIDENTIELLE EN CÔTE D’IVOIRE : Vers un duel Ouattara-Koulibaly

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Le président de Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, est entré, dans la 4e année de son mandat qu’il voulait unique, au moment de sa prise de fonctions, en mai 2011. Son bilan est, particulièrement, décevant, à la tête du pays, même si le discours officiel dit le contraire. Les réussites affichées (dont le taux de croissance de 9,8%) sont l’arbre qui cache la forêt. Alassane Ouattara peut hypnotiser les bailleurs de fonds qui sont en train de, sérieusement, ré-endetter la Côte d’Ivoire, avec sa complicité, mais pas le professeur Mamadou Koulibaly. Président de LIDER dont il va défendre les couleurs à la présidentielle d’octobre 2015 (si Ouattara ne verrouille pas le processus électoral comme il veut le faire), ce professeur agrégé des sciences économiques et près de 10 ans président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire sous la Refondation où il a, aussi, été ministre de l’Economie et des Finances, montre, dans cette interview, comment Alassane Ouattara conduit la Côte d’Ivoire, droit dans le mur.

AFRIQUEDUCATION : Vous avez été censuré par la chaîne publique de télévision, RTI1, qui n’a pas diffusé votre conférence de presse du 29 avril, chez notre confrère, Le Nouveau Réveil, contrairement, aux trois dernières conférences de presse de vos trois prédécesseurs. Est-ce l’excès de zèle de la chaîne qui explique cette non-diffusion ou bien un ordre qui viendrait droit de la présidence de la République ?

Pourquoi vous et pas les trois autres qui sont passés avant ?

Professeur Mamadou Koulibaly : Le troisième jour, après l’invitation du Nouveau Réveil, la RTI-Télévision a fini par avoir un créneau pour montrer un mini-extrait, tout en prenant soin, de ne diffuser aucune des critiques que j’ai pu émettre, lors des 100 minutes d’échanges avec la presse.

Je vous signale que l’actualité de la période était dense pour la chaîne publique qui a le monopole de la télévision : le président de la République revenait, de France, où il était en visite privée, depuis une semaine, au moins. Est-ce du zèle des responsables de la chaîne ? Est- ce la volonté du gouvernement de censurer LIDER ? Je n’en sais rien. Je constate qu’en Côte d’Ivoire, les régimes se suivent mais l’espace audiovisuel demeure le monopole du parti au pouvoir. Les élites ne s’aperçoivent même pas, dans l’ivresse du pouvoir où elles sont, que différents bouquets de télévision et de radio sont les concurrents de la RTI et que les populations s’informent malgré la censure. RFI vient d’avoir des canaux en FM, alors que la RTI-Radio censure les opposants qui peuvent s’exprimer sur ONUCI- FM ou BBC ou RFI. La RTI est un outil interne de propagande et d’embastillement des militants des partis politiques qui accèdent au pouvoir, puisque les non-militants préfèrent ne pas suivre leurs programmes. Moi, je peux m’exprimer, librement, sur Africable et Maïsha TV, au Mali, et les Ivoiriens regardent sur le bouquet de Canal. Je peux m’exprimer sur VoxAfrica ou Stv2, du Cameroun, sur S2Tv du Sénégal. La RTI croit me censurer, mais en réalité, elle perd, chaque jour, des parts de marché par rapport à ses concurrents mondiaux. Mais comme elle est financée par l’impôt et des prélèvements obligatoires, elle ne se rend pas compte qu’elle n’est plus compétitive. Il en est de même pour les autres médias d’Etat, en Côte d’Ivoire.

La censure des médias d’Etat, à l’endroit des opposants, en Côte d’Ivoire, est une double sanction : non seulement, l’accès nous est interdit, mais en plus, la loi nous oblige, en tant que contribuables, à cotiser, chaque mois, obligatoirement et automatiquement, pour financer ces outils de propagande caporalisés par Ouattara. C’est une façon pour Ouattara de nous donner la preuve de la légalisation de l’arbitraire. Mon cas n’est qu’un prototype des effets de la criminalisation de l’Etat. Je ne suis pas le seul à être censuré, mais, je suis, certainement, le plus connu et le plus systématique. La Côte d’Ivoire occupe, quand même, la 101 e place sur 180 dans le classement mondial 2014 de la liberté de presse, ce qui indique un recul de 5 rangs, par rapport à l’année dernière. Pourquoi le Système Ouattara redoute-t-il Koulibaly ? A cause de la franchise avec laquelle j’expose les problèmes, je dévoile les erreurs que le président aimerait occulter ou minimiser, et je propose des solutions alternatives pratiques et efficaces. Cela serait une raison suffisante pour me censurer ? C’est pitoyable.

Pendant cette conférence de presse, vous avez parlé du jeune Tiémoko, tué le lundi de Pâques, 21 avril, par un FRCI, d’une balle dans la tête. Le tueur court toujours et la justice ne fait rien. Ce mauvais signal, pensez-vous, est donné par Alassane Ouattara, lui-même, à cause de l’impunité qu’il fait jouir aux FofiéWattao et autres alors que leur place est dans les prisons de Côte d’Ivoire ou de la Cpi ? Alassane Ouattara n’est-il pas impuissant devant ces com’zones qui l’ont porté au pouvoir en avril 2011 ?

C’est une succession de mauvais signaux, en effet. La criminalisation de l’Etat est voulue par Ouattara. Il est le chef suprême des armées, préside le Conseil supérieur de défense et le Conseil national de sécurité, il est, aussi, le ministre de la Défense. Il a, en principe, les instruments pour rechercher et retrouver le criminel en question. Il est le président du Conseil supérieur de la magistrature et contrôle le parquet et les juges du siège qu’il affecte, comme il le veut, de façon illégale. Le criminel pourrait être jugé, si Ouattara le voulait. S’il ne le fait pas, c’est qu’il est le complice des crimes commis par les éléments FRCI. Je ne pense, donc, pas que le président Ouattara soit impuissant devant les chefs de guerre qui l’ont porté au pouvoir. Encore que l’armée française n’était pas loin du théâtre des opérations militaires qui ont profité à Ouattara. De par ses attributions, il est plutôt leur chef, les nomme aux grades élevés de l’armée et de l’administration, tout en fermant les yeux sur leurs pratiques. Les forces onusiennes donnent la légitimité à ce dispositif et Licorne lui assure une force de dissuasion. Il n’y a, toujours, pas d’unicité de caisses, ni de désarmement, ni de réforme du secteur de la sécurité. En réalité, 12.000 éléments des FRCI, comme celui, qui a tué le jeune élève de 18 ans, ont été intégrés dans l’armée, 5.000 dans les forces paramilitaires de la douane, des gardes pénitentiaires, des eaux et forêts. C’est cela la réinsertion des ex-combattants et autres miliciens de Ouattara.

Le président Alassane Ouattara a entrepris des grands travaux d’infrastructures pour permettre l’émergence économique du pays, en 2020. Non seulement, vous ne prenez pas au sérieux son calendrier pour atteindre l’émergence, mais vous dénoncez des surfacturations des travaux qu’il réalise. Avez-vous des preuves de ce que vous dénoncez ? Pourquoi en tant que chef de parti, vous ne défendez pas devant les tribunaux l’intérêt général ?

Vous savez, ce n’est pas parce que l’on voit des grandes infrastructures dans les économies de marchés émergents qu’il faut en déduire que l’émergence des économies a pour source les infrastructures publiques ou que le financement public de ces infrastructures conduira à l’émergence et que même si l’Etat n’a pas d’argent pour le faire, il peut aller s’endetter pour réaliser ces infrastructures. Ce type de raisonnement de Ouattara est totalement faux.

D’abord, l’émergence commence par les marchés financiers qui sont les premiers à émerger et qui ne surviennent que lorsque l’économie, elle-même, est libérée des contraintes et entraves protectionnistes les plus fortes. Les premières infrastructures à promouvoir sont donc légales, juridiques, institutionnelles et concernent la liberté des marchés des entreprises et des citoyens. En Côte d’Ivoire, le gouvernement oublie que la première institution de la République c’est, d’abord, l’individu, le citoyen souverain, bien avant le président de la République.

La Côte d’Ivoire a bénéficié du programme mis en place par la Banque mondiale et le FMI pour la restructuration de la dette des pays dits PPTE. Deux ans après l’annulation de près de 6.000 milliards de F CFA de dettes, l’Etat ivoirien est reparti pour un nouveau surendettement. Notre pays s’endette pour rembourser la dette et s’endette pour financer des infrastructures. Comme la dette est remboursée à temps, elle donne le sentiment d’un retour à la normale et les gens ne voient pas que c’est un nouvel endettement qui vient boucher le trou d’un endettement ancien. C’est la fuite en avant. L’Etat s’endette et augmente les impôts pour collecter des fonds supplémentaires, qui sont des manques à investir pour les éventuels investisseurs privés et entraînent un coût de la vie élevé pour les populations et le secteur privé évincés des marchés de connivences.

Si les infrastructures financées par la dette pouvaient faire d’un pays une économie émergente, la Côte d’Ivoire l’aurait été du vivant de Houphouët-Boigny qui, à l’époque, a construit deux ponts à Abidjan: Le Pont de Gaulle et le Pont Houphouët-Boigny. Il a construit près de 300 kilomètres d’autoroute : autoroute du Nord, boulevard de France, boulevard Valery Giscard d’Estaing, boulevard Mitterrand, boulevard Latrille, boulevard lagunaire, boulevards de Yamoussoukro.

Il a construit l’échangeur de l’Indénié, celui de Williasmville, etc. Il a construit les immeubles du Plateau pour loger les grands services administratifs et les ministères. Il a construit, au moins, trois CHU, à Abidjan. Lorsqu’il a terminé tout cela, la Côte d’Ivoire s’est retrouvée dans la classe des pays surendettés et incapables de rembourser leurs dettes, contrairement, à la Corée du Sud qui vivait une autre expérience. Le pays a été soumis aux différents programmes d’ajustement structurel dont la gestion a obligé Houphouët-Boigny à faire appel à Ouattara comme premier ministre. La fin de l’histoire a été la négociation longue et fastidieuse du déclassement de la Côte d’Ivoire dans la catégorie des pays PPTE, à la grande joie des dirigeants et des populations. La Côte d’Ivoire n’a pas été émergente, pour autant, et a été, complètement, dépassée par la Corée du Sud, la Malaisie, l’Ile Maurice ou bien Hong Kong ou Singapour. Ainsi, l’idéologie selon laquelle le financement public des infrastructures conduit à l’émergence des économies n’est pas du tout fondée dans notre cas.

Ce type de pratiques a un gros avantage, c’est de permettre le financement politique du développement, la passation de marchés publics sans concurrence et les surcoûts propres au protectionnisme et à la corruption qui va avec. Les preuves existent, car c’est le gouvernement, lui- même, qui fait le constat, puis, prétend engager des enquêtes qui ne conduisent, jamais, nulle part. Les poursuites ? Les procureurs, pourtant, prompts à faire appel contre des décisions des juges dans des affaires civiles, ne s’intéressent point aux surfacturations des marchés publics, même lorsque la presse s’en fait l’écho et que le gouvernement, lui-même, constate. Un responsable de parti politique de l’opposition peut-il engager des poursuites en la matière ? Non, notre système juridique ne le permet pas. D’ailleurs, Ouattara ne permet à personne d’autre que le procureur d’engager des plaintes et les délais de prescription pour poursuivre les ministres corrompus, qui étaient jusqu’à présent de 10 ans, ont été réduits à 3 ans par décret présidentiel. Cela s’appelle le patrimonialisme.

Vous reprochez à Alassane Ouattara de verrouiller l’élection présidentielle de 2015 aussi bien au sein du RHDP qu’au niveau de l’opposition, ce qui ne vous empêche pas d’être candidat. Vous l’avez déjà annoncé. Cela dit, qu’est-ce qui fait problème au sein de la CEI que vous n’approuvez pas ?

A l’instar de nombreux observateurs, je présume que Ouattara, comme d’habitude, ne tient parole que quand cela l’arrange. Avec lui, la roublardise tient lieu de parole d’honneur. Il avait, pendant la dernière campagne présidentielle, annoncé qu’il ne cherchait qu’un seul mandat de cinq ans, pas plus. Et puis, après, seulement, quelques mois d’exercice du pouvoir, il prévient, 30 mois avant les élections, qu’il lui faudrait un second mandat pour terminer ce qu’il a commencé, les chantiers étant plus importants qu’il ne les avait estimés. Dès cet instant, il force la main aux autres partis du RHDP pour se faire accepter, comme candidat unique, au point de pousser à la révolte interne au sein de certains partis comme le PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire, présidé par Henri Konan Bédié, ndlr), qui est au bord du schisme. Une fois cela imposé à ses partenaires, il se tourne vers ses adversaires et leur impose son diktat. Pas de financement pour les partis d’opposition susceptibles de le défier, alors que lui, et les partis signataires des Accords de Marcoussis, continuent de s’engraisser sur les fonds publics des dividendes de la rébellion.

Pas d’accès aux médias d’Etat alors que lui, les transforme en machines de propagande politique financées, aussi bien, par les opposants que par des autres contribuables. Une insécurité, brutalement, entretenue par des forces parallèles et des miliciens à sa solde. Il refuse la mise à jour annuelle de la liste électorale par la CEI caduque et hors la loi qu’il maintient en place. Il attend le dernier moment pour, dans la précipitation, engager la confection de la liste électorale dans des conditions scabreuses, comme celles dans lesquelles se déroule le recensement général de la population et de l’habitat. Il n’y a pas de commission électorale indépendante légale, mais il essaye un passage en force avec une structure qui porte le même nom, mais, qui est loin d’être celle qui pourrait garantir des élections démocratiques.

Ouattara a rejeté toutes les propositions faites, aussi bien, par les partis d’opposition que par le National Democratic Institute (NDI) – la fondation du parti démocrate américain venue, à la demande du président lui-même, faire une évaluation de la situation politique générale et des propositions pour les futures élections, avec comme point focal, la commission électorale. International Crisis Group (ICG) a, aussi, fait des propositions de réforme de la commission électorale dans différents rapports qui ont été rejetées par Ouattara. Des rapporteurs indépendants des Nations-Unies lui ont fait des propositions dont il n’a pas tenu compte. La société civile ivoirienne représentée par sa principale faîtière, la Convention de la société civile qui réunit, en son sein, différentes associations, lui a fait des propositions que le président a, aussi, rejetées. Curieux tout de même qu’il nous explique, après tous ces rejets, que nous n’avons pas à nous inquiéter et que la commission électorale relève de la compétence du président de la République, tout seul, puisque c’est une loi qui la crée, l’organise et définit son fonctionnement et ses attributions. Et comme c’est le président de la République qui est le seul détenteur du pouvoir de fabriquer les lois dans le régime hyper présidentialiste dans lequel nous vivons, ils ont proclamé que rien n’était plus négociable. Fort de cela, il nous propose une commission électorale de 13 membres, au lieu de 31 comme c’est le cas, actuellement. Puis, il nous explique dans son projet de loi que lui seul, président, devrait contrôler sept des membres de cette commission. Il nomme un représentant pour lui-même, puis trois au titre du gouvernement qui seront tous du RDR (Rassemblement des républicains, parti présidé par le président Ouattara, ndlr), puisqu’ils doivent représenter des ministères techniques, dit-on. Il s’agit du ministère chargé de l’Administration du territoire, du ministère de l’Economie et Finances et d’un magistrat désigné par le Conseil supérieur de la magistrature présidé par Alassane Dramane Ouattara.

Donc, le candidat Ouattara s’offre quatre sièges à lui-même. Notez au passage que, selon la loi sur la commission électorale actuelle, les ministères techniques n’ont même pas besoin d’être installés comme membres de la CEI puisque celle- ci peut les réquisitionner pendant la période électorale et les mettre, tous, à son service de façon impérative (articles 3, 4 et 37 nouveau). Pourquoi, en plus de ce pouvoir que la loi lui donne sur la CEI, faut-il représenter quand même les ministères techniques en question dans la commission, sinon pour tromper l’adversaire et l’opinion ? Puis, il octroie trois sièges de la commission à la coalition au pouvoir, c’est-à-dire, le RHDP, sous son contrôle, puisqu’il en est le candidat unique. Aux adversaires de l’opposition, Ouattara offre trois sièges sur les 13, et à la société civile, trois sièges, également, dont deux dédiés aux religieux.

On peut noter, aussi, que, contrairement, à la volonté de Ouattara, d’autres propositions existent. Celle qui a notre préférence, à LIDER, consiste à laisser la CEI, entièrement, aux mains de la société civile, qui serait, alors, arbitre du jeu politique et pourrait lui donner un caractère, vraiment, indépendant des partis politiques et de l’administration. Une autre option serait de donner, à la société civile, la moitié des sièges et, à garder l’autre moitié, pour les partis politiques, qui se la repartiraient, à hauteur de 50%, pour la coalition au pouvoir et 50% pour l’opposition. Une autre alternative serait, enfin, de laisser la commission, entièrement, sous contrôle des partis politiques, avec la moitié des sièges pour la coalition au pouvoir et l’autre moitié, pour l’opposition, mais alors, dans ces deux derniers cas, on ne parlerait plus de commission indépendante.

Et puis, enfin, Ouattara est candidat aux élections présidentielles de 2015, Koulibaly, aussi, Ahipeaud Martial, aussi, Henriette Lagou, aussi, et peut être, bien d’autres Ivoiriens. Pourquoi, lui, candidat aurait-il un ou des représentants à la CEI et pas les autres candidats ? C’est juste une question de bon sens. Ce qui ne va pas avec la commission électorale, c’est la volonté de Ouattara d’utiliser cette institution pour faire perdre ses adversaires. Ceux qui contestent cette thèse devraient, alors, nous dire les raisons qui poussent un candidat à refuser les propositions du NDI ou de l’ICG ? Même quand il revient sur sa position devant le parlement pour rediscuter de la CEI, il ne touche qu’à la répartition des sièges mais pas aux attributions, à l’indépendance et à l’intégrité de la commission dans l’organisation des élections. La commission électorale qu’il nous propose restera, hélas, hyper politisée et cristallisera, en son sein, les querelles, les haines et les violences politiques. Les scrutins organisés par une commission non indépendante des partis politiques et de l’administration aboutissent, habituellement, ici à des élections calamiteuses, violentes et non démocratiques. Ouattara ne semble pas tirer les leçons de l’histoire récente de notre pays.

Charles Blé Goudé a rejoint son mentor, Laurent Gbagbo, à la CPI. Ça fait deux grosses pointures dans le même camp politique. En face, dans le camp du pouvoir, personne pour le moment. Qui, selon vous, dans le camp présidentiel, devrait suivre Gbagbo et Blé Goudé, à la CPI, et pour quels motifs, si la justice ivoirienne et la CPI ne donnaient pas l’impression de marcher sur la tête ?

Pour moi, selon les principes que le bureau du procureur de la CPI nous explique, les poursuites sont là pour lutter contre l’impunité et la prévention des crimes de droit international. Leur démarche est fondée sur des principes d’impartialité et d’objectivité. On n’a pas les moyens de poursuivre tous les criminels, mais seulement, les personnes qui ont la plus grande responsabilité comme dirigeants d’un Etat ou de l’organisation présumée responsable des crimes sur lesquels ils enquêtent. Vu ainsi, en Côte d’Ivoire, il y a eu une crise dans laquelle trois armées sont mises en cause. Les Forces de défense et de sécurité de l’Etat de Côte d’Ivoire présidé à l’époque par Laurent Gbagbo. Il y a eu les Forces armées des forces nouvelles dirigées par Soro Guillaume, alors secrétaire général des Forces nouvelles de la rébellion du 19 septembre 2002. Et enfin, l’armée des Forces républicaines de Côte d’Ivoire créée par ordonnance par Alassane Dramane Ouattara, président de la République, alors qu’il exerçait depuis le Golf Hôtel. Ces trois armées et leurs supplétifs sont accusés de crimes de sang, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité par différentes commissions d’enquêtes nationales et internationales, étatiques ou non étatiques. Les crimes, nous dit-on, sont documentés et imprescriptibles. Pourquoi, alors que les trois armées sont incriminées, il n’y a que dans la première armée que les personnes accusées de porter les plus lourdes responsabilités sont arrêtées et transférées à la CPI ? Pourquoi celles qui portent les plus lourdes responsabilités dans les crimes commis par les deux autres armées ne sont-elles pas poursuivies ?

En outre, les procédures confidentielles de la CPI pour, dit-on, protéger les victimes, les témoins, les moyens de preuves et assurer l’exécution des mandats d’arrêt, ont un effet bloquant. Lorsque, comme c’est le cas en Côte d’Ivoire, le président de la République, qui détient tous les pouvoirs, est informé qu’un mandat d’arrêt peut être lancé contre lui ou contre ses proches, il peut s’opposer ou faire obstruction à l’exécution du mandat. La procédure devient, alors, politique et met, en danger, la vie des témoins, des victimes et peut même conduire les autorités à détruire les preuves, à sélectionner les personnes à livrer à la CPI et celles à protéger pour différentes raisons. La justice, dans ce cas, peut-elle s’accommoder du secret et être efficace et juste ? Tout cela nous semble curieux. Nous observons impuissants mais non résignés, parce que depuis 2002, nos consciences examinent nos attitudes et nos discours. Nous suivons la justice locale et, la justice internationale qui n’a pas intérêt à se discréditer. De son attitude dépend, aussi, le succès des élections futures, en Afrique. Il faut savoir qu’en 2015, il y aura sur le continent africain, au moins, 9 élections présidentielles et que les élections, en Afrique, sont les moments privilégiés de crimes gratuits, sans conséquences. En temps ordinaires, tuer un homme conduit, en principe, en prison, mais, en période électorale, ici, tuer un homme ou même plusieurs, conduit à l’amnistie, à l’impunité. Qu’est-ce qui pourrait protéger les populations civiles ivoiriennes dans la perspective des élections, à venir, si la justice donne le sentiment que le crime paie ?

Par rapport à la CDVR dont vous trouvez le bilan dramatiquement décevant, vous n’êtes pas non plus tendre. Avez-vous conseillé à Charles Konan Banny de démissionner parce que la CDVR est un «machin» qui ne sert à rien faute de moyens ?

Non ! Je ne me permettrai pas de demander à Charles Konan Banny de démissionner. Je sais que la mission qui lui a été confiée est difficile et délicate et que, lui-même, est partie prenante, étant entendu qu’il a été premier ministre dans la période concernée par la réconciliation. Il est difficile d’être à la fois juge et partie. En plus, Ouattara ne lui a pas laissé les mains libres, puisque la CDVR doit travailler sous l’autorité du président de la République qui est, lui-même, une partie essentielle du conflit politique ivoirien, sachant qu’un volet principal du repli identitaire, en Côte d’Ivoire, est cristallisé par Ouattara, la Charte du Nord et le RDR dont il est le président et principal bénéficiaire de la rébellion de septembre 2002 dont il se réclame. Il est difficile d’être tuteur de la réconciliation et parrain d’une des parties de la crise.

En outre, Ouattara n’a pas mis à la disposition de Banny les moyens financiers qu’il aurait fallu pour travailler, correctement et rapidement. Pour le président Ouattara, la réconciliation ne semble pas être une urgence. Selon lui, il lui suffit de construire un pont et de bitumer quelques routes, dans Abidjan, pour faire oublier aux populations la déchirure de toutes ces années de crises qui ont suivi le décès d’Houphouët-Boigny.

Et puis, enfin, il y a la méthodologie de la CDVR qui consiste à poser comme hypothèse implicite que la crise ivoirienne est issue d’un conflit entre les communautés ethniques. Ce que les faits contestent. Il s’agit d’une crise partisane, c’est-à-dire, qui a opposé des partisans des divers partis politiques RDR, FPI (Front populaire ivoirien, fondé par Laurent Gbagbo, en prison à la CPI, ndlr), PDCI et UDPCI (Union démocratique pour la paix en Côte d’Ivoire, parti lancé par l’ancien général- président Robert Gueï, ndlr). L’erreur méthodologique a conduit, depuis deux ans, la CDVR à rechercher des voies pour réconcilier des communautés ethniques, alors que le conflit politique est inchangé et s’aggrave même.

A mon avis, Banny est parti de cette hypothèse parce qu’il admet, comme de nombreux observateurs, que les partis politiques sont des syndicats ethniques. Ils n’ont pas tort, mais, les partis ne mobilisent pas la totalité de la population. Sur une population de 25 millions d’habitants, comme au Ghana, nous n’avons que 5,7 millions de personnes sur la liste électorale, dont 4,5 millions ont voté, alors qu’au Ghana, avec le même profil de population, il y a eu, environ, 11 millions de votants pour 14 millions d’inscrits. Les partis politiques de l’ancien régime ont pris, en otage, le multipartisme, en Côte d’Ivoire, et l’ont bloqué à ce stade, sans transition vers la démocratie.

La mainmise de l’Etat sur l’essentiel des richesses du pays, la terre, les recettes du cacao et du café, le pétrole, etc. entraîne une politisation de la vie économique et sociale qui intensifie l’hostilité entre des groupes politiques qui instrumentalisent l’ethnie, la religion et la région pour accéder au contrôle du pactole étatique. Comme ce sont des décisions politiques et non des prix de marché qui doivent partager les ressources et départager entre les intérêts divergents des populations, on se retrouve avec des communautés qui, en temps ordinaires, font sur les marchés des transactions pacifiques mais deviennent violentes sur les questions politiques. A LIDER, nous tournons le dos à ces violences que nous bannissons. Nous nous engageons dans la résolution des conflits fonciers par l’abrogation de la loi sur le foncier rural de 1998 et la mise en route du cadastrage suivi par la distribution des titres fonciers aux propriétaires des terres. Cette voie ne fait pas partie de l’agenda de la CDVR. On donne de mauvaises solutions à un problème mal posé et on refuse d’aborder les vrais problèmes dont les solutions nous font peur.

En mai 2012 et mai 2013, à la même période, vous nous aviez accordé une longue interview pour dénoncer la gestion catastrophique d’Alassane Ouattara, à la tête du pays. Si on comprend bien : le professeur Koulibaly note toujours aussi mal le docteur Ouattara à l’occasion de son bilan An III à la tête de la Côte d’Ivoire ? Pourquoi Alassane est-il un élève totalement désespérant ? Pourquoi il est inapte à toute amélioration, à tout progrès ? Pourquoi même la forte croissance économique qu’il fait miroiter aux Ivoiriens n’est que de la poudre aux yeux ? Bref, pourquoi, pour le professeur agrégé d’économie que vous êtes, Ouattara a encore la sous-moyenne en cet An III ?

Pour l’an 1 du pouvoir de Ouattara, le 1er mai 2012, notre thème était «La solution, un an après : Promesses, désillusions et perspectives». Nous avons montré les contradictions entre les promesses du candidat Ouattara et sa gestion effective de l’Etat. Pour l’an 2, le 6 mai 2013, nous avons mis, à nu, le mythe de Ouattara selon lequel, il pourrait faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent à l’horizon 2020. Le thème traité, alors, était : « Hyper pouvoir, mensonges et Nation au bord de l’éclatement ». Nous avons noté que la réconciliation, sous Ouattara, était, en panne, et que les perspectives économiques, reposant, exclusivement, sur l’endettement qui reprenait son envol sans pour autant qu’il y ait un début de création d’emplois, étaient désespérantes pour le secteur privé et les chômeurs. En 2014, le 6 mai, nous avons adopté, comme thème, «Pourquoi choisir LIDER ?». Nous avons présenté les échecs de Ouattara sur les questions sociales telles que l’hôpital, l’école, le tribunal et les ménages. Nous avons, également, établi pourquoi Ouattara avait perdu le Nord, géographiquement, sociologiquement, intellectuellement et politiquement, parlant. Sur chacune de ces questions, LIDER a fait des propositions de réformes. Pour l’hôpital, complètement, négligé par Ouattara, nous proposons de consacrer, au moins, 15% du budget général de l’Etat pour améliorer les plateaux techniques et les équipements hospitaliers, en plus, d’une meilleure formation des personnels médicaux. Nous envisageons de sortir du monopole de la fourniture des médicaments, à la Côte d’Ivoire, et à la quasi-totalité de l’Afrique francophone, par une société française, Eurimex Pharma, qui achète les médicaments, partout, dans le monde et se retrouve être le seul fournisseur de médicaments aux grossistes pharmaceutiques des pays francophones du continent. Avec la mondialisation, l’Inde fabrique des médicaments, bon marché, accessibles aux Africains, ce qui est, en soi, une bonne chose pour la santé sur le continent. Mais que pour accéder aux médicaments «Made in India», les grossistes ivoiriens, maliens, camerounais, burkinabé, béninois, togolais, gabonais, etc. soient obligés de passer par Eurimex Pharma, est chose qui rend le médicament plus cher, encore, pour des pays pauvres dont les Etats ne peuvent même pas fournir à leurs populations des soins convenables. Le commerce entre la Côte d’Ivoire et l’Inde, n’a pas à passer par la France. Pourquoi le commerce Sud- Sud devrait-il passer par le Nord, à l’heure de la géostratégie mondiale des entreprises ? Ouattara, dans ce système, promet des soins gratuits aux populations, mais les médicaments sont absents des hôpitaux non équipés. Même chose pour l’école. Le système LMD introduit, brutalement, et sans préparation, perturbe les étudiants, les personnels enseignants et les personnels administratifs. Des universités réhabilitées, rebaptisées, dans lesquelles on trouve distributeurs de billets de banque, jets d’eau et de lumière, espaces verts mal entretenus, hauts monuments, mais, où il n’y a ni bibliothèques, ni laboratoires, ni salles de classe ou amphithéâtre en nombre suffisant, ni bourses d’étude, ni restaurants universitaires à la hauteur, ni chambres d’étudiants, et où une cité universitaire vient juste d’être, partiellement, mise à la disposition de quelques étudiants, par la police universitaire qui occupe les lieux. La justice ? N’en parlons pas. Le coût de la vie pour les ménages est devenu, au fil du temps, insupportable. La politique de Ouattara fabrique du chômage chaque jour. Le prix du cacao est, toujours, fixé par décret, après de grosses ponctions effectuées par l’Etat sur les revenus des paysans. La politique sociale du gouvernement de Ouattara est un fiasco complet. Ceux qui félicitent son gouvernement, sont les créanciers de l’Etat de Côte d’Ivoire, qui voient leurs dettes remboursées, régulièrement, avec ponctualité. Cela se fait bien, mais au prix de nouveaux endettements et d’une hausse du coût de la vie et du chômage. Cette évaluation nous aura permis de positionner LIDER comme le parti qui rassure les Nordistes. Ils ne peuvent pas être tenus comme comptables des conséquences des politiques hasardeuses menées par Ouattara. Les ressortissants du Nord ont été trompés, comme tous les autres Ivoiriens. Ils souffrent, non seulement, des séquelles des longues années d’occupation de leurs régions par la rébellion qui a détruit les forêts, les cultures, les mœurs, mais, ils ont une réputation ternie auprès des autres populations qui les considèrent comme ceux qui ont aidé à l’implantation de l’Etat criminel tel qu’il est, aujourd’hui, sous Ouattara. Il faut rassurer le Nord et donner l’opportunité, au Nord, de rassurer la Côte d’Ivoire.

LIDER est là, pour servir de catalyseur à cette évolution. La Côte d’Ivoire est malade et LIDER en est le remède.

On comprend pourquoi vous vous portez candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2015. Le professeur sera-t-il meilleur que son élève ? Pourtant, on vous dit sans électeurs. Est-ce vrai ? Comment comptez-vous gagner cette élection avec une opposition aussi divisée ?

LIDER ira aux élections présidentielles, seulement, quatre ans après sa création. LIDER, chaque année, enregistre, en moyenne, 5.000 militants qui achètent des cartes. Donc, en 2015, nous aurons, probablement, 20.000 militants environ.

Vu ainsi, nous n’avons pas d’électeurs.

LIDER n’est pas conduit par un président qui compte sur un groupe ethnique, LIDER n’est pas soutenu par une religion de Côte d’Ivoire, ni par une région. LIDER n’est pas un syndicat ethnique. Vu ainsi, nous n’avons pas de bases tribales et, donc, pas d’électeurs.

LIDER n’est pas riche, nous n’avons pas de milliardaires dans nos rangs et, donc, nous n’avons pas de moyens pour aller le plus loin possible et le plus vite possible et nous ne pouvons, donc, pas atteindre de nombreuses personnes. Nous ne bénéficions pas de fonds publics mis à la disposition des partis au pouvoir et autres signataires des Accords de Marcoussis. Vu ainsi, LIDER n’a pas de moyens de gagner ces élections.

LIDER n’a pas accès aux médias d’Etat. Nous sommes censurés par la seule télévision nationale qui est, d’ailleurs, une télé d’Etat, exclusivement, réservée à la famille du président de la République et au parti au pouvoir. Notre discours n’arrive, donc, pas par le canal des médias d’Etat, dans la Côte d’Ivoire profonde. Vu ainsi, nous n’avons pas les moyens de gagner les élections à venir.

Mais alors, il me vient une question : Pourquoi, face à un parti tout jeune, tout frêle, sans argent, sans audience ni électeurs, Ouattara cherche-t-il à tout faire pour être le candidat unique de la coalition au pouvoir, et que par ailleurs, il cherche à verrouiller la commission électorale pour avoir le contrôle de l’issue du vote ? Curieux, tout de même ! Goliath a- t-il peur de David ?

Si la commission électorale reste en l’état, alors Ouattara n’aura plus qu’à prendre une ordonnance pour se nommer comme président à vie de la Côte d’Ivoire parce qu’il n’aura, très, probablement, aucun candidat contre lui. Il sera plébiscité par les électeurs qui iront aux urnes ce jour d’octobre 2015. Nous, nous appellerons au boycott. Nous resterons chez nous. Dans un pays de 25 millions d’habitants, il a été élu, en 2010, par 2.483.164 électeurs sur 4.590.219 suffrages exprimés. En 2015, il sera, démocratiquement, élu par les militants de son parti et, par eux, seulement, qui seront, certainement, les seuls à aller aux urnes en octobre. Une partie du RHDP ne suivra pas. Ce sera une victoire totale, car même les moutons, les poulets, les chiens, les chats, les arbres, les herbes, les légumes et les fruits pourront, alors, lui affirmer dans les urnes qu’il est le plus fort, le plus puissant, le plus glorieux chef d’Etat d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

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