DESTABILISATION DU CENTRAFRIQUE : Après Patassé et Bozizé, Déby se prépare-t-il à chasser Touadéra du pouvoir ?

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Après 2003 et 2013, le sultan du Tchad, Idriss Déby Itno, est en train de se lancer dans une troisième aventure militaire en Centrafrique. Comme les deux précédentes qui entraînèrent le départ d’Ange-Félix Patassé (2003) et de François Bozizé (2013), celle de 2019 aura pour but d’évincer le président, Faustin-Archange Touadéra, du pouvoir. Comme les deux autres qui furent soutenues par Jacques Chirac et le « silence » de François Hollande, l’actuelle opération militaire est parrainée par le jeune président français.

C’est le rôle dans lequel excelle Idriss Déby Itno : déstabiliser ses voisins, surtout, surtout, le Centrafrique. Il n’est pas à son coup d’essai. En 2003, en plein Sommet de la Censad, à Niamey, alors que les deux frères ennemis, le Centrafricain, Ange-Félix Patassé, et le Tchadien, Idriss Déby Itno, sous la supervision du président du Niger de l’époque, Mamadou Tandja, étaient conviés sous la tente du Guide libyen, Mu’ammar Kadhafi, pour boire du thé et sceller une réconciliation à coups de milliards de F CFA octroyés par Kadhafi, Idriss Déby Itno (conseillé par les Français) avait, déjà, ordonné à 7.000 soldats tchadiens d’envahir le Centrafrique. Tardivement mis au courant, Patassé quitta Niamey, en catastrophe pour rallier Bangui où son avion se vit opposer une autorisation d’atterrir. C’est ainsi qu’il ordonna à son pilote de mettre le cap sur Libreville où le patriarche Ondimba, lui conseilla, plutôt, d’aller, momentanément, à Yaoundé, au Cameroun, le temps pour lui de tenter une médiation avec le preneur du pouvoir à Bangui. La négociation n’aboutit pas. Avec le soutien de Jacques Chirac, le général, François Bozizé, fut installé à Bangui. Il y resta pendant dix ans, sans problème, jusqu’au moment où il commença à vouloir s’émanciper de la tutelle de Déby. Mécontent que le Centrafrique lui échappe, le sultan Déby organisa la rébellion des Sélékas pour chasser Bozizé du pouvoir. A l’époque, Faustin-Archange Touadéra officiait comme premier ministre de François Bozizé, avant de céder, par la suite, sa place à Me Nicolas Tiangaye, après un Sommet (de réconciliation) tenu à Libreville, sous les auspices du président, Ali Bongo Ondimba, et plusieurs chefs d’Etat de la sous-région, y compris, Yayi Boni, à l’époque, président du Bénin et président en exercice de l’Union africaine.

En 2019, l’histoire risque de se répéter. Les difficultés de Touadéra s’accentuent de jour en jour. Arrivé au pouvoir en mars 2016 avec une rébellion qui n’occupait que deux départements, il a réalisé une performance extraordinaire en permettant la multiplication des groupes armés qui, aujourd’hui, occupent quatorze départements sur seize, sans compter la capitale Bangui qui n’est plus, totalement, sous contrôle. Le bilan sécuritaire de l’actuel président parle, donc, de lui-même.

Pour faire face à cette situation, l’armée française ayant été rapatriée (au nom des restrictions budgétaires de Paris), le président Touadéra a choisi de faire appel à l’expertise russe. Mais de livreurs d’armes et de munitions, les Russes (l’appétit venant en mangeant) sont devenus des formateurs de la nouvelle armée centrafricaine, et opèrent, aujourd’hui, dans les mines, les forêts et bientôt le pétrole, ce qui est très inquiétant pour Déby. Car qu’on se souvienne que c’est la décision d’exploiter le pétrole centrafricain qui avait fait tomber Patassé et Bozizé, le Tchad et le Centrafrique partageant la même nappe de pétrole qui fait, depuis plusieurs années le bonheur de Déby, mais qui peut tarir, rapidement, si le Centrafrique, situé en aval, se lançait, à son tour, à son exploitation.

En ce moment même, il y aurait des mouvements  de troupes tchadiennes vers la frontière tchado-centrafricaine. Pour la troisième fois, Idriss Déby a décidé d’envoyer des soldats tchadiens qui, cette fois, vont se fondre avec les rebelles centrafricains avec l’appui bienveillant du jeune président français, qui n’accepte pas la présence des Russes dans son pré-carré centrafricain. Son voyage de deux jours, en décembre dernier, à N’Djamena, a été, essentiellement, motivé par cette question, même si celui-ci a été habillé par quelques aides budgétaires, pour émanciper des femmes tchadiennes et financer des législatives avant juin. Pour la plupart des observateurs avertis de la scène tchadienne, ces appuis financiers annoncés par le jeune président français au sultan du Tchad, ne seraient qu’une récompense de l’action déstabilisatrice que Déby s’apprête à mener en Centrafrique.

Reste que rien n’est joué. Déby, ici, aura à faire à Vladimir Poutine que même Donald Trump craint et respecte.

Les Russes sont en train de s’implanter, durablement, en Centrafrique avec l’accord d’un pouvoir élu démocratiquement par le peuple centrafricain. Même en se fondant dans les Sélékas pour mieux réussir leur coup d’état, les soldats tchadiens trouveront à qui parler car les Russes ont la possibilité de se servir, aussi, des rebelles soudanais et sud-soudanais pour éviter d’exposer leurs propres soldats dans les affrontements. Ce n’est donc pas une partie de plaisir pour le sultan et grand déstabilisateur de la sous-région Idriss Déby Itno.

Cela dit, un enseignement se dégage : empêtré dans d’insurmontables problèmes en France, le jeune président français locataire de l’Elysée n’hésite plus à porter le casque colonial pour tenter d’obtenir en Afrique, ce qui peut l’aider à compenser quelque peu son manque à gagner en France où les caisses vides n’arrivent pas à satisfaire les revendications des Gilets Jaunes.

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