L’ancien président sud-africain, Thabo Mbeki, est à l’origine de l’accession d’Alassane Ouattara à la magistrature suprême. C’est lui qui avait encouragé le président, Laurent Gbagbo, en 2002-2003, à signer un décret pour autoriser Alassane Ouattara à participer à l’élection présidentielle de 2005 après le rejet de sa candidature par le juge constitutionnel, Tia Koné. N’étant pas Ivoirien de père ni de mère eux-mêmes ivoiriens, il avait vu sa candidature repoussée, à juste titre, aux élections présidentielle et législatives. Mais, grâce à l’action de Thabo Mbeki, président en exercice de l’Union africaine (UA) de juillet 2002 à juillet 2003, Laurent Gbagbo signa un texte pour permettre, au nom de la paix, à Alassane Ouattara de se présenter à l’élection présidentielle de 2005. Il s’agissait d’un accord politique car la justice avait rejeté sa candidature.
C’est ce même Alassane Ouattara qui, une fois devenu président en 2011, a envoyé Laurent Gbagbo à la CPI où il a passé 7 ans de façon gratuite car, finalement, aucune charge n’a été retenue contre lui.
C’est ce même Alassane Ouattara qui lui refuse le passeport diplomatique et même ordinaire alors qu’il en a droit de par ses fonctions passées et en tant qu’Ivoirien. Alors que Gbagbo lui avait donné un passeport diplomatique à lui, Ouattara « le menteur d’Abidjan», mais aussi, à celle qui faisait office de sa maman.
C’est ce même Alassane Ouattara qui, aujourd’hui, refuse qu’il s’inscrive sur la liste électorale pour qu’il soit candidat à l’élection présidentielle, après avoir dirigé la Côte d’Ivoire pendant 10 ans.
Thabo Mbeki regrette son intervention à l’endroit de Ouattara. Il est très contrarié de la façon dont Ouattara a traité Gbagbo. Il se sent responsable quelque part des agissements de Ouattara en Côte d’Ivoire. C’est la raison pour laquelle il a pris sa belle plume pour écrire à Moussa Faki Mahamat, le président de la Commission de l’UA, après en avoir parlé avec Cyril Ramaphosa, le président sud-africain et président en exercice de l’UA.
Thabo Mbeki en intervenant sur la situation ivoirienne alors qu’il n’a plus qualité pour le faire, agit sur un plan moral. Il rappelle à Moussa Faki Mahamat que l’Afrique suit attentivement toutes les décisions qu’il prend au nom de l’UA sur l’élection présidentielle ivoirienne. L’avenir le jugera.
Voici la lettre que Thabo Mbeki a fait parvenir à Moussa Faki Mahamat. On ne sait même pas si ce dernier l’a lue, Ouattara l’ayant visiblement, complètement, mis dans sa poche.
Votre Excellence,
J’ai pris note du fait que le communiqué publié par la Mission conjointe de solidarité de la CEDEAO, de l’UA, de l’ONU et du Consell de l’Entente, le 7 octobre 2020, disait, entre autres : « La Mission conjointe a informé les autorités ivoiriennes et les acteurs politiques de l’intention de la CEDEAO et de l’Union africaine de déployer des observateurs électoraux pour l’élection présidentielle du 31 octobre 2020 ». Je suis maintenant informé que depuis lors, la Commission de l’UA (CUA) a effectivement déployé ces observateurs électoraux. » J’écris à Votre Excellence pour vous faire part de mes vives réserves au cas où un tel déploiement d ‘ »observateurs électoraux » aurait effectivement eu lieu. Je le fais, Votre Excellence, pour deux raisons. L’une est que l’Union africaine (UA) a à tout moment la lourde responsabilité de s’acquitter de sa mission envers ses Etats membres, comme expliqué dans l’Acte constitutif. En ce qui concerne la question en cause, je renvoie immédiatement à l’article 3, Objectifs de l’Acte constitutif et i Les sections f, g et h, qui indiquent que certains des objectifs de l’Union sont de : « promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur le continent ; « promouvoir les principes et institutions démocratiques, la participation populaire et la bonne gouvernance ; PRIVATE BAG X444, HOUGHTON, 2041 REPUBLIQUE D’AFRIQUE DU SUD Tél -27 1 6 156o Fan +27 11 4N6 O721 INFORMBEKLORG wwW.MBEKI.ORG » promouvoir et protéger les droits de l’homme et des peuples conformément à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et aux autres instruments pertinents des droits de l’homme. << En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, cela signifie que l’UA doit accorder une attention particulière au défi sérieux que tout doit être fait pour éviter que cet Etat membre de l’UA régressant vers la situation qui a conduit à l’éclatement de la très destructrice guerre civile de 2002 à 2007. Comme l’UA le sait très bien, cela est très directement lié au conflit qui a éclaté en Côte d’Ivoire à propos des prochaines élections présidentielles. Ma deuxième raison, Excellence, est d’insister sur le fait que la CUA a une obligation absolue de respecter les décisions de l’Union et de ses institutions connexes. Je regrette qu’il ne soit pas nécessaire pour moi de développer davantage la question des obligations imposées à la CUA par l’Acte constitutif, y compris en ce qui concerne immédiatement la Côte d’Ivoire – ma première raison. Cependant, je vais maintenant faire quelques commentaires concernant ma deuxième raison, comme expliqué ci-dessus. Récemment, à deux reprises, notre collègue, Mme Minata Samaté Cessouma, Commissaire aux Affaires politiques de l’UA, s’est rendue à Abidjan en tant que membre de la Mission conjointe de solidarité dont j’ai parlé plus tôt. Au cours de ces visites, elle a été pleinement exposée aux graves préoccupations et suggestions de l’opposition politique ivoirienne au sujet des prochaines élections présidentielles. De plus, j’ai fait ce que j’ai pu pour transmettre à Votre Excellence diverses communications envoyées au Président de l’UA, S.E. Président Cyril Ramaphosa, à propos de ces élections présidentielles ivoiriennes. Je voudrais donc croire que la CUA, y compris son estimé Président, est très bien informée sur les différentes questions qui : (i) menacent la crédibilité parmi des millions d’Ivoiriens des prochaines élections ivoiriennes ; (ii) soulever des questions sur la légitimité conséquente de leur issue aux yeux de millions d’Ivoiriens ; et, (iii) suscitent donc de sérieuses inquiétudes quant à l’impact de tout cela sur la paix et la stabilité en Côte d’Ivoire. Je voudrais croire que Votre Excellence et le reste de la CUA connaissent le fait que certaines des questions que l’opposition ivoirienne a suggérées devraient faire partie de l’ordre du jour du Dialogue national inclusif sur les élections présidentielles qu’elle a proposé, propositions qui : (iv) HE Le Président Ouattara ne devrait pas se présenter pour ce qui serait son troisième mandat car il n’est pas éligible pour être candidat à la présidence ; (v) les éminents dirigeants ivoiriens, MM. Laurent Gbagbo et Guillaume Soro, devraient être autorisés à participer aux élections ; (vi) la Commission électorale indépendante devrait être reconstituée; et (vii) le Conseil constitutionnel devrait être exclu de tout rôle dans les élections.
Je pense qu’il serait immédiatement évident pour quiconque ayant la moindre connaissance de la politique ivoirienne que si elles ne sont pas abordées, ces questions soulèveraient de très sérieuses inquiétudes quant à la crédibilité même des élections auxquelles elles se réfèrent. S’agissant de la question de l’éligibilité du président Ouattara, l’opposition politique a avancé un argument qui dit : « La lecture combinée des articles 55 et 183 de la Constitution ivoirienne de 2016 et de l’article 35 de la Constitution de 2020 n’autorise pas le président de la République à se porter candidat pour un troisième mandat. Cela signifie essentiellement que, de l’avis de ladite opposition, la disposition de la Constitution d’avant 2016 limitant les mandats présidentiels à deux n’a pas été modifiée dans la Constitution de 2016 et est restée contraignante pour tous ceux qui ont été élus en vertu de la Constitution d’avant 2016. Il n’est pas contesté que lorsqu’il aura terminé son mandat de président en 2020, le président Ouattara aura terminé son deuxième mandat après avoir été élu en 2010. L’opposition soutient qu’il n’y a rien dans la Constitution de 2016 et tous les autres amendements qui établissent une nouvelle République qui permet au président Ouattara de briguer un autre mandat présidentiel. La CUA connaît parfaitement l’utilisation du processus de modifications constitutionnelles visant à étendre les mandats des présidents en exercice, contrairement aux dispositions constitutionnelles lors de leur première élection. Dans de nombreux cas, de telles interventions sont directement contraires au moins à l’esprit des dispositions pertinentes de l’Acte constitutif et de la Charte africaine des élections, de la démocratie et de la gouvernance. A ma connaissance, personne n’a contesté l’interprétation de la Constitution de Côte d’Ivoire par l’opposition en ce qui concerne l’éligibilité du président Ouattara à la présidence de 2020, à l’exception du président Ouattara et de ses collègues et partisans. Je suggère fortement qu’à moins que la CUA ne puisse fournir une opinion judiciaire alternative, par exemple, de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), elle pourrait ne pas avoir d’autre choix que d’accepter que le président Ouattara soit disqualifié de sa candidature à la présidence parce qu’il a déjà purgé deux mandats.
En ce qui concerne la question de la participation de MM. Gbagbo et Soro aux prochaines élections, la CADHP a rendu deux arrêts contraignants. Le 15 septembre 2020, la Cour a statué que le Gouvernement ivoirien doit : << Prendre toutes les mesures nécessaires pour lever immédiatement tous les obstacles empêchant le requérant Guillaume Kigbafori Soro de jouir de son droit de vote et d’être élu, notamment lors de l’élection présidentielle d’octobre 2020. « Le 25 septembre 2020, la Cour a ordonné à l’Etat ivoirien de : » prendre toutes les mesures nécessaires pour lever immédiatement tous les obstacles empêchant l’inscription du candidat [Laurent Gbagbo] au registre des électeurs. « L’AFCHPR a également pris des décisions importantes relatives à la question de la Commission électorale indépendante (CEI) qui doit diriger les prochaines élections. Dans sa presse du 15 juillet 2020, Exposé sur l’arrêt (requête n ° 044/2019) sur la question de : « SUY BI GOHORE EMILE ET AUTRES V. REPUBLIQUE DE CÔTE D’IVOIRE », la Cour a déclaré : « Suite à ce constat, la Cour a ordonné à l’Etat défendeur de prendre les mesures nécessaires avant toute élection pour s’assurer que de nouvelles élections du Bureau, fondées sur la nouvelle composition du corps électoral, soient organisées au niveau local ». Sur la base de ce constat, la Cour a ordonné au R État défendeur à prendre les mesures nécessaires avant toute élection pour garantir que le processus de nomination des membres du corps électoral par les partis politiques, en particulier, les partis d’opposition, ainsi que, les OSC, soit conduit par ces entités, sur la base de critères prédéterminés, avec le le pouvoir de s’organiser, de se consulter, de tenir des élections si nécessaire et de soumettre les candidats requis. << La Cour a en outre ordonné à l’Etat défendeur de lui faire rapport sur les mesures prises à l’égard des deux ordonnances susmentionnées dans un délai de trois (3) mois à compter de la date de notification du présent arrêt, puis tous les six (6) mois jusqu’à ce que La Cour considère qu’il y a eu pleine mise en œuvre. » Les trois mois mentionnés dans l’arrêt prendraient fin le 15 octobre 2020 environ. Le gouvernement de Côte d’Ivoire n’a pas honoré tous les arrêts de la CADHP que nous avons mentionnés. Au lieu de cela, elle a déclaré son intention de se retirer du Protocole d’adhésion à la CADHP, espérant que cela la libérerait de l’obligation de mettre en œuvre les décisions contraignantes de cette Cour africaine. Cependant, à juste titre, la CADHP a souligné qu’étant donné les règles existantes, un tel « retrait » de la Côte d’Ivoire n’entrerait en vigueur qu’en 2021, et qu’un tel « retrait », en tout état de cause, pourrait ne pas avoir d’impact sur l’application des arrêts de la Cour !
La question du statut du Conseil constitutionnel (CC) par rapport aux élections se pose dans le cadre des arrêts de la CADHP que nous avons mentionnés. C’est évidemment parce que le CC a pris des décisions notamment sur MM. Gbagbo et Soro qui ont été annulées par la CADHP. L’opposition ivoirienne affirme que le CC a décidé d’exclure MM. Gbagbo et Soro des élections présidentielles parce qu’il est devenu un partisan du président Ouattara et de son parti, et ne pouvait donc pas jouer un rôle neutre dans la conduite des élections présidentielles de 2020 ! Ce qui précède signifie que la Commission de l’UA (CUA) ne peut éviter de se poser les questions pertinentes pour le déroulement des prochaines élections ivoiriennes, à savoir : (viii) quel impact le différend sur le déroulement de ces élections a-t-il sur l’exigence prescrite par la Charte africaine des élections, démocratie et la gouvernance selon laquelle les conditions doivent exister pour que toutes les élections africaines soient «transparentes, libres et équitables»; (ix) est-il possible d’avoir de telles élections « transparentes, libres et équitables » lorsqu’une Cour africaine correctement constituée, la CADHP, a statué que l’exclusion de certains candidats doit être annulée et que le gouvernement de Côte d’Ivoire a refusé d ‘honorer ce jugement; (x) est-il possible d’avoir de telles élections « transparentes, libres et équitables » lorsqu’une Cour africaine correctement constituée, la CADHP, a statué que la CEI telle qu’elle est actuellement constituée aux niveaux national et de district est illégitime et doit être reconstituée, et le gouvernement de Côte d’Ivoire a refusé d’honorer cet arrêt ; (xi) est-il possible d’avoir de telles élections « transparentes, libres et équitables » lorsque le droit constitutionnel reste avec le CC pour être la seule institution à confirmer le résultat électoral final et à prêter serment au chef de l’Etat élu, compte tenu de son rôle politiquement partisan; (xii) évidemment, nous devons également nous poser la question – est-il possible d’avoir de telles élections « transparentes, libres, équitables » et légitimes si l’un des candidats, cette fois, le président en exercice, est autorisé à se présenter contrairement aux prescriptions constitutionnelles ?
Le Haut représentant de l’Union européenne a fait quelques commentaires sur les prochaines élections ivoiriennes et a déclaré, entre autres : « L’UE prend note des différentes affaires portées devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) concernant le processus électoral et réitère son engagement au respect de la justice internationale. » Je cite cette observation et cet engagement importants car ils soulèvent la question importante et urgente : l’UA, y compris la CUA, a-t-elle un engagement similaire en faveur du respect de la justice internationale, y compris dans la mesure où il émane des décisions de la CADHP ? Quelle implication cela a-t-il sur les prochaines élections présidentielles ivoiriennes ? En outre, comme Votre Excellence le sait, la Charte africaine des élections, de la démocratie et de la gouvernance (CAEDG) fait spécifiquement référence à la CADHP. L’article 45 stipule que la Commission de l’UA doit : « Coordonner l’évaluation de la mise en œuvre de la Charte avec d’autres organes clés de l’Union, notamment, le Parlement panafricain, le Conseil de paix et de sécurité, la Commission africaine des droits de l’homme, la Cour africaine de justice et des droits de l’homme, le Comité économique, social et culturel , les Communautés économiques régionales et les structures nationales appropriées « . Le gouvernement de Côte d’Ivoire a contesté le pouvoir de la CADHP d’entendre les affaires électorales ivoiriennes. La Cour s’est prononcée contre le gouvernement ivoirien sur cette question. En effet, comme on peut le voir dans le paragraphe ci-dessus, la CAEDG elle-même mentionne spécifiquement la CADHP comme l’une des institutions pertinentes pour sa mise en œuvre. A mon avis, cela souligne la nécessité pour la CUA de prendre en considération les décisions de la CADHP sur les prochaines élections ivoiriennes lorsqu’elle prend des décisions concernant ces élections. L’article 20 de la CAEDG stipule : « Le Président de la Commission enverra d’abord une mission exploratoire pendant la période précédant les élections. Cette mission obtiendra toute information et documentation utiles et informera le Président, en indiquant si les conditions nécessaires ont été réunies et si l’environnement est propice à la tenue d’élections transparentes, libres et équitables conformément aux principes de l’Union régissant les élections démocratiques. Il dispose également que : « La Commission prend les mesures nécessaires pour que l’unité Démocratie et assistance électorale et le Fonds pour la démocratie et l’assistance électorale fournit l’assistance et les ressources nécessaires aux Etats parties pour soutenir les processus électoraux … « Une telle` `mission exploratoire » aurait sûrement constaté que divers développements en Côte d’Ivoire soulevaient des inquiétudes quant à savoir si` `l’environnement est propice à la tenue d’élections transparentes, libres et équitables conformément aux principes de l’Union gouvernant les élections démocratiques. Il aurait alors pu recommander que la CUA fasse tout ce qui était nécessaire pour « fournir l’assistance et les ressources nécessaires à la Côte d’Ivoire à l’appui des processus électoraux … » Comme Votre Excellence le sait, en plus de la question immédiate des prochaines élections en Côte d’Ivoire, l’une des préoccupations est de savoir si, dans la pratique, la CUA respecte la politique de l’Union, en l’occurrence la CAEDG! Votre Excellence, tout dans cette lettre suggère que la décision de déployer des observateurs électoraux de l’UA concernant le futur ivoirien. Les élections ont été peu judicieuses car cela s’est fait apparemment sans examen sérieux des graves questions soulevées par l’opposition politique ivoirienne ainsi que des arrêts de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Votre Excellence, je vous demande d’examiner et d’agir sur les questions que j’ai soulevées dans cette lettre, conscient des intérêts fondamentaux des peuples de Côte d’Ivoire et de l’Afrique dans son ensemble.
Veuillez agréer, Excellence, l’assurance de notre très haute considération.
Thabo Mbeki.
Mécène.
CC S.E. Président de l’Union africaine
CC S.E. Commissaire aux Affaires politiques de l’UA.
Texte traduit de l’anglais en français par Franck Bi Ballo Zoro