ZONE FRANC : A quand la rupture totale ?

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Michel Sapin (notre photo), ministre français des Finances, a été reçu, hier, pendant une heure, au Palais de l’Unité (Présidence de la République du Cameroun), par Paul Biya, en marge de la réunion des ministres des Finances de la zone franc. Le Français s’y est pointé flanqué du directeur du Trésor français. Il a reçu une médaille et quelques présents, et en retour, a beaucoup parlé coopération sur fond de rivalité chinoise. Les Français sont à la traîne au Cameroun. Dans tous les domaines, y compris, celui de l’aide militaire en vue de combattre Boko Haram. Et ce n’est pas Vincent Bolloré, lui, aussi, reçu, il y a deux jours, par le même Paul Biya, qui pourra dire le contraire, malgré les avantages que ses entreprises bénéficient au Cameroun. Dans tous les secteurs de l’économie.

Après avoir peiné à construire le second pont sur le Wouri, à Douala, la France va convertir pour les cinq années qui viennent, 600 millions d’euros de crédits (390 milliards de F CFA) en réalisations infrastructurelles de toutes sortes. Pour Paris, c’est un record. Alors que pour les Chinois, c’est des broutilles. On comprend que pour réussir son (actuel) septennat dit des « Grandes Réalisations », le président camerounais, ait, logiquement, fait appel à ceux qui avaient la capacité à l’y accompagner : les Chinois avant tous les autres.

Quand le Cameroun analyse des offres des partenaires financiers, l’AFD (Agence française de développement), hier, souveraine et prépondérante, fait, aujourd’hui, figure d’institution tiers-mondiste, incapable de suivre le rythme des besoins de son partenaire au développement.

Cela dit, Michel Sapin a bien mérité sa médaille à Etoudi (Palais présidentiel) car il en a eu une. On est (très) content pour lui.

Le véritable plat de résistance, pour le ministre français, c’est le Sommet sur la zone franc. Y en a marre du F CFA, cette monnaie coloniale, qui malgré le bien qu’elle aurait fait pour l’Afrique, cache le mal qu’elle continue à faire subir aux économies africaines. Le F CFA n’étant pas une affaire de sentiment de Paris à l’endroit des pays francophones d’Afrique, on l’aurait su si, en intégrant la zone euro, la France avait accepté de se délier de cette « charge tutélaire monétaire » en cédant toute cette architecture monétaire à la Banque centrale européenne. Que non ! La France a bien rejoint la zone euro et transmis tous les mécanismes de gestion de sa monnaie (le Franc) à la Banque centrale européenne. Mais pour ce qui concerne le F CFA, elle a refusé un tel transfert qu’elle a, soigneusement, gardé par devers elle, au sein de sa direction du trésor. A-t-on besoin de faire Sc-Po pour savoir ce qu’un tel refus suggère ?

Le F CFA est un outil de contrôle rigide (certains diront « outil de brimade ») de Paris sur les économies francophones d’Afrique. Ceux des pays africains qui gèrent des monnaies nationales ne s’en sortent pas plus mal que les pays membres de la BCEAO (Afrique de l’Ouest) et de la BEAC (Afrique centrale). Les 50%, voire, plus, que le Trésor français retient pour permettre la convertibilité du F CFA à l’endroit d’autres monnaies, représentent des sommes d’argent colossales, qui servent, avant tout les intérêts français. C’est une manne très bien venue par ces temps de grande difficulté de l’économie française, incapable de respecter les critères de convergence édictés par Bruxelles. Que personne, à Paris, ne dise le contraire aux Africains.

A la sortie de son audience chez le président camerounais, hier, Michel Sapin a récité la leçon que répètent les dirigeants français à qui la question est, souvent, posée : « La France est ouverte à toute évolution de la zone franc. Toute décision sur la zone franc relève des pays africains et ce n’est pas à nous de dire aux Africains ce qu’ils doivent faire de cette monnaie ». Bien sûr que oui ! Michel Sapin sait bien que les choses ne sont pas si simples. Chaque président africain à qui cette question est posée, préfère botter en touche. Un seul, le Tchadien, Idriss Déby Itno, a eu le courage de poser cette question qui fâche l’année dernière. Il n’en est pas mort. C’est la preuve que les autres présidents africains devraient cesser d’avoir peur.

Que doit (peut) on faire ?

Si on veut éviter la rupture totale, il faut, au moins, changer les règles de fonctionnement de la zone franc et cesser cet anachronisme du compte d’opération et de gestion de banques centrales par un trésor public, fût-il français.

Mieux, il faut que les pays de la BCEAO et de la BEAC fassent une rupture totale et créent leur propre monnaie, sans laquelle, il n’y a pas de souveraineté, quoi qu’on dise. Pour y parvenir, ce n’est pas, d’abord, une affaire d’économie, mais, c’est, avant tout, une question de courage politique. Et rien d’autre.

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