RWANDA : POURQUOI PAUL KAGAME CRAINT SA PROPRE SILHOUETTE

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« Démocratiquement » élu en septembre dernier, le général Paul Kagamé commence à vivre à l’étroit. S’il perdait d’une manière ou d’une autre le pouvoir politique, il sait qu’il ne serait plus à l’abri d’un procès de la part de ses adversaires qui l’accusent aujourd’hui d’avoir indirectement diligenté, lui-même, le génocide grâce auquel il a finalement su tirer son épingle du jeu en devenant l’homme fort du pays. Avec un ancien président de la République en prison, un ancien premier ministre en exil aux Etats-Unis et un opposant politique qu’il cherche à tout prix à museler en l’accusant de « divisionnisme », Paul Kagamé s’engage sur une pente glissante. Même son armée connaît quelques remous du fait de son vrai-faux départ de la RDC où des officiers rwandais étaient passés maîtres dans l’extraction du diamant. C’est la raison pour laquelle on signale, parfois, la présence des soldats rwandais en RDC alors que Kigali a annoncé officiellement que son armée avait quitté ce pays. Enfermé dans son propre piège, Paul Kagamé gère de plus en plus difficilement ses contradictions.

Bien que « démocratiquement » élu à la tête de son pays en septembre dernier, le Rwandais Paul Kagamé tarde encore à prendre des bonnes habitudes : il continue d’amasser des troupes sur le territoire congolais alors que le processus de normalisation entrepris à Kinshasa suit son cours. C’est comme s’il oeuvrait discrètement en vue de son échec. La présidentielle ne s’étant pas très bien passée, contrairement à l’optimisme qu’il affiche auprès des partenaires occidentaux du Rwanda, il doit faire, désormais, face au mécontentement des officiers qui n’ont plus la main-mise sur le sous-sol congolais qu’ils exploitaient à leur guise, pendant l’occupation. Même s’il a gardé la haute main sur cette armée, il ne peut se permettre de faire face à deux niveaux de contestation en même temps, l’autre étant le terrain politique où son principal rival lors de la dernière présidentielle, Faustin Twagiramungu, qu’il accusa naguère de « divisionnisme », craint pour sa vie, pour la simple raison qu’il a aidé l’opinion à montrer son vrai visage et celui de son parti, le FPR. Ancien président de la République, Pasteur Bizumungu se retrouve en prison pour avoir critiqué les « méthodes » de Paul Kagamé et du FPR. Alors qu’il fut considéré pendant longtemps comme le faire-valoir des Tutsi au pouvoir, ce Hutu modéré s’est vu aussi accuser de « divisionnisme » par Paul Kagamé quand il a tenté de mettre sur un pied son propre parti politique. Un crime de lèse-majesté en quelque sorte. Il en est de même de Pierre Célestin Rwigema, un autre ancien premier ministre, lui aussi hutu modéré, qui a demandé et obtenu l’exil aux Etats-Unis. Ayant vu de très près la vraie nature du pouvoir FPR, il avait choisi lui-même de démissionner et de quitter immédiatement le pays. Paul Kagamé est-il donc si insupportable ? Selon les Rwandais dont les langues commencent à se délier progressivement, cette question n’est même plus à poser. Il a accepté le multipartisme, contraint et forcé, du bout des lèvres, mais il gère le Rwanda comme si le FPR était encore dans le maquis.

Connaissant le sort qui pourrait lui être réservé si jamais il perdait le pouvoir (il est en fait accusé d’avoir tiré sur le Falcon qui transportait les présidents rwandais et burundais, acte qui a entraîné le génocide quand les extrémistes du camp Habyarimana ont compris que leur chef était assassiné et que le FPR campait dans les faubourgs de Kigali. L’ancien procureur Carla Del Ponte a été limogé suite aux pressions faites sur Kofi Annan par Paul Kagamé qui redoutait certaines révélations suite aux enquêtes que l’ancien procureur avait diligentées à cet effet), il essaie d’étouffer la vie politique alors qu’il fait semblant de la libéraliser (la présidentielle de septembre n’a été organisée que parce qu’il a volontairement cédé à d’amicales pressions américaines), il n’arrive pas encore à tolérer une presse libre de peur d’avoir à se justifier sur certains de ses « écarts ». Bref, tout en étant le véritable homme fort du pays, on peut dire que Paul Kagamé vit à l’étroit parce qu’il se rend compte que son passé (de terroriste) est en train de le rattraper doucement mais sûrement.

Ses adversaires disent qu’il va jusqu’à craindre sa propre silhouette.

Melchior Ngatiyamanangabo

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