Une fois de plus, Dramane Ouattara Alassane croit pouvoir rouler l’opposition dans la farine. Comme par le passé. Celui qu’on surnomme le boulanger de Côte d’Ivoire pour sa facilité à dribbler son opposition en rusant de façon éhontée alors que tout le monde le voit venir, doit savoir que ses mensonges ne marcheront plus cette fois. S’il choisit de passer en force, il faudra qu’il assume (clairement) de plonger la Côte d’Ivoire dans de profonds troubles, voire, une autre guerre civile. Il doit savoir que la Côte d’Ivoire ne l’accepte plus au pouvoir où il vient de passer 15 ans. Pas de 4e mandat !
I. Un flou volontaire et un mépris de la parole donnée
Le 22 juin 2025, les Ivoiriens s’attendaient à entendre enfin la position du président, Alassane Ouattara, sur sa participation ou non à l’élection présidentielle prévue pour octobre. Mais, fidèle à une stratégie bien rodée, le chef de l’Etat a choisi de maintenir le suspense, déclarant qu’il se prononcerait « dans les jours à venir ». Ce flou n’est ni anodin ni innocent. Il fait partie d’une mise en scène politique visant à tester les réactions de la population, à sonder les rapports de force internes au RHDP (Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix), et à entretenir autour de sa personne une image de recours indispensable (sur notre photo, les 4 exclus de la présidentielle par Ouattara, sont prêts à sortir leurs muscles en cas de 4e mandat. Que Ouattara tente le diable !).
Or, ce suspense est en réalité un faux suspense. L’homme sait pertinemment, au plus profond de lui-même, qu’il est en porte-à-faux avec la Constitution ivoirienne. Celle-ci, rappelons-le, interdit clairement à tout président de faire plus de deux mandats. En outre, lors de la campagne présidentielle de 2010, Ouattara avait juré devant le peuple qu’il ne ferait qu’un seul mandat, une promesse aujourd’hui trahie avec désinvolture. Le respect de la parole donnée et de la légalité constitutionnelle semble être devenu secondaire face à la volonté de conserver le pouvoir.

II. Un pouvoir au service d’un clan, non d’un projet national
Si les cadres du RHDP multiplient les appels pressants pour que le président « ne les abandonne pas », ce n’est pas nécessairement parce qu’ils estiment que son action à la tête du pays est exceptionnelle. Leur inquiétude tient moins à une admiration sincère qu’à la crainte de voir leur confort, leurs privilèges et leur impunité disparaître avec le départ du chef. Ils veulent continuer à piller en toute tranquillité les caisses de l’Etat, à détourner les marchés publics, à étouffer la justice, à manipuler les institutions, sans être inquiétés.
Dans cette perspective, Ouattara n’est plus le dirigeant d’un peuple, mais, le garant d’un système mafieux. Il protège les siens, ferme les yeux sur leurs excès, leur assure une couverture politique et judiciaire. La peur exprimée par les cadres du parti n’est donc pas celle d’un vide politique, mais, celle d’un arrêt brutal de l’impunité.
III. La démocratie, c’est aussi l’alternance
Ce que les tenants actuels du pouvoir semblent oublier, c’est que la démocratie repose sur des principes simples mais fondamentaux : la souveraineté populaire, la séparation des pouvoirs, et surtout, l’alternance. Nul n’est indispensable à la tête d’un pays. L’histoire de l’Afrique le prouve. Des dirigeants comme Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf au Sénégal, Julius Nyerere en Tanzanie, Thomas Yayi Boni au Bénin, Nana Akufo-Addo au Ghana ou Uhuru Kenyatta au Kenya, ont compris que servir leur nation ne signifiait pas s’accrocher au fauteuil présidentiel jusqu’à la mort ou la révolte populaire. Ils ont su se retirer dignement, transmettre le pouvoir, et faire confiance à la démocratie.
L’Afrique n’a pas besoin de dirigeants se croyant indispensables. Elle a besoin de leaders visionnaires, capables de préparer leur succession, de former une nouvelle génération d’hommes et de femmes d’Etat, et de faire émerger une culture politique fondée sur la responsabilité, la probité et le service public.
IV. Le mythe de la persécution post-Ouattara
Un autre argument brandi par les défenseurs du statu quo est que le départ d’Alassane Ouattara exposerait les populations du Nord et les musulmans à des persécutions. Ce fantasme, savamment, entretenu, est, non seulement, infondé, mais, profondément dangereux. Il sert à créer un climat de peur ethnique et religieuse, à diviser les Ivoiriens, à entretenir la méfiance et à justifier l’injustifiable.
La Côte d’Ivoire n’appartient ni au Nord, ni au Sud, ni à une religion ou une ethnie. Elle est une nation plurielle, riche de sa diversité, et le destin d’une communauté ne peut être confondu avec celui d’un homme, aussi puissant soit-il. Aucun Ivoirien ne doit être persécuté à cause de ses origines ou de sa foi. L’état de droit et la justice doivent être les garants de la paix sociale, et non la continuité d’un pouvoir décrié.
V. L’échec d’une transmission et le mythe de la relève
Ce faux suspense révèle surtout un échec politique majeur : Ouattara n’a préparé personne pour lui succéder. Lui qui affirmait pourtant que son parti comptait « une demi-douzaine de personnes capables de prendre le relais » n’a visiblement désigné aucun dauphin, n’a investi personne, n’a mis en place aucun mécanisme de transition. Ce vide est volontaire. Il permet de maintenir tous les cadres du RHDP dans une position de dépendance, d’empêcher l’émergence d’un leadership alternatif, et de justifier son maintien à la tête du pays.

C’est là une contradiction flagrante : comment un chef d’Etat, après plus d’une décennie au pouvoir, peut-il prétendre n’avoir trouvé personne pour continuer son œuvre ? Soit, il reconnaît son échec à construire un parti fort et structuré, soit, il admet que sa présence est rendue nécessaire par l’incompétence de ses collaborateurs. Dans les deux cas, il s’agit d’un aveu d’échec.
Conclusion : Il est temps de tourner la page
Le maintien artificiel du suspense sur la candidature d’Alassane Ouattara ne trompe personne. Il témoigne d’une volonté de manipuler l’opinion, de contourner les règles constitutionnelles, et de prolonger indéfiniment un règne qui a déjà trop duré. Mais, la Côte d’Ivoire mérite mieux. Elle a besoin de respiration démocratique, de justice sociale, de reconstruction morale.
La vraie grandeur d’un dirigeant ne réside pas dans sa longévité au pouvoir, mais, dans sa capacité à partir au bon moment, en laissant derrière lui des institutions solides et un peuple confiant en l’avenir. Pour Ouattara, l’heure est venue de prouver qu’il est un homme d’Etat et non un simple politicien accroché à ses privilèges. Tourner la page n’est pas une faiblesse. C’est une exigence démocratique.
Jean-Claude Djéréké
Est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).