« Quand on va à des élections, c’est pour gagner, et je vais gagner. J’en ai les capacités, j’en ai la conviction. » C’est ainsi que Simone Ehivet, figure emblématique de la scène politique ivoirienne et présidente du Mouvement des générations capables (MGC), a récemment exprimé son intention de briguer la magistrature suprême lors de l’élection présidentielle du 25 octobre 2025. Cette sortie publique envoie un message clair : Simone n’est pas là pour faire de la figuration. Elle veut conquérir le pouvoir, elle pense pouvoir le faire et elle veut que les électeurs le croient aussi.
Mais, au-delà de cette assurance affichée, une question se pose : Qu’est-ce qui a changé ? Quelques semaines auparavant, cette même Simone affirmait que, même si l’opposition présentait un candidat unique, elle perdrait, à cause d’un contexte électoral jugé inéquitable : Découpage électoral controversé, listes électorales non révisées, Commission électorale indépendante (CEI) partiale. Des griefs qui avaient, jusque-là, justifié la méfiance de l’opposition quant à sa participation au scrutin. Alors, à quel moment la donne a-t-elle changé pour que Simone Ehivet décide, non seulement, de participer, mais aussi, d’affirmer qu’elle gagnera, avec une telle certitude ? L’argumentaire du MGC sur le retour aux valeurs fondamentales est louable, mais, la cohérence ne devrait-elle pas être la première de ces valeurs ?
L’épreuve de la cohérence
En politique, la cohérence est une denrée rare mais précieuse. Elle est le ciment de la crédibilité, le lien entre le discours et l’action. Lorsqu’un leader politique affirme une chose aujourd’hui et en fait une autre demain, il prend le risque d’éroder la confiance que le peuple place en lui. Dans le cas de Simone Ehivet, il est légitime de se demander ce qui justifie ce revirement stratégique. Est-ce un changement réel de contexte électoral dont le public n’aurait pas été informé ? Y a-t-il eu des concessions ou des réformes discrètes sur le découpage, les listes ou la CEI ? Si tel est le cas, où sont les preuves ? Où sont les communiqués, les décisions officielles ou les décrets modifiant les conditions que l’opposition jugeait inacceptables il y a encore quelques semaines ? En l’absence d’explications claires, ce changement de position donne l’impression d’un calcul politique, voire, d’une improvisation. Certes, la politique est l’art de s’adapter, de manœuvrer et de saisir les opportunités, mais, il y a une frontière entre la flexibilité stratégique et l’incohérence. Le MGC se présente comme un parti porteur de renouveau, prônant des valeurs comme l’intégrité, le courage, la vérité. Très bien. Mais, ces valeurs doivent, aussi, se refléter dans les actes. Une candidature affirmée sans cohérence risque de ressembler à une posture de communication, et non à un véritable projet de société.

Le peuple face aux contradictions
L’enjeu dépasse la seule personne de Simone Ehivet. Il concerne une réalité plus large de la politique ivoirienne (et même africaine) : Cette tendance chez certains acteurs à dire une chose et à faire son contraire. Aujourd’hui, on conteste le processus électoral ; demain, on y participe pleinement. Aujourd’hui, on rejette une réforme ; demain, on la soutient si elle sert nos intérêts. Ce jeu de doubles discours, répété, contribue à une désillusion profonde du peuple vis-à-vis de sa classe politique. Comment le peuple peut-il croire et s’engager aux côtés de leaders qui se démentent eux-mêmes ? Pourquoi croire un message aujourd’hui, si l’on sait que demain, il pourrait être remplacé par un autre, contradictoire, sans explication ? La conséquence de ces revirements est connue : Le désintérêt du citoyen, l’abstention massive, le scepticisme politique, et parfois même, la radicalisation. Si les discours politiques deviennent imprévisibles et déconnectés de la réalité, c’est la démocratie elle-même qui vacille. Pour regagner la confiance du peuple, les responsables politiques doivent faire un choix clair : Celui de la transparence, de la constance, de la pédagogie. Le peuple est prêt à entendre que des stratégies évoluent, mais, il exige des justifications honnêtes, des explications rationnelles, pas des slogans sans ancrage.

Gagner, oui, mais à quel prix ?
Vouloir gagner une élection est légitime. Encore faut-il que cette victoire s’inscrive dans une logique cohérente et transparente. Si le MGC veut vraiment être un parti porteur de valeurs, il lui faut commencer par appliquer ces valeurs à sa propre stratégie. Le peuple ivoirien n’est pas dupe ; il regarde, analyse, compare. Il a besoin de repères stables, pas de discours à géométrie variable. Alors, la vraie victoire ne réside-t-elle pas d’abord dans la réconciliation entre la parole et l’acte, entre la stratégie politique et les principes affichés ? Une élection peut se gagner sur un discours, mais, un pays ne se reconstruit que sur la confiance.
Jean-Claude DJEREKE
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).