A l’approche des échéances électorales, l’espace public marocain se trouve marqué par une intensification des discours, des controverses et des stratégies de communication. Cette effervescence est caractéristique des périodes préélectorales, où les acteurs politiques cherchent à réaffirmer leur présence symbolique et à infléchir les perceptions collectives. Dans ce contexte, plusieurs événements récents illustrent la manière dont les logiques médiatiques, numériques et politiques s’entrecroisent pour produire de nouveaux modes de mobilisation de l’opinion.
Instrumentalisation des controverses médiatiques
L’affaire portant sur la diffusion d’extraits d’une vidéo relative aux travaux du Conseil national de la presse (CNP) constitue un exemple représentatif de la « politisation des incidents » (Goffman, 1974) qui accompagne les cycles électoraux. Bien que les détails de l’affaire n’aient pas été établis de manière exhaustive, sa mise en circulation rapide sur les réseaux sociaux a contribué à en faire un objet d’appropriation symbolique pour divers acteurs.
L’allégation, relayée par le journaliste concerné, d’une humiliation d’un député par un membre du gouvernement lors d’une altercation parlementaire illustre la manière dont les interactions institutionnelles peuvent être réinterprétées dans un registre émotionnel, favorisant ainsi une lecture dramatique des rapports de pouvoir. Ce type d’événements révèle un déplacement du centre de gravité de la communication politique : Du débat programmatique vers la gestion de micro-crises médiatisées, où l’enjeu n’est plus tant la vérification des faits que la conquête de visibilité et la capacité à s’inscrire dans la dynamique des flux informationnels, (sur notre photo. le parlement marocain).
Hybridation des légitimités et nouveaux entrepreneurs religieux du numérique
Parallèlement, on observe l’émergence et la consolidation d’un ensemble d’acteurs se présentant comme prédicateurs ou conseillers religieux, souvent, dépourvus de formation institutionnelle reconnue. Leur présence croissante sur les plateformes numériques s’explique par ce que Cardon (2010) décrit comme une « économie de l’attention », où la capacité à générer de l’engagement devient une forme de capital social convertible en ressources économiques et symboliques.
Dans le contexte marocain, ces acteurs opèrent à l’intersection de trois registres :
- le religieux, mobilisé comme source de légitimité morale ;
- le médiatique, où l’algorithme favorise les contenus à forte charge émotionnelle ;
- le politique, en raison de la sensibilité électorale des thématiques identitaires.
Ils contribuent ainsi à recomposer les formes traditionnelles de l’autorité religieuse en introduisant une logique de marché dans un domaine historiquement régulé par l’Etat et les institutions savantes.
Régulation morale informelle et construction des normes sociales
Une autre dynamique réside dans ce que certains observateurs qualifient de « campagne d’assainissement moral », visant des influenceurs accusés de produire des contenus jugés contraires aux normes familiales ou éducatives. Ce phénomène peut être interprété à la lumière des travaux de Douglas (1966) sur les « frontières morales », selon lesquelles les sociétés élaborent des mécanismes — formels ou informels — pour maintenir leurs catégories de pureté et d’impureté symboliques.
Dans le contexte des réseaux sociaux, la dénonciation publique opère comme un dispositif de régulation collective, où la sanction morale prend la forme d’une exposition numérique, d’un appel au boycott ou d’une stigmatisation coordonnée. Ce processus reflète les tensions contemporaines entre valeurs traditionnelles, aspirations modernistes et affirmation individuelle, particulièrement, vives dans les sociétés en transition.

Conclusion : Un espace public en recomposition
Pris ensemble, ces phénomènes témoignent d’une recomposition profonde des modes d’expression politique et morale au Maroc. Les frontières entre information, opinion, mobilisation sociale et stratégie électorale apparaissent de plus en plus poreuses. Le numérique joue un rôle central dans cette transformation : Il accélère la circulation des controverses, amplifie les discours émotionnels, crée de nouvelles figures d’autorité et reconfigure les rapports entre institutions, acteurs politiques et citoyens.
Ce paysage en mutation appelle une analyse approfondie de la manière dont les dynamiques médiatiques influencent la formation du jugement politique, la légitimité des acteurs publics et les formes émergentes de participation ou de contestation à l’intérieur de l’espace public marocain.
Par Dr Lahcen Benchama





