BOKO HARAM : Abubakar Shekau « wanted » mort ou vif ?

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Les pays frontaliers du Lac Tchad, ont décidé d’entrer, en guerre, contre la secte Boko Haram. Les chefs d’Etat africains concernés ne pouvaient continuer de regarder leur peuple dans les yeux, alors que Boko Haram passe son temps à les défier, à les humilier. Les seuls communiqués de presse, sans cesse, démentis par les dures réalités du terrain des combats, ne suffisaient plus. D’autant plus que, plus les jours passent, plus les troupes nigérianes enregistrent de lourdes défaites, en abandonnant, dans leur fuite, entre les mains de l’ennemi, garnisons, positions stratégiques, avec tout ce qui va avec, c’est-à-dire, matériels roulants, armes de gros calibres, munitions de toutes sortes, etc.

Après avoir conquis le Nord-Ouest du Nigeria où Boko Haram cherche à installer un califat, il possède, désormais, une base arrière pour lancer des attaques dans les pays voisins. Le Cameroun est le premier à en souffrir, en attendant le tour du Niger et du Tchad : il ne se passe pas de jour, sans qu’il y ait une attaque d’envergure de cette nébuleuse, au Cameroun. L’armée camerounaise qui compte, officiellement, plus de 6.000 hommes dans l’Extrême- Nord (le double selon certaines indiscrétions), étirée sur une frontière de plus de 300 km (car on ne sait jamais de quel côté viendront les attaques) doit affronter des centaines de combattants aguerris, à chaque fois. Jusqu’à ce début de février, ces incessantes offensives de Boko Haram (qui frisent la folie), n’ont pas réussi à faire plier l’armée camerounaise, comme cela a été le cas, pour l’armée du Nigeria, pourtant, la plus forte du continent. Du moins, sur le papier. Et pour cause : pour y faire face, le président du Cameroun, Paul Biya, qui s’y connaît, parfaitement, en matière de défense et de sécurité, bien que civil, a envoyé, sur place, dans l’Extrême-Nord, ses unités les mieux entraînées. Il s’agit du BIR (Bataillon d’intervention rapide) qui, il y a quelques années, avait eu raison des pirates qui sévissaient dans le Golfe de Guinée, allant, même, jusqu’à favoriser certaines tentatives de coup d’état, comme, en Guinée équatoriale, en 2008. Le BIR a, finalement, réussi à sécuriser le Golfe de Guinée où le transport maritime s’effectue, aujourd’hui, dans le calme et la sérénité requises, alors qu’il y a quelques années, encore, chaque armateur devait s’entourer de mesures de sécurité exceptionnelle pour traverser cette zone, réputée très dangereuse. Preuve de ce succès, l’année dernière, le président de Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, avait dépêché, au Cameroun, une délégation de haut niveau dirigée par son ministre de la Défense, pour s’inspirer de la façon dont ce phénomène de pirates dans le Golfe de Guinée, avait été jugulé. C’est ce même BIR, dans sa version terrestre, qui a été envoyée à l’Extrême-Nord du Cameroun, l’année dernière. C’est lui qui tient tête aux assauts de Boko Haram, au point d’irriter son chef, le très illuminé, Abubakar Shekau.

Dans une vidéo revendiquant l’attaque sanglante contre la ville nigériane de Baga, début janvier, qualifiée de crime contre l’humanité, par Washington et Paris, pour avoir fait plusieurs centaines de morts, le chef de Boko Haram a évoqué, en termes méprisants, les présidents du Tchad, du Cameroun et du Niger, et les a menacés, ouvertement. A l’adresse du Tchadien, Idriss Déby Itno, qui a engagé près de 4.000 militaires de son armée, en janvier, au Cameroun contre les islamistes, il lance ceci : « Idriss Déby, les rois d’Afrique…, je vous défie de m’attaquer maintenant. Je suis prêt ». Il accuse, aussi, le président camerounais, Paul Biya, d’avoir « peur » et de « demander de l’aide » face à la multiplication des raids meurtriers de Boko Haram dans l’Extrême- Nord du Cameroun, frontalier des bastions nigérians des islamistes.

A l’adresse du Nigérien, Mahamadou Issoufou, il lance : « Tu vas voir. Président du Niger, tu vas voir. Tu fais partie de ceux qui sont allés compatir avec (le président français FrançoisHollande, le petit-fils de Charlie » Hebdo. Cette vidéo est une provocation primaire qui, tôt ou tard, se retournera contre son concepteur. Car les chefs d’Etat concernés ont été touchés dans leur amour propre. Ils ne peuvent plus tergiverser.

Le Niger a connu, les 17 et 18 janvier, de violentes émeutes contre la publication d’une caricature de Mahomet par l’hebdomadaire français, Charlie Hebdo, qui ont fait dix morts (cinq à Zinder et cinq autres à Niamey). 45 églises ont été incendiées dans le pays, à cette occasion dont la cathédrale de Zinder, la plus grande du pays, construite pendant la colonisation. Du jamais vu dans ce pays où l’on compte 98% de musulmans qui, de tout temps, ont, toujours, vécu, en par faite harmonie, avec les chrétiens. Les manifestants reprochaient, entre autres motifs, au président, Mahamadou Issoufou, d’être allé manifester, à Paris, et d’avoir déclaré : « Je suis Charlie » dans les médias français.

On a besoin de leur répondre « Et alors ? ». Mahamadou Issoufou n’est-il pas libre de dire et de faire ce qu’il veut, sans être enfermé dans des schémas djihadistes ? D’aucuns disent qu’à Zinder, flottait le drapeau noir (de Boko Haram), et que ces manifestations n’étaient pas spontanées. Comme quoi, le ver est dans le fruit. Si le Niger ne fait pas, encore, l’objet d’incessantes attaques comme le Cameroun, Boko Haram a, déjà, pénétré son tissu social. En attendant des attaques armées venant de la frontière avec le Nigeria, ses éclaireurs (militants infiltrés) n’attendent que des occasions pareilles de trouble pour semer le grand bazar.

Boko Haram n’a pas, encore, attaqué le Niger, mais, il contrôle une partie de la frontière entre ce pays et le Nigeria. Des milliers de réfugiés nigérians affluent, au Niger, et, selon des analystes, Boko Haram pourrait se servir des zones frontalières pour recruter des combattants et se fournir en armes et en ravitaillement.

L’attaque de Baga, base de déploiement d’une force régionale de lutte contre Boko Haram, début janvier, et plusieurs autres localités des rives du Lac Tchad, est « la plus grande et la plus destructrice » des six années d’insurrection de Boko Haram. Elle a fait « des centaines » de morts, voire, plus, selon Amnesty International. La procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, a annoncé « rassembler des informations » sur l’attaque car il s’agit d’un crime contre l’humanité. C’est le moins que la CPI puisse faire.

L’armée nigériane fait l’objet de critiques pour son inactivité et son incapacité à affronter Boko Haram. Très souvent, les combattants de cette nébuleuse ne font que ramasser la mise, sans combattre, après que les soldats de l’armée nigériane, aient fui, par fois, en troquant leur tenue contre des tenues de ville. Une coopération militaire avait été actée, fin 2014, entre les pays membres de la Commission du Bassin du Lac Tchad (qui comprend le Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Tchad). Mais la force régionale, composée de 700 militaires issus de chacun des quatre pays, ainsi que du Bénin, voisin du Nigeria, n’a jamais vu le jour.

La montée en puissance de Boko Haram traduit « notre lenteur et notre incapacité à lui opposer une réponse robuste », a observé le ministre nigérien des Affaires étrangères, Mohamed Bazoum, pour qui « la situation sécuritaire au Nigeria et dans le bassin du Lac Tchad s’est, considérablement, dégradée ». Cette insurrection a fait plus de 13.000 morts, au Nigeria, et 1,5 million de déplacés, depuis son début, en 2009. Que faut-il d’autre, pour montrer la gravité et l’urgence de la situation ?

Le gouvernement tchadien « exprime sa solidarité avec le Cameroun et est disposé à lui apporter un soutien actif dans la riposte courageuse et déterminée de ses forces armées aux actes criminels et terroristes de Boko Haram » dans un communiqué, intervenu juste après une rencontre, à N’Djamena, mercredi, 14 janvier, entre le président, Idriss Déby Itno, et le ministre camerounais de la Défense, Edgard Alain Mebe N’Go’o.

Le Tchad et le Cameroun sont tous deux pays frontaliers de la partie nord-est du Nigeria que Boko Haram contrôle en partie. Lundi, 12 janvier, d’intenses combats ont éclaté autour d’un camp militaire au Cameroun, opposant soldats camerounais à des centaines d’islamistes venus du Nigeria voisin. Selon plusieurs témoignages, ils étaient nombreux comme des mouches. On se demande quand la secte a-t-elle eu le temps d’enrôler autant de combattants ? Selon un décompte de l’armée camerounaise, « 143 terroristes » et un soldat, ont été tués tandis qu’un important arsenal de guerre a été saisi.

Déjà, et ce pour la première fois, le 28 décembre 2014, l’armée camerounaise avait utilisé son aviation pour repousser un millier de combattants (au bas mot) de Boko Haram, tuant, au passage, plusieurs dizaines d’entre eux. C’est, donc, dire que la secte commence à lancer des attaques d’envergure, qui entendent, par tous les moyens faire plier l’armée camerounaise, Shekau ayant, déjà, promis de faire mordre la poussière au président camerounais. Voilà pourquoi, « face à cette situation qui menace dangereusement la sécurité et la stabilité du Tchad et porte atteinte à ses intérêts vitaux, le gouvernement tchadien ne saurait rester les bras croisés », a poursuivi le communiqué du Tchad et de préciser : « Le Tchad appelle en outre tous les Etats de la sous-région, en particulier, les Etats membres de la CEEAC (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale) à soutenir le gouvernement camerounais, en vue de faire échec aux incursions déstabilisatrices de cette secte ». Et le gouvernement de conclure : « Le Tchad exhorte la communauté internationale à des actions concrètes et conséquentes en faveur du Cameroun et de tous les Etats riverains du Lac Tchad, en vue d’éradiquer ce fléau que constitue la secte Boko Haram ».

Au Cameroun, la passivité du Nigeria et de la communauté internationale face à la progression de Boko Haram est très critiquée, suscitant un sentiment d’isolement grandissant. Depuis des mois, le groupe islamiste multiplie les actions dans l’Extrême-Nord du Cameroun, entre pose d’explosifs, attaques de véhicules de transports en commun et de bases militaires, incendies dans les villages ou vols de bétail.

Le Tchad est, jusqu’à présent, épargné par les attaques de Boko Haram, mais, seule l’étroite bande de terre formée par l’Extrême-Nord du Cameroun (une cinquantaine de kilomètres) sépare N’Djamena de l’Etat nigérian de Borno, fief des islamistes. Autant dire que pour Idriss Déby Itno, plus qu’une affaire de solidarité entre pays frères, c’est une question de sécurité nationale, le Tchad étant ravitaillé grâce à cette bande d’Extrême-Nord, pour toutes sortes de denrées et produits.

Au Tchad, le péril vient, toujours, des frontières. Idriss Déby l’a expérimenté lorsqu’il a renversé Hissène Habré, en 1990, puis, lorsque lui-même, a failli être emporté par des rebelles venus des confins soudanais, en 2008. C’est cette même obsession de sécuriser les frontières pour étouffer, dans l’œuf, toute velléité de rébellion qui l’a amené à intervenir, à plusieurs reprises, en Centrafrique, depuis plus d’une décennie. Aujourd’hui, le péril Boko Haram est plus grand pour son régime que ne l’ont été les multiples rébellions centrafricaines, N’Djaména n’étant qu’à 50 kilomètres des fiefs nigérians de Boko Haram. C’est la raison pour laquelle l’Union africaine a entériné le transfert de l’état-major de la force régionale de lutte contre Boko Haram du Nigeria à N’Djamena, une décision prise lors de la réunion de crise, à Niamey, le 21 janvier.

Désormais, la tête d’Abubakar Shekau est mise à prix. Idriss Déby Itno le veut, mort ou vif, à N’Djamena. Petit à petit, la peur va changer de camp.

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