AFRIQUE : Le Pape Nicolas V a-t-il autorisé l’esclavage des Noirs ?

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Aujourd’hui, nous commémorons le 566e anniversaire de la fameuse bulle du pape Nicolas V (1397-1455). Qu’est-ce qu’une bulle ? La bulle “Romanus Pontifex” visait-elle les Noirs ? Le Pape italien cautionna-t-il vraiment l’esclavage des Noirs ?

Les “intellectuels” africains, qui demandent aux Africains d’abandonner la religion catholique, avancent, entre autres arguments, l’idée que l’église catholique aurait autorisé, via le pape Nicolas V (Tommaso Parentucelli est son vrai nom) l’esclavage des Noirs. Nos recherches démontrent que la réalité est tout autre car, que ce soit dans “Romanus Pontifex” (8 janvier 1454) ou dans “Dum Diversas” (18 juin 1452), les deux bulles (une bulle étant un courrier par lequel le pape pose un acte juridique important) ne visaient pas les Noirs mais “toutes les personnes, considérées comme infidèles et ennemies du Christ”. Quels gens, à cette époque, étaient vus comme ennemis du Christ ? Les Sarrasins et les païens.

Le roi portugais Alphonse V voulait attaquer et soumettre ces derniers si le Siège apostolique l’y autorisait. La réponse de Nicolas ne tarda pas. Non seulement le Pape approuva le projet mais il concéda au roi “l’autorisation d’attaquer, de conquérir et de soumettre les Sarrasins, païens et autres infidèles ennemis du Christ, de s’emparer de leurs territoires et de leurs biens, de soumettre leur personne en perpétuelle servitude et de transmettre ces territoires et biens à ses successeurs ». Le terme “Sarrasin” désignait les musulmans d’Orient, d’Afrique ou d’Espagne au Moyen-Age et non les Africains car ceux-ci étaient plutôt présentés par la bulle “Romanus Pontifex” comme « des peuples gentils ou païens nullement infectés par la secte de l’abominable Mahomet » (A. Quenum,, “Les églises chrétiennes et la traite atlantique du XVe siècle au XIXe siècle”, Paris, Karthala. 1993).

Pourquoi le pape donna-t-il son feu vert pour que les musulmans soient attaqués et soumis ? Parce que l’Occident chrétien était confronté à un islam aussi violent et aussi conquérant que l’était le christianisme pendant les croisades au Moyen-Age, surtout, à l’Est où les Turcs s’étaient emparés de Constantinople en 1453.

Comme l’a bien perçu feu Alphonse Quenum, c’est la lutte contre cet islam belliqueux et conquérant qui poussa le pape Nicolas V à concéder au roi Alphonse le droit de conquête (A. Quenum, Op. cit.)
L’historienne, Hélène Vignaux, abonde dans le même sens quand elle écrit : «  Nous ne pensons pas que ce bref ait voulu constituer une constitution générale de légitimation de l’esclavage. A notre avis, la rédaction de ce texte fut très maladroite comme l’indique la rectification qui y fut apportée l’année suivante par le même Nicolas V, qui excluait formellement que les Noirs puissent être réduits en esclavage. Nous pensons également que le document ainsi rectifié ne prévoyait l’asservissement par les Portugais des Noirs non baptisés que parce que ces derniers étaient eux-mêmes sujets de seigneur mahométans, donc « infidels. » Vignaux poursuit : “Les Noirs non baptisés n’étaient ainsi exclus du bénéfice de la liberté que parce qu’ils étaient les sujets des ennemis de la foi » (Hélène Vignaux, “L’église et les Noirs dans l’audience du Nouveau Royaume de Grenade”, Presses universitaires de la Méditerranée, 2009, pp. 33-83).

Quand le pape Nicolas parle de “Sarrasins, païens et autres ennemis du Christ à réduire en servitude perpétuelle”, on voit bien que le critère n’est pas racial mais religieux.

Cela dit, on peut admettre sans peine que des ordres religieux (Capucins, Dominicains, Jésuites, etc) prirent part à l’abominable commerce des esclaves et que des sanctions furent prises contre les rares ecclésiastiques qui y étaient opposés. C’est le cas des capucins Epiphane de Moirans et Francisco José de Jaca emprisonnés à l’hôpital de la Havane pour avoir condamné vigoureusement les chrétiens qui pratiquaient l’esclavage des Noirs (A. Quenum, Op, cit., p. 137).

De ce qui précède, il ressort la nécessité de distinguer deux choses : d’une part, le fait que Nicolas V ne donna pas au roi Alphonse l’autorisation de réduire les Noirs en esclavage et, d’autre part, la participation active de certains disciples du Christ en Occident à l’ignoble et honteux esclavage des Noirs. Ignoble et honteux car l’évangile enseigne que tous les hommes sont fils de Dieu et égaux devant Lui. Cette honte était bien perceptible dans le discours de Jean-Paul II pendant sa visite à la maison des esclaves de Gorée (Sénégal) le samedi 22 février 1992 lorsqu’il parlait d’injustice et de “drame de la civilisation qui se disait chrétienne”.

Quant à la thèse selon laquelle le christianisme empêcherait les Africains de se développer et que c’est en retournant aux religions de nos ancêtres que nous serons logés à la même enseigne que les Sud-Coréens, je suis loin de la partager pour deux raisons. La première, c’est que la Corée du Sud compte des chrétiens et pas seulement des Bouddhistes et des Hindouistes. Deuxièmement, je me dis que, si les religions de nos pères rendaient un pays riche et prospère, Haïti et le Bénin, où l’on trouve des adeptes du Vodun, ne seraient pas en train de “se chercher” comme plusieurs pays de l’Afrique francophone. A mon avis, les raisons pour lesquelles nous tournons en rond depuis 60 ans sont à rechercher ailleurs que dans la Bible qui ne prône ni le détournement des fonds publics, ni la paresse, ni le laisser-aller, ni la soumission à l’injustice ou à la dictature.

Aujourd’hui, Kigali, où habitent des chrétiens, est la ville la plus propre d’Afrique parce que Paul Kagame et ses compatriote se sont mis au travail; parce qu’ils détestent la saleté, le désordre, l’indiscipline, le farniente ; parce qu’ils ont eu le courage de prendre leurs distances avec la France, etc. Pendant ce temps, nous, les Africains francophones, avons peur de nous affranchir de cette France qui contrôle et pille nos économies et nous passons notre temps à accuser le christianisme de ceci ou de cela.

Jean-Claude DJEREKE
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).

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