COTE D’IVOIRE : Une très (très) grande exigence de vérité (même celle qui fait mal) pour la Conférence épiscopale

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Depuis le 19 mai 2025, les évêques catholiques de Côte d’Ivoire sont réunis au centre Jean-Paul Ier de Kodjoboué, dans le diocèse de Grand-Bassam, pour leur 127e Assemblée plénière qui s’achèvera, le dimanche 25 mai.

A la messe d’ouverture de cette Assemblée, Mgr Marcellin Yao Kouadio, évêque de Daloa et président de la Conférence épiscopale ivoirienne, a présenté la redevabilité (accountability en anglais) comme une exigence valable pour tous : diacres, prêtres et évêques. La notion de redevabilité ou obligation de rendre compte est un fondement essentiel de la démocratie et de la gouvernance éthique. Elle engage les responsables, qu’ils soient politiques ou religieux, à justifier leurs décisions, leurs actions et à assumer leurs responsabilités devant le peuple et, dans le cas des autorités ecclésiales, devant le Peuple de Dieu. En Côte d’Ivoire, pays en pleine reconstruction après des années de crise sociopolitique, cette exigence devient plus que jamais une urgence, tant pour renforcer la cohésion sociale que pour bâtir une nation équitable et prospère.


Dans une démocratie, le peuple est souverain parce qu’il délègue le pouvoir à des hommes et femmes appelés représentants pour un temps limité (4, 5 ou 7 ans). Ces représentants doivent rendre compte, non plus, devant la raison comme l’écrit Emmanuel Kant dans « Vers la paix perpétuelle » (1795), mais, au peuple de leur gestion des ressources publiques, de leurs politiques et de l’impact de leurs décisions (cf. Jean-Jacques Rousseau, “Du contrat social”, 1762). Jean-Paul II abonde dans le même sens lorsqu’il appelle à une gouvernance responsable et à la transparence dans la gestion de la chose publique (cf. ”Centesimus annus”, 1991).


Si les gouvernants refusent de rendre compte, alors le peuple est en droit de se dresser contre eux et de leur tenir tête (cf. John Locke, « Traité du gouvernement civil », 1690).


L’église, qui ne vit pas en dehors mais dans la société, ne saurait se soustraire à cette exigence de redevabilité. Voilà pourquoi le pape François estimait que « l’autorité, tant politique qu’ecclésiale, doit être exercée dans la transparence et la responsabilité ». Voilà pourquoi il plaidait pour une église synodale où les responsables rendent compte au peuple de Dieu. (cf. « Fratelli tutti », 2020).


En Côte d’Ivoire, le manque de transparence, les détournements de fonds publics jamais punis et le rattrapage ethnique affaiblissent la confiance du peuple envers ses institutions : La redevabilité permettrait de restaurer cette confiance, de prévenir les abus de pouvoir et de renforcer la légitimité des dirigeants.


La corruption, qui ne se cache plus, demeure un fléau, selon l’ONG Transparency International. Rendre compte implique pour les ministres, députés, maires et autres responsables d’expliquer l’utilisation des budgets alloués, de justifier les choix politiques et de soumettre leur gestion à des audits publics. Cela inclut aussi une presse libre et des institutions de contrôle indépendantes, comme la Cour des comptes ou la Haute autorité pour la bonne gouvernance.


Les responsables religieux, notamment, dans un pays où le christianisme a une forte influence, ne sont pas exempts de l’obligation de rendre compte. En tant que guides spirituels, ils ont un devoir de transparence dans la gestion des ressources de l’église (offrandes, dons, legs, projets sociaux), mais aussi, dans leur rôle de médiateurs sociaux. Quand l’église est silencieuse face à l’injustice, à la caporalisation des médias d’Etat, à la radiation fantaisiste des candidats sérieux et aux 3e et 4e mandats anticonstitutionnels, quand l’amour de l’argent la rend complice de pratiques douteuses, elle perd sa crédibilité.
Dans les évangiles, le Christ n’a pas uniquement enseigné l’humilité et le service désintéressé (Mt 23, 11). Il a également dit à Pilate qu’il est venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité (Jn 18, 37). Si cela appelle évêques et prêtres à ne pas sacrifier la vérité sur l’autel d’intérêts matériels sordides, il s’agit aussi pour eux de mettre en œuvre une gestion participative, juste et humble. Rendre compte, pour eux, c’est aussi faire preuve d’humilité, reconnaître leurs erreurs, consulter les fidèles dans la prise de décisions et ne pas s’enfermer dans des logiques de pouvoir (cf. Jean-Marc Ela, « Ma foi d’Africain », Karthala, 1985).


Instaurer une culture de la redevabilité passe par une éducation à la citoyenneté. Les citoyens doivent être formés à demander des comptes, à exercer un contrôle démocratique sur leurs élus, à exiger la vérité de leurs pasteurs. L’église peut y jouer un rôle clé à travers des enseignements, des homélies engagées, et l’éducation civique dans les écoles catholiques (cf. Jean-Claude Djéréké, « Réflexions sur l’Église catholique en Afrique », L’Harmattan, 2015).


L’Etat et les institutions religieuses peuvent collaborer pour renforcer la cohésion sociale et promouvoir une culture de l’intégrité. Cela inclut des programmes conjoints de lutte contre la corruption, de promotion de la paix, ou d’accompagnement des jeunes. Mais, cette coopération n’a de sens que si chaque partie rend compte de ses actes et respecte ses engagements devant le peuple.
Dans une Côte d’Ivoire en quête de stabilité et de justice, la redevabilité doit devenir un pilier de la gouvernance tant politique qu’ecclésiale. Les responsables doivent comprendre que leur autorité ne leur confère pas un pouvoir absolu, mais, une mission de service. En rendant compte, ils consolident la confiance, favorisent la paix sociale et répondent à l’appel à la vérité et à la justice inscrit dans toute conscience humaine et dans l’évangile.

Jean-Claude Djéréké
est professeur de littérature africaine à l’Université de Temple (Etats-Unis).

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