Une candidature inattendue mais calculée
Alassane Ouattara avait pourtant été clair un jour : « Si Bédié et Gbagbo se présentent, je me présenterai aussi. » Cette phrase, que beaucoup avaient perçue comme une simple bravade, s’est révélée être une annonce déguisée. Ouattara est bel et bien candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2025, et cette décision suscite une vague d’interrogations, de colère et de mécontentement.
En décidant de briguer un quatrième mandat (notre photo), Ouattara semble s’être engagé sur un terrain dangereux, aussi bien, sur le plan politique que sur celui de la légitimité constitutionnelle. Déjà, en 2020, sa candidature à un troisième mandat avait provoqué des violences ayant causé, au moins, 83 morts. Aujourd’hui, c’est une nouvelle crise qui s’annonce, potentiellement, encore plus grave.
Le Signal de Yopougon
Le 9 août 2025, la commune populaire de Yopougon a été le théâtre d’un soulèvement massif à l’appel conjoint du PPA-CI de Laurent Gbagbo et du PDCI de Tidjane Thiam. Ce jour-là, le peuple est descendu dans la rue, non seulement, pour dénoncer la candidature jugée illégitime d’Alassane Ouattara, mais aussi, pour protester contre la radiation de quatre grandes figures de l’opposition : Laurent Gbagbo, Guillaume Soro, Tidjane Thiam et Charles Blé Goudé.
Ce que ce soulèvement révèle, c’est que les Ivoiriens se sentent dépossédés de leur droit fondamental de choisir librement leurs dirigeants. Lorsque toutes les issues institutionnelles sont verrouillées, la rue devient l’unique espace d’expression politique. Et c’est précisément ce que Ouattara a sous-estimé : la capacité du peuple à reprendre la parole par la mobilisation populaire.

Deux décisions aux conséquences lourdes
Les deux fautes majeures commises par le président Ouattara sont donc claires :
*Sa décision de briguer un quatrième mandat, en violation apparente de la Constitution.
*L’exclusion des principaux leaders de l’opposition du processus électoral.
En agissant ainsi, Ouattara a, non seulement, renforcé l’image d’un président accroché au pouvoir, mais, il a, aussi, offert une unité nouvelle à une opposition pourtant fragmentée. Une opposition privée de ses figures charismatiques devient, paradoxalement, plus dangereuse, car elle se recentre autour d’un objectif commun : faire tomber le régime.
Une lecture stratégique différente aurait pu permettre à Ouattara de sortir par la grande porte. S’il avait choisi de ne pas se représenter et avait autorisé un jeu politique ouvert, il aurait pu se présenter en démocrate respectueux des institutions. Mais, en écartant les adversaires les plus sérieux et en occupant, seul, le centre du jeu politique, il a donné l’image d’un homme isolé, replié sur lui-même et inquiet de sa propre succession.
Un piège tendu par Gbagbo ?
Laurent Gbagbo n’a jamais été un acteur politique banal. En annonçant sa candidature en premier, il savait probablement ce qu’il faisait : provoquer Ouattara et l’amener à faire un faux pas. En répondant à l’appel de Gbagbo par une candidature controversée, Ouattara est tombé dans le piège. Il s’est mis en porte-à-faux avec une Constitution qui limite le nombre de mandats à deux.
Gbagbo, de son côté, a renforcé sa stature d’opposant crédible et de porte-voix du peuple. En plaidant pour la candidature de Guillaume Soro, il a aussi semé la confusion dans les rangs du pouvoir, qui s’est vu obligé de prendre des mesures de sécurité accrues, redoutant une tentative de coup de force. Or, selon certains analystes, cette menace de Soro n’était qu’une diversion. Car l’arme véritable de Gbagbo n’est pas un putsch militaire, mais, la rue. Une rue qui, depuis plusieurs semaines, ne cesse de gronder.
Le spectre des révolutions africaines
Ce n’est pas la première fois en Afrique qu’un peuple se soulève pour dire « non » à un président qui refuse de quitter le pouvoir. Robert Guéï en Côte d’Ivoire en 2000, Zine Abidine Ben Ali en Tunisie en 2011, Blaise Compaoré au Burkina Faso en 2014, Ibrahim Boubacar Keïta au Mali en 2020 : Tous ont été renversés par la pression populaire. Ouattara pourrait-il être le prochain sur la liste ?
Les manifestations de plus en plus intenses montrent que la Côte d’Ivoire entre dans une phase de tension aiguë. Si la rue prend le dessus, si les manifestations parviennent à paralyser le pays, alors le scénario d’un départ contraint du président Ouattara ne serait pas à exclure. Et, dans ce cas, Laurent Gbagbo apparaîtrait comme le grand stratège de l’échiquier politique ivoirien, celui qui aura su jouer avec finesse pour pousser son adversaire à la faute.

Conclusion
Alassane Ouattara est aujourd’hui à la croisée des chemins. Les deux fautes qu’il a commises — sa candidature jugée illégale et l’exclusion de ses principaux opposants — pourraient être fatales à son régime. Il pouvait choisir la grandeur d’un retrait honorable. Il a préféré la confrontation. Il pouvait jouer la carte de l’ouverture démocratique. Il a opté pour la fermeture autoritaire. Le peuple, quant à lui, semble décidé à ne plus subir. Il reprend la parole, dans la rue, dans les quartiers, dans les médias. Et l’histoire récente du continent africain montre que, face à une mobilisation populaire massive, même les régimes les plus solides peuvent vaciller.
Le génie politique de Gbagbo est peut-être de retour. Mais c’est le temps — et le peuple — qui trancheront.
Jean-Claude DJEREKE
Est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).