Depuis l’accélération de la fin de la domination occidentale en Afrique, la Russie et la Chine sont les deux nations systématiquement citées. Toutefois, si la Chine a su s’imposer sur le plan commercial (aidée souvent en cela par le faux), et la Russie sur le volet sécuritaire, il serait incorrect de minimiser la présence de la Turquie sur le continent africain. Habitée par une idéologie souverainiste, la Turquie fait aisément figure de troisième puissance émergente dont la politique étrangère africaine nourrit de très grandes ambitions. La récente visite du premier ministre du Sénégal, Ousmane Sonko, à Ankara, en est la confirmation.
Recep Tayyip Erdogan n’est pas un saint. Loin de là ! Mais, ce n’est pas ce qui empêche les gouvernements africains à le solliciter, en particulier, ses homologues de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), avec qui les relations sont idéales. Grand adepte de la discrétion, le président turc échappe, à merveille, aux critiques qui pleuvent sur ses alliés russe et chinois, compte tenu de leur offensive sur les anciens pré-carrés des puissances coloniales d’antan. Pourtant, Erdogan n’est pas bien différent de Xi Jinping, ni de Vladimir Poutine en termes de primauté des intérêts.
Au terme du voyage officiel du premier ministre sénégalais, qui s’est achevé ce 12 août, le dirigeant turc a, personnellement, raccompagné son invité de marque jusqu’à son avion, lui témoignant ainsi le genre de reconnaissance que l’Afrique toute entière souhaiterait voir l’ensemble de ses partenaires commerciaux lui donner (sur notre photo, le président turc raccompagne le premier ministre sénégalais jusqu’au pied de l’avion). Après avoir signé une série d’accords pour porter les échanges commerciaux entre les deux nations à un milliard de dollars d’ici 2026, Erdogan a joué le coup à fond face à Sonko, qui, du reste, a dû apprécier.
Il n’est donc pas surprenant que la Turquie soit aimée des juntes du Sahel, et y soit devenue l’un des leurs partenaires les plus stratégiques. En effet, partageant l’esprit souverainiste de ses confrères burkinabè, malienne et nigérienne, Ankara a su imposer sa patte grâce à une double diplomatie des affaires et des drônes. Par exemple, les tensions qui se sont ravivées, ces derniers temps, entre le Mali et l’Algérie, ont résulté de la destruction, par l’armée de cette dernière, d’un drône de reconnaissance d’origine turque.

Si Recep Tayyip Erdogan a su séduire les très méfiants leaders militaires du Sahel, ce n’est pas le binôme Bassirou Diomaye Faye-Ousmane Sonko qui pouvait lui résister. Le duo de dirigeants sénégalais étant bien décidé à relancer son économie, sans alourdir les comptes publics. Des investisseurs turcs auraient déjà prévu d’y injecter 9 milliards de dollars via des solutions de financements de type partenariat public-privé ou directs. La Turquie rêvait d’une occasion pour s’affirmer ouvertement en Afrique. Voyons voir si elle la saisit.
Paul-Patrick Tédga
MSc in Finance (Johns Hopkins University – Washington DC)