La semaine qui vient de s’écouler nous aura apporté beaucoup d’enseignements. Oublieux du fâcheux antécédent du piétinement de la décision du Conseil constitutionnel à l’occasion de l’élection présidentielle de 2010, nous avons revisionné avec effarement et amertume, à gauche comme à droite, le film des ambitions irréalistes, des coups bas, des rancunes personnelles, des plans machiavéliques de notre « état de nature » – le vrai –, celui des grands loups-garous de notre jungle politique, ramenant au-devant de la scène tout l’arsenal de guerre d’il y a quinze ans.
Suicide politique tous azimuts de tous ceux dont le sommeil est hanté par l’existence même de l’autre. Nous attendons toujours que quelqu’un nous montre une petite parcelle d’Homme d’Etat (sur notre photo, le père de la Côte d’Ivoire moderne Félix Houphouët-Boigny).
« Homo homini lupus » (L’homme est un loup pour l’homme) avait écrit Plaute, le
dramaturge latin, et cette phrase avait été reprise, d’abord comme épître dédicatoire Du
citoyen (1641), puis argumentée plus tard dans le Léviathan (1651) par Thomas Hobbes.
Dans l’état de nature, il y a une absence totale de contraintes extérieures et, par
conséquent, il n’y a pas de règle en dehors des seuls droits naturels qui priment ; c’est-à-
dire, le droit de se nourrir, le droit de se défendre, et une liberté naturelle. Et même si
cela ne relève pas toujours d’une réalité historique, l’état de nature est un état dans
lequel les hommes sont asociaux. Ainsi défini, l’état de nature donne une vision
particulièrement pessimiste de l’homme, celle d’un être sans scrupules, agissant
uniquement pour lui et pour lui seul, au détriment de ses semblables.
Serions-nous tombés si bas ? Agissons-nous uniquement pour nous-mêmes ? Quels
progrès de société avons-nous accompli depuis 1993 ? Combien de temps encore allons-
nous vivre dans cet « état de nature », dans cet état d’angoisse, dans un pays où les
hommes politiques souhaitent que le citoyen lambda vive dans une société protégée par
des lois, pendant qu’eux-mêmes vivent au-dessus de ces lois et hors de la société, dans
un « un état de guerre de tous contre tous » ?
Dans le Léviathan, Hobbes ne faisait rien d’autre qu’un plaidoyer pour éclairer ses
contemporains sur l’importance de construire un pouvoir politique, afin de sortir le
peuple de l’état de nature ; c’est-à-dire, mettre en place des institutions qui empêchent
le peuple de se comporter et d’agir comme il veut, comme des loups. Et pour cela, le
peuple doit se dessaisir de sa liberté naturelle et de son autonomie pour les transférer à
l’Etat ; en d’autres termes, passer un « contrat social », car quand personne n’est là pour
le contrôler, le peuple est en danger permanent pour et contre lui-même. Au lieu d’obéir
à la loi de la nature, à la loi du plus fort, il doit obéir aux lois de l’Etat de droit et cesser
de soumettre les autres à la violence et d’être lui-même soumis à la violence. Ainsi, le
peuple devient libre et civilisé. Si la guerre est courante à l’état de nature, la paix est une
preuve de civilisation.

Mais attention ! Le Léviathan ne dit pas que le pouvoir politique est au-dessus des lois et
qu’il est mis en place pour « mater des meutes de loups ». Il s’agit plutôt d’obéissance
que de servitude ; parce que le contrat social n’implique pas que l’on renonce à tout. Le
droit de résistance des peuples demeure inaliénable et s’affirme chaque fois que les
hommes politiques se croient omnipotents et violent les lois qu’ils ont édictées eux-
mêmes. Sans Etat et sans lois, il est impossible d’avoir la paix ; et ceux qui se croient au-
dessus des lois ou qui rusent avec les lois doivent faire attention au retour du bâton.
Paulin G. Djité, Ph.D., NAATI III, AIIC
Chevalier dans l’Ordre des Palmes Académiques