COTE D’IVOIRE : Le FPI doit penser à un Plan B pour la présidentielle de 2020

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Le 31 mai 2019, lors de la célébration des 74 ans de l’ancien président ivoirien, Hubert Oulaye a dit une chose qui, pour certains Ivoiriens, n’est pas vraiment une révélation : Laurent Gbagbo ne peut rentrer en Côte d’Ivoire qu’avec l’accord du gouvernement français et de Dramane Ouattara. Pourquoi fallait-il s’attendre à cela ? Parce que c’est la France et Ouattara qui l’ont kidnappé et déporté illégalement à la Haye.

Mais le maître (la France) et l’esclave (Ouattara) permettront-ils au cofondateur du FPI de retrouver la terre de ses ancêtres avant octobre 2020 ? Ma réponse est “non” parce que ce n’est pas dans l’intérêt de Paris ni d’Abidjan que Gbagbo retourne en Côte d’Ivoire avant la prochaine éelection présidentielle. Si une telle autorisation était accordée à Gbagbo, de nombreux Ivoiriens pourraient spontanément envahir la rue, avec ou sans son aval, et cette invasion pourrait se transformer rapidement en une insurrection populaire car une foule est toujours imprévisible, toujours dangereuse comme un fleuve en crue. Ceux qui veulent que Gbagbo soit le candidat du FPI au scrutin d’octobre 2020 ont deux options : soit, ils négocient avec Ouattara et la France, chose que Pascal Affi Nguessan avait préconisée plus tôt, soit, ils bloquent le pays par des marches et/ou un soulèvement populaire. La seconde option, je doute qu’elle ait la faveur des dirigeants actuels du FPI. Pour quatre raisons.

La première, c’est qu’il est difficile de lutter et donc de prendre des coups après qu’on a goûté à l’argent et aux délices du pouvoir. L’unique désir de ceux qui ont perdu le pouvoir, c’est de retrouver le plus vite possible les ors de la République. Pour cela, ils sont prêts à verser dans des compromissions et à nouer des alliances contre-nature comme on peut le voir avec le PDCI (notre photo montrant Laurent Gbagbo avec Henri Konan Bédié du PDCI et en arrière plan Guillaume Soro). Deuxièmement, la plupart des responsables du FPI ne sont plus jeunes. Leur âge oscille entre 74 et 62 ans ; à ces âges-là, le pas n’est plus alerte et on est de moins en moins téméraire. Troisièmement, certains ont contracté des maladies, plus ou moins, graves en prison. Quatrième et dernière raison : tous sont travaillés, voire, obsédés, par des questions existentielles : comment faire face aux dépenses de la famille ? Comment payer ses médicaments ? Comment terminer ses vieux jours ? Ce n’est pas un crime que de se poser ce genre de questions. C’est pourquoi on devrait se garder de vouer aux gémonies ceux qui se les posent.

Je comprends parfaitement que ceux qui n’ont jamais réalisé leur promesse de lancer un mot d’ordre pour que les Ivoiriens descendent dans la rue ne soient plus charmés par le chant de la Révolution. Car, en général, on veut changer le monde, on est révolutionnaire, dans la trentaine ou la quarantaine. Par exemple, le Ghanéen, Jerry John Rawlings, avait 32 ans quand il fit son premier coup d’état (1971) ; le Burkinabè, Thomas Isidore Sankara, avait 34 ans quand lui et ses compagnons (Blaise Compaoré, Jean-Baptiste Lingani et Henri Zongo) renversèrent Jean-Baptiste Ouédraogo (1983) ; le Rwandais, Paul Kagamé, en avait 37 quand il fit son entrée à Kigali avec l’Armée patriotique rwandaise (1994). Ne demandons donc pas à la génération des Assoa Adou de sortir ou de marcher dans la rue ; n’attendons pas d’elle qu’elle fasse autre chose qu’interpeller le régime Ouattara ou dénoncer ses dérives et crimes lors de ses points ou conférences de presse. Tel le colibri dont parlait feu Abou Drahamane Sangaré, cette génération a mené sa part de lutte et elle n’a pas démérité ; aujourd’hui, elle doit être suffisamment honnête et lucide pour admettre, comme celle qui gouverne au PDCI, qu’elle est dépassée et fatiguée, qu’elle n’a plus rien à prouver, qu’elle a atteint ses limites, qu’elle a fait ce qu’elle a pu et qu’elle doit passer le témoin aux plus jeunes. Et ce n’est pas lui manquer de respect que de l’écrire. Dans cette belle génération, qui, à la fois, fit rêver et déçut, Laurent Gbagbo a donné plus que ce qu’un leader peut donner à son peuple en sacrifiant sa jeunesse, en s’exilant pendant 6 ans, en faisant la prison plusieurs fois, en mettant sa vie en danger en mars-avril 2011. Ce n’est plus à cet homme de battre le pavé, lutter ou de prendre des risques pour que le projet de société élaboré par lui et ses compagnons soit mis en œuvre, ni pour que les Ivoiriens “récupèrent” leur pays. C’est aux Ivoiriens de trente à quarante ans, qu’ils soient dans la société civile, dans l’armée ou dans les formations politiques, d’aller plus loin que les “Refondateurs” ; c’est à eux qu’il incombe d’engager la Révolution qui nous débarrassera du valet de la France et qui mettra en place une transition ; c’est à eux que revient la mission de sensibiliser et de mobiliser le peuple autour des questions centrales que sont la décentralisation du pays, la révision à la baisse du salaire du chef de l’Etat, des ministres et des députés, la souveraineté qui passe par l’abandon du F CFA et la fermeture du 43e BIMA, l’obligation pour tous les serviteurs de l’Etat de se soigner sur place, l’autosuffisance alimentaire, etc.

En conclusion, je voudrais dire deux choses : 1) A moins que ses partisans acceptent de passer outre sa recommandation de ne pas marcher pour manifester en Belgique et rendre l’Eburnie “ingouvernable”, ce qui pourrait obliger la France à le laisser rentrer dans son pays, Laurent Gbagbo ne retournera en Côte d’Ivoire qu’après le second mandat de Dramane Ouattara qui sert bien les intérêts de la France car qui est fou pour mettre du sable dans son attiéké ? Pas Macron, ni Ouattara en tout cas. 2) Si Gbagbo est hors-jeu en 2020, le FPI doit penser à un Plan B sans tarder. Il doit, surtout, réfléchir au rajeunissement de ses dirigeants et se mettre en phase avec les nouvelles aspirations du peuple ivoirien.

Jean-Claude DJEREKE
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis)

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