PRESIDENTIELLE SENEGALAISE : Pourquoi Abdoulaye Wade va gagner

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De Adrien Poussou

Comme on s’y attendait, les résultats définitifs du premier tour de la présidentielle sénégalaise du 26 février ont été validés par le Conseil constitutionnel, qui confirme donc, sans surprise, la tenue d’un second tour entre Abdoulaye Wade et son ancien premier ministre, Macky Sall.


À quelques voix près, les résultats provisoires publiés le 29 février par la Commission nationale de recensement des votes (CNRV) se trouvent ainsi certifiés. Selon les résultats rendus publics mardi 5 mars par les « Sages » du Conseil constitutionnel, le président sortant, Abdoulaye Wade, arrive en tête du premier tour avec 34,81% des voix, suivi de Macky Sall qui a finalement récolté 26,58% des suffrages. Moustapha Niasse vient en troisième position avec la coalition Benno Siggil Senegaal (13,20% des voix), suit le leader du Parti socialiste (PS) Ousmane Tanor Dieng (11,30%) et Idrissa Seck recueille (7,86%). Les neufs autres candidats obtiennent chacun moins de 2% des voix. Par ailleurs, la plus haute juridiction sénégalaise a rejeté les recours déposés par le camp présidentiel au sujet du vote des Sénégalais de l’étranger et du déroulement du scrutin dans les villes de Bignona (Casamance, sud), Touba, Mbacké et Kaolack (centre).


Le président sortant sûr de l’emporter
Pas besoin de rappeler que le président Abdoulaye Wade et son adversaire du second tour Macky Sall, sont tous les deux issus de la famille libérale. Même si, dans la course aux alliances en vue du second tour fixé au 25 mars, l’ancien premier ministre d’Abdoulaye Wade a pris une longueur d’avance avec le soutien de la quasi-totalité des candidats malheureux, dont les trois principaux, mais aussi, celui du Mouvement du 23 juin (M23, coalition de partis d’opposition et d’organisation de la société civile), du Collectif de jeunes. Y’en a marre, ainsi que du chanteur Youssou Ndour, rien n’est moins sûr qu’il mettra le « Vieux » au tapis. Pour la simple et bonne raison que la réalité des faits est beaucoup plus complexe, pour ne pas dire plus compliquée.
D’abord, parce que les anciens premiers ministres qui apportent en public leur soutien à Macky Sall, disent tout le mal qu’ils pensent de lui en privé. L’un d’eux le juge « suffisant, solitaire, exclusif » voire même « dogmatique ». Pour ce dernier, c’est Macky, en voulant faire cavalier seul, qui est à l’origine de la désunion de l’opposition, qui aurait dû aller à cette présidentielle en rang resserré. Une candidature unique de l’opposition, juge-t-il, aurait permis de battre Wade dès le premier tour. À l’en croire, Macky va prendre le « maquis », car estime-t-il, même s’il est important dans le pays, le seul rejet du candidat sortant ne suffit pas à enclencher le processus de « l’alternative à l’Alternance » et gagner la présidentielle.

Par ailleurs, certains auraient bien aimé être à la place de Macky Sall. Ceux-là se sont finalement surpris à reprendre à leur compte, en privé, l’un des arguments du président Wade qui a promis, pour ce troisième mandat, promouvoir la « jonction générationnelle » afin de permettre à la nouvelle génération de prendre la relève. Ils pensent que « Gorgui », qui est un champion toutes catégories de « coups politiques », pourrait bien se retirer de la scène politique quelques temps après son élection et ouvrir ainsi la compétition pour sa succession. Alors qu’à 50 ans, s’il est élu, Macky Sall fera tout pour étendre la domination de son parti sur l’appareil administratif du pays et ainsi consolider son pouvoir pour les décennies à venir. Ce qui pourrait avoir pour « fâcheuse » conséquence, de leur barrer la route du palais présidentiel. Dès lors, leur volonté d’en découdre avec le président sortant s’est évanouie. Certains d’entre eux n’hésitent plus à se faire inviter à se joindre aux convives « nocturnes » d’Abdoulaye Wade, pour proposer des « arrangements politiciens », dans un pays où tout s’achète. D’autant plus que le Parti démocratique sénégalais au pouvoir a certainement constitué un trésor de guerre pour ces genres de « libéralités ».

Ensuite, Macky Sall est perçu par beaucoup de Sénégalais comme le candidat de l’extérieur. Ses compatriotes qui n’ont forcément pas la mémoire courte, se souviennent encore probablement qu’en tant que président de l’Assemblée nationale, celui-ci avait été décoré de la légion d’honneur française. Dans un contexte particulièrement tendu sur le continent africain, où les opinions publiques entendent se dégager de la tutelle intellectuelle occidentale, apparaître comme le candidat qui est soutenu par les grandes puissances, pourrait jouer de sales tours. Or, Macky Sall qui a déjà été marqué du fer rouge « d’accointance » avec les puissances extérieures peu enclines à favoriser le développement du continent, aura du mal à reporter les voix des autres candidats sur son nom. D’ailleurs, pour ce deuxième tour, certains observateurs tablent sur un vote massif des abstentionnistes du premier tour en faveur d’Abdoulaye Wade.

Enfin, le président Wade a pu certainement tirer les leçons de l’impression du désordre que son camp a parfois laissé entrevoir. Lui, l’animal politique, qui était pourtant sûr de sa victoire dès le premier tour, sait qu’il est impératif de remédier à ce qui n’a pas marché au premier tour. Il a dû s’apercevoir a posteriori que sa campagne était mauvaise, parce que personne au sein de son équipe, (à l’exception notable du premier ministre Soulemane Ndéné Ndiaye, de son porte-parole Amadou Sall, et de Pape Diop, président du Sénat qui s’occupait de l’intendance), n’avait eu un rôle bien déterminé. Avec comme conséquence, le découragement des militants qui avaient du mal à se retrouver dans cet univers PDS qui ressemblait plus à une « foire d’empoigne » entre « éléphants » du parti, qui se livraient à une guerre de positionnement.


Le soutien décisif des confréries
Il ne fait l’ombre d’aucun doute qu’au Sénégal, le pouvoir politique a toujours courtisé le pouvoir religieux, représenté par les quatre confréries du pays qui sont anciennes, influentes, et particulièrement bien implantées. Ces confréries ont une réelle autorité morale et peuvent avoir une influence politique incontestable.

On le sait, depuis la fin des années 1980, les confréries ne donnent plus de consignes de vote officielles. Le dernier « ndiguël officiel » remonte d’ailleurs à 1988. Mais cette fois, deux chefs religieux mourides ont appelé leurs disciples à voter pour le candidat Abdoulaye Wade au second  tour : Cheikh Bethio Thioune et Cheikh Ndiguel Fall, qui sont deux guides religieux mourides n’ont pas hésité à soutenir publiquement le président sortant. Quand on sait que « les disciples sont liés aux chefs religieux par un pacte d’allégeance », comme l’explique Ibrahima Diagne, le chargé de la communication de Cheikh Bethio, il est fort à parier que ces soutiens détermineront le vote de nombreux Sénégalais. D’autant plus que même certains talibés, peu susceptibles, a priori, de se faire dicter leur vote, affirment qu’ils suivront le ndiguël des deux chefs religieux. Il faut le rappeler, un ndiguël en wolof, est un décret religieux.

Abdoulaye Wade est ainsi assuré d’être reconduit pour un troisième mandat à la tête du Sénégal.

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