BURKINA FASO : Couper, et la tête, et la queue du serpent

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Que Gilbert Diendéré ait jeté l’éponge et que Michel Kafando ait retrouvé son fauteuil est indéniablement une bonne nouvelle, une très bonne nouvelle même, pour tous ceux qui avaient été attristés et meurtris d’apprendre que la transition burkinabè avait été brutalement interrompue par une bande de médiocres, mais cela ne signifie pas que tout est réglé, que le Burkina est complètement tiré d’affaire. Que faut-il faire?

Il convient de terminer le travail mais comment ? Le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) ayant été dissous, les putschistes doivent être arrêtés, jugés et sanctionnés comme le recommandent les lois burkinabè. Non seulement pour que cela serve de leçon à ceux qui préfèrent les coups d’état aux urnes, mais aussi, parce que ce serait la meilleure façon de montrer que les personnes, qui ont perdu la vie dans ce stupide et inutile coup d’état ne sont pas mortes pour rien.

Lors de son voyage dans la capitale burkinabè, Macky Sall avait prôné le pardon ; il avait proposé qu’on pardonne à Diendéré et à sa clique. Je lui réponds, aujourd’hui, que le pardon pourrait être accordé après que justice sera rendue car la justice doit faire son travail comme elle le fait si bien au Sénégal dans l’affaire Karim Wade accusé d’enrichissement illicite. C’est la même justice que recommande Dramane Ouattara en Côte d’Ivoire, sauf que la sienne, une justice aux ordres de l’exécutif, s’est intéressée à un seul camp depuis 2011. On s’attendait à ce que le sieur Ouattara exige que les putschistes soient jugés et qu’il condamne le coup de force puisqu’il se targue souvent d’être démocrate. Il ne l’a pas fait et ne le fera jamais parce que cela n’a aucune importance pour lui.

Ce qui importe au président de la communauté internationale, c’est la participation des partisans de Compaoré aux futures élections (présidentielle et législatives). Pourquoi ? Parce que, et point n’est besoin d’être devin pour le savoir, Dramane Ouattara ne peut gouverner en paix en Côte d’Ivoire que si un partisan de Compaoré est au pouvoir à Ouagadougou. Il est, dès lors, difficile de balayer du revers de la main l’argument selon lequel Ouattara a trempé dans le coup d’état du RSP. Difficile également de ne pas croire qu’il avait intérêt à ce que les rênes du pouvoir soient tenues par Diendéré ou par le CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès), le parti de celui qui a trouvé refuge en Côte d’Ivoire après avoir essayé de la détruire.

Les Burkinabè iront-ils dans le sens souhaité par nous ? Couperont-ils et la tête et la queue du serpent ? Ce sont les semaines à venir qui nous le diront. Pour l’instant, je voudrais répondre à la question suivante : quelles leçons pouvons-nous tirer de l’échec du putsch du RSP ? Le premier enseignement, c’est que l’engagement et la détermination du peuple finissent toujours par aboutir. Diendéré se serait installé tranquillement dans le fauteuil présidentiel si le peuple burkinabè n’avait pas dit “NON” à sa funeste entreprise et ne s’était pas mis debout sur l’ensemble du territoire national.

La prière n’est pas inutile. Elle ne le devient que si elle ne débouche pas sur l’action. Les Burkinabè prient, croient en Dieu, mais ils viennent de nous prouver que la prière et la foi en Dieu sont parfaitement compatibles avec l’action des humains contre ce qui porte atteinte à leur dignité et liberté. Remplir les églises, temples et mosquées, les dimanches et vendredis, n’est pas du tout incompatible avec participer à des marches pacifiques organisées pour protester contre l’injustice, l’opression ou la dictature dans un pays. Cette leçon, les croyants africains doivent la retenir une fois pour toutes. Le second enseignement est celui-ci : Tous les Africains attachés à la liberté, et pas uniquement les Burkinabè, devraient mettre hors d’état de nuire les dirigeants, qui oppriment et volent leurs peuples avec la complicité des gouvernements français. Autrement dit, ce n’est pas, uniquement, les opposants congolais qui doivent se mobiliser contre Sassou-Nguesso, qui veut briguer un énième mandat présidentiel après 32 ans au pouvoir.

Pourquoi les autres Africains doivent-ils soutenir les peuples angolais, burundais, camerounais, gabonais, tchadien, togolais, congolais (RDC)…? Parce que “celui qui ne se sent pas offensé par l’offense faite à d’autres hommes, celui qui ne ressent pas sur sa joue la brûlure du soufflet appliqué sur une autre joue, quelle qu’en soit la couleur, n’est pas digne du nom d’homme” (José Marti, penseur et poète cubain). Pendant longtemps, nous n’avons pas montré et démontré que nous étions des hommes. Pendant longtemps, l’absence de solidarité continentale a permis aux dictateurs de plastronner et de sévir dans tel ou tel pays africain. Cette vilaine tendance à laisser chaque pays se défaire tout seul de son Hérode doit cesser. Seule l’union sauvera l’Afrique. Quand Kwame Nkrumah le disait, certains le prirent pour un doux rêveur. Le temps semble lui avoir donné raison. Le “chacun pour soi” ne nous a rien apporté, sauf des larmes, des morts et une pauvreté déshumanisante.

En d’autres mots, aucun pays africain d’expression française ne viendra à bout tout seul de la Françafrique qui change de discours chaque fois que la France a un nouveau président mais ne change jamais son “modus operandi”. Ce n’est pas tout seul mais ensemble que nous nous en libérerons. Le moment est venu de travailler en synergie. Le moment est arrivé pour que “le Balai citoyen” (Burkina Faso), “Y en a marre” (Sénégal), “le Cojep” (Côte d’Ivoire) et d’autres mouvements de jeunesse, en Afrique, se rencontrent, travaillent, ensemble, et prennent la tête du combat pour la libération totale du continent. Telle est la mission de leur génération, pour reprendre l’heureuse formule de Frantz Fanon, une mission qu’ils ne doivent pas trahir. Car l’Histoire, tôt ou tard, jugera chacun d’entre nous.

Jean-Claude Djereke

Chercheur au Cerclecad, Ottawa (Canada) et enseignant à Temple University et à Holy Family University, Philadelphia (USA)

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